Pour les défenseurs du capitalisme, ce système incarnerait la seule voie possible et les preuves de ses bénéfices seraient multiples. On lui devrait par exemple une baisse drastique de la pauvreté à l’échelle mondiale. Pourtant, à y regarder de plus près, il s’agit plutôt du principal moteur de création des inégalités. Décryptage d’une illusion collective.
Le capitalisme ferait baisser la pauvreté dans le monde ? Les chiffres choisis pour se féliciter d’une réduction de la misère mondiale sont très discutables. En outre, ce raisonnement passe sous silence deux rouages essentiels au recul de l’indigence : l’impact des progrès technique et social.
Mais avant toute chose, il est essentiel de définir ce qu’est le capitalisme : Un système économique où les moyens de production et de distribution des biens et des services sont détenus et contrôlés principalement par des acteurs privés, tels que les entreprises et les individus, plutôt que par l’État. Dans un système capitaliste, la production de biens et de services est principalement motivée par le profit, qui est généré par la vente des biens et des services sur un marché concurrentiel. Les prix des biens et des services sont déterminés par l’offre et la demande, et les investissements sont réalisés dans le but de maximiser le rendement financier.
Un syllogisme un peu rapide
L’humanité produit actuellement beaucoup plus de richesses qu’à l’avènement du capitalisme, c’est indéniable. En dollar constant, le PIB mondial était ainsi de 96 100 milliards de nos jours contre seulement 175 milliards en 1800. En exploitant autant de ressources, et même en tenant compte du fait que nous sommes huit fois plus nombreux qu’à l’époque, il est tout à fait logique que la pauvreté ait diminué à l’échelle mondiale. Mais la vraie question consiste plutôt à se demander si l’on doit cette production à l’idéologie économique dominante : le capitalisme.
Pour les défenseurs de cette doctrine, le raisonnement est simple : Si les richesses ont été multipliées par plus de 500 et que cet évènement a eu lieu sous un système capitaliste, il y aurait donc une corrélation entre les deux. Pour autant, la donne paraît bien plus complexe, et ce raisonnement ressemble fort à un syllogisme. Ce qui bouleverse en réalité le monde aux prémices du capitalisme, c’est le progrès technique. L’invention de la machine à vapeur fournit une quantité d’énergie phénoménale et l’avènement de la médecine moderne favorise la chute de la mortalité infantile. Dans le même temps, l’éducation va se déployer considérablement dans les pays les plus riches.
Ces trois facteurs seront parmi les principaux moteurs du développement humain au cours du XIXe siècle, puis surtout après 1900 où la démographie explose. Si le capitalisme a sans doute pu motiver certains industriels à se restructurer pour engranger toujours plus, il a surtout exploité les fruits de ce progrès en permettant aux plus aisés de capter la plus grande partie du gâteau.
D’autre part, s’enrichir personnellement ne peut décemment pas être perçu comme la seule raison possible pour vouloir améliorer les conditions de notre existence. Pour beaucoup, la simple recherche du bien commun pourrait également en être le moteur. Prétendre que toute innovation correspond à une volonté de faire fortune relève d’un incroyable cynisme.
D’ailleurs, la pauvreté dans le monde a significativement commencé à reculer très progressivement à partir de l’après-guerre. Certes, la reconstruction après le conflit va permettre de moderniser beaucoup d’infrastructures, mais c’est aussi précisément à cette période qu’apparaissent bon nombre de mesures sociales. Mesures que le peuple a souvent dû arracher par la lutte face aux grands défenseurs du capitalisme qui y étaient hostiles.
En France, on peut particulièrement penser à la création de la sécurité sociale. Il est certain que la mise en œuvre d’une assurance maladie, d’un système de retraite par répartition et de diverses protections sociales a été une avancée majeure pour faire reculer la pauvreté.
Des chiffres discutables
Pour apporter de l’eau à leur moulin, les capitalistes mettent souvent en avant le recul de l’extrême pauvreté. Ce seuil est fixé à 1$90 par jour et par habitant. Et, c’est vrai, depuis 30 ans, près d’un milliard de personnes ont dépassé cette somme dans le monde. En Afrique subsaharienne, cependant, ce taux continue au contraire de grimper.
Est-ce que pour autant, franchir une barre de revenus quotidiens aussi dérisoire démontre un niveau de vie acceptable ? Notons par exemple que 50 % des êtres humains se trouvent toujours en dessous des 5$50 par jour. À eux tous, ces quatre milliards d’individus possèdent autant que les 26 milliardaires les plus riches du monde. En France, les cinq plus fortunés détiennent le même capital que les 40 % de Français les moins aisés.
Avec deux dollars journalier, on sort donc théoriquement de l’extrême pauvreté. Et pourtant, il ne s’agit que d’un salaire annuel de 730 $ par an. Si l’on fait une équivalence, le seuil de pauvreté français est fixé à 14 500 $ par an. Il n’existe pas ici de niveau de mesure « extrême ». Bon nombre de Français gagnent, cependant, bien moins que cette somme. Le fait de se focaliser sur un chiffre beaucoup plus bas dans les pays les plus démunis semble démontrer une volonté de minimiser la situation mondiale de la précarité globale.
Des inégalités considérables
En réalité, les chiffres les plus éloquents sont donc bien ceux des inégalités. Pendant qu’une minorité se goinfre, une autre endure des souffrances épouvantables. Loin des clichés ridicules sur la méritocratie, sans politique de redistribution d’ampleur, une bonne partie de la population humaine n’a tout simplement aucune chance de s’en sortir.
À titre illustratif, soulignons, par exemple, que les 10 % de personnes les moins aisées de la planète ont mis la main sur 0,1 % des fruits de la production mondiale. Dans le même temps, les 10 % les plus fortunés ont englouti 52,4 % des richesses sur Terre.
Dans le temps, la situation ne s’améliore pas. Jacobin Mag note ainsi qu’entre 2009 et 2019 les revenus mondiaux ont augmenté de 37 000 milliards de dollars. Les 10 % les mieux lotis ont absorbé 24 % de cette somme, tandis que les 10 % les plus pauvres ont dû se contenter d’à peine 0,07 % (!), soit 345 fois moins. Comment, dès lors, affirmer que le capitalisme est un système juste ?
La pauvreté remonte dans les pays riches
À ce tableau déjà bien noir, il faut ajouter les dégâts causés par le néolibéralisme, forme de capitalisme moderne encore plus excessive. Après avoir libéralisé l’économie, il nous fait aujourd’hui subir les conséquences des diverses crises qu’il a lui-même provoquées.
Au nom de la « rationnalisation » des budgets de l’État (qui est en réalité une volonté absolue de tout privatiser), ce système s’est attaqué à nos services publics et au droit du travail, réactivant la hausse de la pauvreté dans les pays les plus aisés. Pour couronner le tout, les cadeaux fiscaux envers les plus riches se multiplient, notamment en France où Emmanuel Macron en a fait une spécialité. Dans le même temps, le niveau de vie des plus démunis régresse.
Détruire la planète, c’est augmenter la pauvreté
Comment, enfin, ne pas rappeler que le modèle capitaliste, basé sur une croissance infinie, est une catastrophe absolue pour la planète ? Dans un monde aux ressources limitées, il est en effet aberrant de croire que l’on pourra se reposer sur l’expansion de notre production pour l’éternité.
Or, le drame écologique a de graves conséquences sur le niveau de vie des victimes. D’autant plus que les régions les plus touchées sont aussi les plus démunies. Le réchauffement climatique pourra ainsi avoir (et a déjà) des effets désastreux sur les pays africains et notamment sur les récoltes agricoles. Mais c’est également le cas de la destruction des sols ou de la déforestation qui fait rage et dont l’idéologie à la tête de l’occident est bien la principale responsable.
Il est d’ailleurs amusant de souligner que la plupart des défenseurs de ce système comptent (de façon totalement illusoire) une nouvelle fois sur les avancées technologiques pour que leur mode de vie perdure. Une énième preuve, s’il en faut, que le capitalisme agit bien comme un parasite du progrès plutôt que comme un moteur de celui-ci.
– Simon Verdière
Photo de couverture de Thomas de LUZE sur Unsplash