Que dénonçait Daphne Caruana, la journaliste assassinée ?

    Survenue le 16 octobre dernier, la mort de la blogueuse Daphné Caruana Galizia lève le voile sur les dangers encourus par ceux qui osent élever un peu trop fort la voix. Journaliste de talent au ton piquant et incisif, elle fut violemment assassinée à la voiture piégée. À Malte, comme partout en Europe, les voix se sont élevées pour dénoncer un assassinat politique. Retour sur le parcours de cette lanceuse d’alerte hors pair et ce qu’elle dénonçait.

    Une carrière fulgurante

    Daphné Caruana Galizia embrasse la carrière de journaliste en 1987 alors qu’elle fait son entrée au Sunday Times of Malta. Très vite, la jeune femme se passionne pour les questions sensibles de corruption au sein du gouvernement maltais. Dotée d’un don particulier pour l’investigation, Daphné Caruana Galizia enquête sur les affaires de corruption, de népotisme, mais aussi autour de potentiels blanchiments d’argent. Incisive et visant juste, la journaliste se fraie ainsi un chemin vers la reconnaissance nationale et internationale. Avec celle-ci, arrivent tôt ou tard les tentatives d’intimidation vouées à mettre la journaliste sous silence.

    Ne cherchant pas à épargner les politiques maltais ni à passer sous silence les exactions de certains d’entre eux, Daphné Caruana Galizia se fait vite de nombreux ennemis hauts placés. Avec son blog lancé en 2008, « Running Commentary », la blogueuse offre gratuitement au public les résultats de ses diverses investigations, qui exposent notamment certaines personnalités de son pays. Parmi celles-ci, la magistrate Consuelo Scerri Herrera, accusée d’utiliser sa position pour s’attirer les faveurs des médias et des politiques, le ministre de l’énergie maltais Konrad Mizzi, vraisemblablement impliqué dans l’affaire des Panama Papers (relire « Pédophilie, guerre, pétrole : les dessous de Panama Papers« ), le ministre de l’économie Chris Cardona, ou encore l’un des leaders de l’opposition du pays dans une affaire de prostitution. Toujours en se référant à des sources sérieuses, Daphné Caruana Galizia ne faisait aucun cadeau et n’avait aucune raison d’en faire vu la gravité des faits reprochés et le peu de conséquences que semblent entrainer ces scandales sur les responsables.

    Photographie : Axel Schnidt. Reuters

    Dénoncer la corruption coûte que coûte

    Ces dernières années, son blog extrêmement populaire, qui accumulait plus de 400 000 visites par mois, s’était attaqué au premier ministre maltais, Joseph Muscat, son chef d’état-major, Keith Schembri, et Konrad Mizzi, le ministre de l’énergie de l’époque, les liant tous trois à des montages financiers dans des sociétés offshores. D’après la journaliste, ceux-ci se seraient fait une fortune en organisant un trafic de passeports maltais envoyés en échange de sommes importantes d’argent provenant du gouvernement de l’Azerbaïdjan.

    Les cibles de ses articles incisifs, rarement dans la retenue (on lui reprochera souvent pour camoufler le fond de la question), se regroupent toutes sous le spectre de la corruption, du copinage jusqu’au crime organisé, incluant des politiciens de tout bord, mais aussi incriminant des banques aidant le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale, ou encore des personnalités impliquées dans des trafics de drogues. Passant au peigne fin toute la vie politique, mais aussi personnelle, des figures du pays, la journaliste ne laissait rien passer qui puisse contrevenir à la loi, aux valeurs démocratiques ou à l’éthique. Qu’il s’agisse des dépenses excessives de la femme d’un des leaders de l’opposition ou encore de la façon plus ou moins transparente — et précise — dont sont comptabilisées voix lors des élections dans le pays, Daphné Caruana Galizia épinglait chaque dérapage, chaque faux-pas des politiques du pays. C’était devenu sa raison même d’être.

    Le dernier article publié sur le site de Daphne Caruana

    Tout au long de sa carrière, Daphné Caruana Galizia a mené un combat sans relâche contre l’hypocrisie de l’oligarchie maltaise et les arrangements opaques qui s’opèrent au sein des classes politiques et privilégiées. Qualifiée par certains d’être un « WikiLeaks » à elle toute seule, Daphné Caruana Galizia se battait pour la transparence démocratique dans un pays où la caste dirigeante profite encore de modes de financements d’une vie politique largement dérégulée. Dans un rapport publié par la Commission Européenne en 2014, 83% des Maltais affirmaient ressentir les effets de la corruption sur les politiques locales, notamment en ce qui concerne l’émission de permis de construire et la transparence des verdicts judiciaires. En janvier 2017, l’Indice de Perception de la Corruption concernant Malte indique que le gouvernement mené par Joseph Muscat, pris à parti par la journaliste à plusieurs reprises, est le plus corrompu à avoir jamais été à la tête du pays.

    Depuis l’année dernière, Daphné Caruana Galizia concentrait une grande partie de son travail autour de l’affaire des Panama Papers, aux côtés de son fils, lui aussi journaliste. Pour rappel, les Panama Papers désignent la fuite de plus de 11,5 millions de documents confidentiels issus du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, détaillant des informations sur plus de 214 000 sociétés offshore ainsi que les noms des actionnaires de ces sociétés. Parmi eux se trouvent des hommes politiques, des milliardaires, des sportifs de haut niveau ou des célébrités de tous les pays. Plusieurs personnalités françaises avaient également été inquiétées, avec finalement peu de conséquences concrètes.

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    Des menaces de plus en plus insistantes

    Au cours de sa carrière, Daphné Caruana Galizia a été la cible de plusieurs actions en justice et de nombreuses tentatives de musellement et d’intimidation. En 2006, des individus mettent le feu à plusieurs pneus devant la maison de la journaliste dans une tentative d’incendie criminel. Interrogé par The Guardian, son fils Matthew raconte que les menaces de mort étaient devenues presque quotidiennes. Cette année seulement, pas moins d’une vingtaine de personnes avaient attaqué la journaliste en justice pour calomnie. Mais Daphné Caruana Galizia tenait bon, jusqu’à ce qu’on intente à sa vie.

    À ce jour, les assassins de Daphné Caruana Galizia sont toujours inconnus de la justice. Par la force des choses, voilà plus de 2 semaines que le site d’information Running Commentary ne contient plus de nouvelles. Une perte de taille pour ceux qui cherchaient à mieux comprendre les rouages du monde politique Maltais. Le rappel du danger encouru par les journalistes, dans un monde où la corruption est toujours une réalité, n’a jamais été aussi vif — et nécessaire. Merci Daphné Caruana Galizia.


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    Sources : Independent.com.mt / TimesOfMalta.com / TheGuardian.com / DaphneCaruanaGalizia.com

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