Alors que la COP23 s’apprête à ouvrir ses portes à Bonn en Allemagne du 6 au 13 novembre prochain, l’association ASEED* (Action pour la Solidarité, l’Égalité, l’Environnement et la Diversité) souhaite interpeller l’opinion publique : l’agriculture sera une nouvelle fois une problématique marginalisée dans les débats. Pourtant, insiste l’association dans un interview qu’elle a bien voulu nous accorder, l’agriculture est au centre des enjeux globaux contemporains et en l’absence d’actions fortes dans ce domaine, les politiques environnementales sont vouées à l’échec. À la veille de la COP23, ASEED fait le point et en appelle à une réaction citoyenne. Interview.

Mr Mondialisation : Les questions agricoles sont souvent absentes des conférences sur le climat ou traitées avec des solutions que vous qualifiez vous-mêmes de « greenwashing ». La COP23 fera-t-elle enfin exception ?

ASEED : Les sommets climatiques sont largement infiltrés et influencés par les grands groupes industriels par le biais du lobbying. De nombreuses entreprises polluantes se présentent plus “vertes” qu’elles ne le sont en réalité ; c’est ce que l’on appelle le “greenwashing”. Les lobbies qui les représentent ont un poids déterminant dans les COP. L’organisation de la COP21 a par exemple été financée à 20% par des organismes privés.

Pendant la COP21, ASEED a mené une campagne appelée “Guerilla contre le greenwashing”. Nous avons imprimé des autocollants rouges flamboyants avec la phrase cette entreprise est aussi verte que cet autocollant pour tourner au ridicule le “greenwashing” de certaines entreprises. Le but était de dénoncer les multinationales et leur influence dans la COP malgré une déontologie et une conscience environnementale limitées.

Maintenant, si on compare les sponsors et partenaires des COP21 et 23, on retrouve sensiblement les grands noms tels que BMW, Mini, Siemens… qui sont plutôt connus pour leurs émissions de CO2, leurs sur-emballages en plastique, leur sous-traitance pas forcément légale en matière de droits de l’Homme..

Concernant la COP23, les programmes n’ont pas encore été entièrement rendus publics. Certains thèmes et objectifs sont toutefois déjà connus. Le rôle de la COP23 sera de continuer les discussions autour de l’accord de Paris signé lors de la COP21. Les îles Fidji, présidentes de cette COP, ont annoncé leurs priorités pour cette édition. On retFrouve par exemple un suivi efficace de l’adhésion par le biais du règlement de l’Accord de Paris et les objectifs du Programme d’action mondiale pour le climat. Également à l’ordre du jour, des questions telles que le financement de l’adaptation aux changements climatiques. Rappelons ici que l’accord de Paris n’est pas légalement contraignant, et que les moyens de sa mise en œuvre ne sont pas encore clairs.

Cependant, il y a fort à parier que l’agriculture soit une nouvelle fois marginalisée lors de cette COP23. En effet, aucun des travaux préparatoires qui ont eu lieu ne nous laisse penser que l’agriculture aura une place importante. Elle risque une nouvelle fois d’être traitée comme un sujet de second plan, voire oubliée comme elle l’avait été lors de la COP21, où le terme “agriculture” est tout simplement absent dans la version finale de l’Accord de Paris.

Mr Mondialisation : Le paradoxe est important et peut laisser perplexe. En effet, changement climatique et agriculture sont deux problématiques étroitement liées…

ASEED : En effet, le système alimentaire mondial représente 29% des émissions de gaz à effet de serre, et l’élevage de bétail est responsable de 14.5% des émissions. Les chiffres varient suivant les études car il est très difficile d’estimer l’ensemble des émissions, mais la contribution de l’agriculture est dans tous les cas phénoménale.

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Tant que l’on continuera à faire participer les multinationales complices de ce système d’ultra-consumérisme polluant aux négociations politiques, les problèmes continueront de se poser, que cela soit en matière d’agriculture ou dans tout autre secteur responsable d’émissions de gaz à effet de serre. La phrase de Pascoe Sabido du CEO résume la position critique que nous avons par rapport à la tenue de la COP : “Nous ne pouvons pas négocier un accord sur le climat avec ceux qui sont responsables du changement climatique”. Ou comme disait un avocat du Tribunal Monsanto, “on ne va pas confier les clés de la banque du sang à Dracula” !

On ne peut donc nier que l’agriculture telle qu’elle est actuellement pratiquée sur une bonne partie du globe participe de façon non négligeable au changement climatique. Nous parlons ici de l’agriculture intensive, des monocultures géantes aspergées de produits chimiques, et plus largement des élevages industriels (bétail, cochons, volailles, poissons confondus) C’est tout un système de production alimentaire qui est à revoir si on souhaite combattre efficacement le changement climatique.

Dans un premier temps, on peut souligner les conséquences sur la biodiversité de l’agriculture intensive. On parle bien entendu de la disparition des abeilles, mais les conséquences vont bien au delà. Une étude allemande a récemment estimé que près de 80% de la population d’insectes a disparu d’Europe en 30 ans. Il faut également prendre en compte le problème de la pollution sur le long terme des eaux et des sols par les diffusions de produits chimiques voire toxiques, la pollution due aux transports, et bien sûr de la production agricole.

Photographie par fotdmike / Flickr (C.C.)

Les études montrant la dangerosité de certains herbicides ou pesticides (produits “phytosanitaires”) pour l’être humain ne manquent pas, mais les fabricants entretiennent le doute aux dépens de la santé des populations (voir la saga de la réautorisation du glyphosate en Europe et le poids des lobbies). On peut également citer l’exemple du Lasso (produit par Monsanto) en France suite au procès de Paul François.

A présent, si on se concentre plus spécifiquement sur les émissions de gaz à effet de serre dont la réduction a été le thème principal de l’Accord de Paris, on estime que l’agriculture représente environ un quart des émission de gaz à effet de serre dans le monde ! Ces chiffres regroupent les émissions des élevages, des cultures – y compris les rizières qui produisent de grandes quantités de méthane – , des épandages hydrogénés…

Mais il faut également ajouter l’impact de la déforestation causée par l’agriculture intensive, très gourmande en terres. En effet, l’élevage de bovins est responsable de 80% de la déforestation amazonienne. Il s’agit de transformation en terres agricoles, soit pour y faire paître directement les bovins, soit pour y cultiver du soja qui servira à les nourrir. C’est donc un amortisseur primordial des émissions de gaz à effet de serre qui est détruit au profit d’un certain type d’agriculture.

Il nous semble donc inenvisageable et imprudent de considérer le changement climatique sans prendre en considération le problème de l’agriculture. Des solutions et des alternatives existent pourtant, il suffit de se pencher sur l’action très concrète d’organisations paysannes comme la Via Campesina, ou de lire les travaux de groupes d’expert·es tels que l’IPES pour s’en convaincre.

DroughtMr Mondialisation : Qu’est ce qui peut expliquer, selon vous, ce qui semble presque être un déni de réalité de la part des dirigeants du monde ?

ASEED : Ce déni de réalité peut être analysé de différentes façons. On peut classer d’un côté la frange des climato-sceptiques. Typiquement, on peut citer la position des Etats-Unis menée par D. Trump (une “invention des Chinois”) ou les déclarations du l’ex-président N. Sarkozy qui considère comme “arrogant” de penser que les activités humaines sont à l’origine du changement climatique. Ensuite, comme nous l’avons fait précédemment, nous pouvons mentionner le rôle majeur des lobbies. Que ce soit des lobbies pétroliers, agro-alimentaires… Des entreprises interviennent au sein du processus de décision pour orienter les choix politiques en leur faveur. On peut par exemple citer le cas de Monsanto qui dispose d’un lobby tellement puissant qu’il réussit encore à retarder l’interdiction du glyphosate, l’ingrédient actif de son produit phare le Roundup malgré l’accumulation d’études montrant la dangerosité de ce produit pour les être humains, les sols, la biodiversité… C’est donc aussi une histoire de gros sous. Ainsi, l’intérêt financier surpasse souvent l’intérêt écologique.

On peut donc parler du déni de réalité de la part des dirigeants du monde, dans la mesure où tous les voyants sont au rouge, et les solutions proposées par les COP ne sont pas à la hauteur du problème.

Mais il faut également nuancer, car une partie de cette impression peut provenir du processus des COP, particulièrement long. Si on fait rapidement l’historique, on remarque qu’en 2009 à Copenhague, nous nous contentions de mettre des mots sur le problème : l’accord signé reconnaissait le changement climatique. En 2015 à Paris, nous avons défini l’objectif précis des 2%. Maintenant, pour cette COP et celles à venir, il s’agit de définir les moyens pour atteindre cet objectif.

Mr Mondialisation : Dans ce contexte, à la veille de l’ouverture de la COP 23, quel serait votre principal message à l’intention de la communauté internationale ?

ASEED : Chez ASEED, nous pensons essentiellement que les initiatives locales (lien direct entre production et consommation avec des AMAP, supermarchés coopératifs et participatifs, mais aussi potagers partagés…) sont la base d’un changement systémique global. Il faut donc que cette dite “communauté internationale” se mobilise, soutiennent ces projets durables pour qu’ils se développent et se standardisent, et adopte des conduites éco-responsables. Cependant, nous pensons également que nous ne devons pas attendre béatement des avancées majeures de la part des sommets écologiques comme la COP. Une grande partie du travail doit être assumée à l’échelon local. Que ce soit par les hommes et femmes politiques locaux, les citoyen.ne.s, les petites entreprises, coopératives et associations…

Ainsi nous préférons adresser un message directement à la société civile, dont nous font partie : informons-nous, mobilisons-nous et agissons ensemble ! En effet, le processus des COP piétine alors que la situation est grave et on ne peut pas se permettre d’attendre. Un exemple parfait d’une mobilisation citoyenne est le phénomène de développement des jardins communautaires dans les grands centres urbains. Tout le monde connaît la situation de la ville de Détroit, ancienne ville industrielle, devenue l’ombre d’elle-même et qui renaît actuellement de ses cendres notamment grâce à l’agriculture urbaine. Il faut également citer l’exemple de la ville de Rosario en Argentine, où se sont implantés plus de 800 jardins communautaires, pouvant nourrir plus de 40 000 personnes. Ce mouvement est totalement soutenu par la mairie de la ville. Et cela offre une alternative intéressante pour les habitant·es par rapport aux grandes surfaces et à l’agriculture intensive.

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Source : Propos recueillis par Mr Mondialisation

*ASEED (Action pour la Solidarité, l’Égalité, l’Environnement et la Diversité) est une petite association basée à Amsterdam. Parmi les pionnière du mouvement altermondialiste, ASEED agit principalement dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation, et cherche à éclairer les problématiques liées à nos “systèmes” alimentaires. Les membres d’ASEED, venus des quatre coins de l’Europe, se concentrent sur la promotion de mouvements locaux, l’éducation, et les actions non-violentes : aide à la création de coopératives, organisation de camps d’action climat et agriculture, publication de brochures informatives… L’association estime qu’il est impératif de développer de nouveaux modèles de consommation, alternatifs et durables, tout en rejetant toute discrimination (d’âge, de classe, de genre, d’origine, de croyance, d’orientation sexuelle…). Elle défend le droit des individus et des communautés à déterminer leurs vies, et travaille avec des groupes qui promeuvent la démocratie directe et locale, ainsi que la justice sociale.

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