C’est l’histoire d’un homme au destin hors du commun, au service de la cause animale et des forêts. Aurélien Brulé, surnommé Chanee, voue sa vie à la protection des gibbons et autres animaux menacés par la déforestation en Indonésie, pour la culture de palmiers à huile. En 1998, il créé l’association Kalaweit, qui fait depuis plus vingt ans un travail remarquable sur le terrain. Portrait.
L’association Kalaweit
Aurélien Brulé a grandi dans le Var (en France) et se rendait régulièrement enfant dans un parc zoologique afin d’étudier le comportement des gibbons (grands singes endémiques d’Asie du Sud-est). Sa passion pour les animaux fait de lui un « outcast » au collège, « le gamin un peu étrange ».
De ses observations, il écrit à 16 ans son premier livre, Le Gibbon à mains blanches, publié en 1996. Sa précocité et la pertinence de son ouvrage suscitent la curiosité dans la communauté des éthologues et primatologues.
Son modèle ? Dian Fossey, la passionaria des gorilles qui a inspiré le film Gorilles dans la brume.
L’Indonésie représente 10% des forêts tropicales de la planète, avec des écosystèmes extrêmement riches en espèces animales et végétales.
À 18 ans, avec le soutien financier de l’humoriste Muriel Robin, Aurélien décide d’aller en Indonésie, avec le rêve de voir des gibbons libres. Mais ce rêve semblait bien illusoire. Dès son arrivée en avion, il constate que le ciel est noir des fumées d’incendies en provenance des forêts d’Indonésie. Les gibbons sont non seulement victimes de la destruction de leur habitat, mais aussi du trafic de bébés gibbons, de vraies peluches que les gens adoptent comme animaux de compagnie.
Celui qui se surnomme à présent Chanee décide de venir en aide à ces animaux en créant en 1998 l’association Kalaweit. Cette association (dont le nom signifie « gibbon » en Indonésien), a pour mission la sauvegarde de ces primates et de leur habitat en Indonésie (Bornéo et Sumatra).
Le gouvernement indonésien lui donne l’autorisation de créer une structure d’accueil à Bornéo pour récupérer, soigner et sauvegarder les gibbons issus de trafics.
Les gibbons sont menacés par la déforestation intensive, notamment pour l’huile de palme, mais aussi l’extraction de bois exotiques et les mines de charbon. Dans les villages, les jeunes sont souvent victimes de maltraitance, attachés et exhibés aux touristes, puis abandonnés ou tués lorsqu’ils deviennent adultes.
Lorsqu’ils sont secourus par l’association, les animaux sont souvent traumatisés et souffrent de maladies et de malnutrition. Plusieurs semaines de quarantaine et de soins sont nécessaires avant de pouvoir rejoindre des infrastructures adaptées. Leur réadaptation à la vie sauvage se fait par étapes et, si tout se passe bien, ils peuvent être relâchés dans la nature.
Les réintroductions sont rares mais constituent à chaque fois un moment riche en émotions pour les équipes. Cependant, beaucoup de gibbons ne pourront pas quitter l’association car incapables de survivre dans la nature, handicapés ou infectés par des maladies humaines (ex : hépatite). Les relâchés sont de plus extrêmement complexes à cause de la déforestation effrénée.
Au fil des années, l’association Kalaweit se dote de plus de moyens, au niveau financier, matériel et humain. Deux centres de soin ont vu le jour, à Bornéo et à Sumatra. L’association vient au secours d’autres animaux menacés par la déforestation : gibbons, orangs-outangs, ours, oiseaux, pangolins,…
En 2003, Chanee lance la radio « Kalaweit FM » à Bornéo qui, en plus des programmes de divertissement, vise à diffuser des messages à vocation environnementale. Cette radio est devenue populaire à Bornéo, les auditeurs informent l’association et amènent les animaux aux refuges. Chanee anime également une émission de tv indonésienne intitulée « Kalaweit Wildlife Rescue ».
L’achat de réserves forestières
Nous l’avons vu, la déforestation est un problème majeur en Indonésie. Les forêts sont bien souvent détruites et brûlées par les propriétaires (souvent des industriels) en vue d’en faire des monocultures de palmiers à huile. De plus, corruption et intimidations sont fréquentes pour soutenir l’expansion des plantations de palmiers à huile.
La RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil) est une organisation internationale créée par les industriels de l’huile de Palme et le WWF en vue de promouvoir une huile de palme durable. Cependant, force est de constater que cette institution n’est en rien un outil efficace pour lutter contre la déforestation : en effet, créée en 2004, aucune nette amélioration de la situation n’a été constatée, bien au contraire.
L’Indonésie est défigurée par l’industrie de l’huile de palme, c’est l’un des pays les plus touchés au monde par la déforestation. En 50 ans, elle a perdu la moitié de sa surface en forêts. Le rythme actuel est tel que la surface de 6 terrains de football disparait chaque minute en Indonésie.
Les habitats naturels sont gravement menacés, et s’ajoute à cela le trafic d’animaux sauvages. La plupart des tigres, éléphants, rhinocéros ou léopards ont disparu.
La solution trouvée par Chanee ? Acheter les forêts là où c’est possible et protéger ainsi la biodiversité. Depuis la création de l’association, environ 1200 hectares de forêt ont déjà été protégés à Bornéo et Sumatra, afin d’éviter qu’elles ne tombent aux mains d’industriels. Ces réserves sont surveillées par des patrouilles quotidiennes (équestres et aériennes). Le projet Dulan, lancé en 2018, vise à préserver une forêt de 1500 ha peuplée d’orangs-outans.
Un projet à impact social
Le fonctionnement du projet passe par l’intégration de la population locale et des autorités. L’embauche de personnel local créé une proximité et un lien avec les villageois qui s’intéressent ainsi à la protection de leur forêt. La lutte contre le braconnage ou contre les coupes de bois illégales se fait en collaboration avec la police indonésienne.
Chanee mesure l’importance d’informer les villageois sur la biodiversité et de les impliquer dans les décisions en faveur de la protection de l’environnement mais aussi de leur santé : les feux de forêt occasionnent des affections respiratoires en raison des fumées toxiques provenant des incendies illégaux.
Avec le temps, les populations sont devenues des partenaires de l’association. Les Orang Rimba, une ethnie de Sumatra, affirment que si les gibbons ne chantent plus, ils n’auront plus d’avenir.
La mission d’éducation à l’environnement menée par Chanee dépasse les frontières. Il écrit des livres pour faire connaitre les animaux et son combat. Dans l’Hexagone, il présente avec Muriel Robin la série « Sur la terre… », pour sensibiliser à la cause des espèces en danger. En Angleterre, la BBC lui a consacré une série « Radio Gibbon ».
Mais comment agir lorsque l’on est si loin de l’Asie ? La distance n’est qu’apparente, car nos modes de vie ont des répercutions partout sur la planète. L’huile de palme en est le meilleur exemple, on la retrouve dans de nombreux produits alimentaires, les produits d’hygiène, les produits ménagers, les biocarburants…
Les solutions consistent à s’interroger sur son mode de vie et de consommation, à étudier les étiquettes et arrêter d’acheter les produits contenant de l’huile de palme, même « durable ».
Chacun peut agir à son niveau et interpeler les supermarchés et les grandes firmes de l’agro-industrie.
Comme l’indique Chanee : « En Indonésie, on brûle des forêts pour faire de l’huile de palme ; en Amazonie, ce sera pour des pâturages ou d’autres plantations. On n’a plus le temps pour les grands discours, il faut agir. »
Si rien n’est fait, les forêts auront disparu des îles indonésiennes d’ici 2030…
Depuis la création de Kalaweit, plus de 1500 animaux sont passés par ses centres : gibbons, siamangs, ours, panthères, tigres, crocodiles…
L’association fonctionne grâce au soutien des particuliers ou de mécènes, de parcs animaliers ou des associations de défense des animaux. Actuellement, elle emploie plus de 70 personnes : soigneurs, vétérinaires, gardes, animateurs radio, équipe administrative.
Chacun peut aider l’association en parrainant un animal, en participant à l’achat de réserves de forêt, ou en devenant ami de Kalaweit.
Olivier Rousselle
Sources
Le Gibbon à mains blanches, 1996, Presses du Midi
Association Kalaweit : https://www.kalaweit.org/
https://www.fondationlepalnature.org/?page_id=433
https://www.fondationbrigittebardot.fr/aide-internationale-indonesie-kalaweit/
https://www.baliautrement.com/kalaweit.htm
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