« Pervers.e narcissique » : voilà un terme aujourd’hui galvaudé qui, employé à tout va, ne vaut cependant rien sur le plan scientifique. En revanche, le comportement narcissique du point de vue des sciences sociales pourrait, quant à lui, nous en apprendre davantage sur les mécanismes aliénants de nos sociétés modernes. Dossier de fond sur le Narcisse contemporain.
Phénomène complexe de plus en plus étudié, le narcissisme serait, selon nombre de psychologues, un trait essentiel à la construction de notre identité, jusqu’à une certaine mesure. En effet, lorsque excessif, il peut devenir pathologique : on parle alors du « trouble de la personnalité narcissique », source de souffrance à la fois pour l’individu qui en est atteint et pour son entourage.
Mais comment s’en prémunir ? En fin de compte, le narcissisme est-il une caractéristique inhérente à l’être humain ou plutôt le produit de notre société postmoderne occidentale ? Quels liens peut-on établir avec les systèmes d’oppression qui régissent notre monde ?
Pour mieux appréhender ce concept et apporter des réponses à la hauteur de la complexité de ces questions, un voyage dans le temps s’avère indispensable.
Le narcissisme sous le regard des philosophes
Le concept de narcissisme trouve ses racines dans la mythologie grecque, plus précisément dans le mythe de Narcisse, dont l’histoire la plus approfondie est contée dans le Livre III des Métamorphoses d’Ovide (Ier siècle).
Selon la légende, Narcisse était un apollon dont la beauté n’avait toutefois d’égal que sa prétention et son arrogance. Témoignant d’un profond désintérêt face aux sentiments et émotions d’autrui, il méprisait quiconque tombait amoureux de lui, y compris la nymphe Écho. Éperdument éprise de lui mais éconduite, cette dernière voulut s’assurer que si elle ne pouvait le conquérir, personne d’autre ne le pourrait jamais. Pour cela, elle fit appel à la déesse de la vengeance, Némésis, qui conduit un jour Narcisse vers une source d’eau où il aperçut son reflet pour la première fois.
Ivre d’amour pour sa propre image, il la contempla jusqu’à dépérir, consumé par son désespoir de ne pouvoir recueillir sa propre beauté. Il succomba en se transformant en la fleur qui porte aujourd’hui son nom, le narcisse.
Le concept du narcissisme, aujourd’hui largement exploré en psychologie, philosophie, littérature et sciences sociales, trouve donc son berceau dans la Grèce antique. Par la suite, de nombreux philosophes se sont penchés sur le sujet, même si le terme en soi n’a commencé à être utilisé que vers la fin du XIXe siècle.
Bien qu’il n’ait pas étudié le narcissisme en tant que tel, Socrate était un précurseur des concepts de connaissance de soi et de l’autoréflexion, établissant les bases-même de la philosophie telle qu’on la connaît aujourd’hui. Dans son dialogue philosophique Le Banquet (380 a.v. J.-C.), Platon a quant à lui introduit l’idée d’amour de soi, de quête de beauté superficielle et de satisfaction personnelle : il y explique comment chaque être humain est à la recherche de sa moitié, pour se compléter soi-même, le but étant in fine de trouver sa propre image idéale.
Aristote, à son tour, a présenté la forme minime, voire nécessaire du narcissisme, ce qu’il qualifiait de « bon égoïsme », c’est-à-dire l’éthique personnelle – l’affirmation et l’épanouissement de soi à travers des actions moralement justes. Philon d’Alexandrie, philosophe juif hellénisé né en 25 av. J.-C., a également abordé les thèmes de l’amour de soi et de satisfaction personnelle dans ses écrits. Par la suite, le mythe de Narcisse a illustré la notion fondamentale du narcissisme excessif, à savoir l’orgueil extrême, l’arrogance, l’égocentrisme, la vanité et le manque d’empathie.
Quelques millénaires après la naissance de Narcisse, le narcissisme est devenu un élément majeur de la philosophie occidentale. Jean-Jacques Rousseau, au XVIIIe siècle, a fait la distinction entre amour propre et amour de soi, le premier étant un narcissisme égocentrique fondé sur les mondanités et le désir de briller seul, le second une reconnaissance du monde à travers soi et inversement, émanant d’un sentiment d’existence commune et de résonance entre les êtres.
Les précurseurs du mouvement existentialiste, Søren Kierkegaard (1813-1855) et Friedrich Nietzsche (1844-1900), ont largement exploré l’individualisme. Kierkegaard s’est notamment penché sur l’angoisse existentielle, la fragilité et la faiblesse du « soi ». Selon lui, « Le moi est un rapport se rapportant à lui-même, il est dans le rapport l’articulation de ce rapport, le moi n’est pas le rapport, mais le retour sur lui-même » (1993). On retrouve ainsi une définition égocentrée du « moi » qui bannit toute idée de l’autre.
Nietzsche, quant à lui, a influencé la compréhension du narcissisme par son idée notamment de « volonté de puissance », c’est-à-dire selon lui, « l’essence la plus intime de l’Être » qui pousse chaque individu à rechercher l’affirmation et l’accomplissement de soi. Une force intérieure positive dans son essence, mais qui, lorsque excessive et mal dirigée, peut conduire notamment à la mégalomanie et à une volonté de domination d’autrui.
Nietzsche a également développé le principe du « Surhomme » (Ubermensch), l’incarnation de la volonté de puissance suprême, un individu de « nature égale au divin » qui transcenderait les conventions morales et sociales pour créer ses propres valeurs et se réaliser pleinement. Contrairement à certaines interprétations erronées de son travail, Nietzsche soumettait ici principalement l’idée d’une recherche d’authenticité, tout en restant conscient de ses propres faiblesses, le but n’étant pas de basculer dans une obsession excessive de soi.
L’amour du prochain : une expression sublimée du narcissisme ?
L’une des références les plus parlantes au narcissisme dans l’œuvre de Nietzsche se trouve dans la première partie de l’ouvrage Ainsi parlait Zarathoustra (1883), intitulée « De l’amour du prochain » :
« Vous vous pressez autour du prochain et vous exprimez cela par de belles paroles. Mais je vous le dis : votre amour du prochain, c’est votre mauvais amour pour vous-mêmes. Vous vous réfugiez auprès du prochain pour vous fuir vous-mêmes et vous voudriez vous en faire une vertu : mais je perce à jour votre « désintéressement» […] Vous ne pouvez vous supporter vous-mêmes et vous ne vous aimez pas suffisamment : or vous voulez détourner le prochain vers l’amour et vous dorer de son erreur. […] Vous invitez un témoin quand vous voulez dire du bien de vous-mêmes ; et quand vous l’avez induit à bien penser de vous, alors vous pensez du bien de vous-mêmes. […] Votre mauvais amour pour vous-même a fait pour vous de la solitude une prison. »
Cette description fait état d’un narcissisme dans son essence : un amour propre excessif qui est en réalité une dévalorisation cachée de soi s’exprimant par le besoin d’être approuvé par le regard de l’autre. Le manque d’amour pour soi engendrerait de ce fait une recherche d’affection chez autrui. Cet amour du prochain se veut ainsi une forme déguisée du narcissisme, une tendance à l’appropriation qui se cache sous des airs d’altruisme.
Si techniquement, l’amour de soi conduit à aimer l’autre, ce ne serait finalement que pour revenir à soi par une route tortueuse. L’amour de soi deviendrait, quand on s’y penche de plus près, la haine de soi, et ce qui nous mène à aimer autrui serait en réalité la recherche d’un amour que l’on ne parvient pas à se porter à soi-même. L’affection de l’autre devient alors une quête de validation, un besoin viscéral pour pouvoir s’aimer soi-même, un mensonge proféré à la fois à l’autre mais aussi, et avant tout, à soi-même, de manière inconsciente.
Les travaux de Nietzsche ont fortement été influencés par l’écrivain Fiodor Dostoïevski avec qui il partageait notamment sa remise en question des dogmes religieux. Dans Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche écrit également que « Dieu est mort et nous l’avons tué ». Dans Les Frères Karamazov (1879), Dostoïevski avait écrit quant à lui : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis. ». L’absence de Dieu peut exprimer l’absence d’amour, de compassion et d’unité, menant à se questionner sur ce qui nous empêche réellement d’effectuer des actions moralement injustes si ce n’est la peur de la punition. La sensation que nos comportements devraient être régis par la manière dont ils nous affectent nous-mêmes et non autrui est, en fin de compte, au cœur du narcissisme.
Des philosophes phénoménologiques ont également ouvert des portes de réflexion sur le narcissisme, bien qu’eux non plus n’aient pas abordé le sujet de manière directe mais plutôt sur le plan de la conscience de soi et de l’ego. Le fondateur de la phénoménologie, Edmund Husserl (1859-1939) a notamment développé le concept du « je » transcendantal, le point de départ de toute expérience consciente. Ces travaux ont par ailleurs inspiré Jean Paul Sartre, plus particulièrement son essai La Transcendance de l’Ego (1934). Dans son ouvrage Être et temps (1927), Martin Heidegger (1889-1976) a, de son côté, examiné comment l’individu se rapporte à lui-même, à l’existence, et à l’autre, soulignant également sa tendance à être préoccupé par lui-même.
De la philosophie à la psychanalyse…
Si selon de nombreux spécialistes, le narcissisme est une caractéristique intrinsèque de l’être humain, sa compréhension ne s’est approfondie que vers la fin du XIXe siècle avec la naissance de la psychanalyse. Le terme « narcissisme » n’est finalement apparu qu’en 1887, employé pour la première fois par le psychologue français Alfred Binet (1857-1911).
De son côté, Sigmund Freud (1856-1939), le père de la psychanalyse, a publié plusieurs ouvrages traitant de ce concept, dont Pour introduire le narcissisme (1914). Selon lui, il existe un narcissisme primaire et un narcissisme secondaire.
Le premier correspond à une composante essentielle du développement de l’individu : « le premier narcissisme, celui de l’enfant qui se prend lui-même comme objet d’amour avant de choisir des objets extérieurs » (Vocabulaire de la psychanalyse, Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis, 1967). Le narcissisme secondaire prend quant à lui racine dans le détachement de l’individu de sa dépendance primaire à l’égard de lui-même. Il se tourne alors vers le monde extérieur mais pour mieux s’y retrouver, il s’agit de l’amour de l’objet dans lequel il s’aime lui-même. Toutefois, plus cet amour se concentre sur le « moi », plus il s’éloigne de l’objet.
Freud a également abordé le concept de « blessures narcissiques », c’est-à-dire des atteintes au narcissisme, plus précisément des altérations de l’estime de soi. Selon lui, l’avènement des sciences a infligé trois blessures narcissiques majeures à l’humanité, constituant une claque de taille au visage de l’anthropocentrisme ambiant.
La première a été copernicienne (la Terre n’est pas le centre de l’Univers), la seconde darwinienne (l’Homme est un animal comme les autres) et la troisième, psychanalytique, avec la découverte de l’inconscient (« malgré toutes les apparences et les croyances, l’homme n’était jamais le souverain de son âme »).
De manière générale, les blessures narcissiques peuvent avoir pour source des rejets, des humiliations, des déceptions etc., influençant par la suite le développement de la personnalité de l’individu qui peut alors devenir sujet à des troubles psychologiques.
Freud aborde également le narcissisme à travers sa théorie du « moi idéal », une représentation idéalisée qu’un individu peut avoir de lui-même, un modèle de soi-même qui reflète ce que l’on aimerait être. Cet « idéal du moi » se développe dès le plus jeune âge, lorsqu’on est sujet aux réactions et aux attentes de diverses figures d’autorité, mais aussi quand on commence à comprendre les valeurs et les normes imposées par la société. Le moi idéal influence le développement de la personnalité de tout un chacun, des comportements qui lui seront liés et de sa propre perception de ces dits comportements.
Contrairement à Freud, qui considérait le narcissisme comme une étape naturelle du développement, Carl Jung (1875-1961), le fondateur de la psychologie analytique, le voyait plutôt comme un déséquilibre potentiel dans la psyché. Il a développé le concept des archétypes, des structures innées de l’inconscient collectif, dont par exemple les aspects refoulés de la personnalité ou l’aspect féminin de la psyché d’un homme et vice versa. Il a également mis l’accent sur l’individuation qui fait référence à la réalisation de soi et le développement de la personnalité complète. Pour lui, l’ego, le « complexe moi » est au centre de la conscience d’un individu et il est important dans la structuration de la personnalité, la perception de soi et la relation avec le monde extérieur. D’après lui, le narcissisme correspond à une sur-identification à l’ego, au détriment d’autres aspects de la psyché, constituant dès lors un obstacle au processus d’individuation.
En 1939, Heinz Hartmann (1894-1970) a développé le concept du « self » (soi), dans le but de distinguer celui-ci du « moi » : « On clarifierait les choses en définissant le narcissisme comme l’investissement libidinal non du moi (ego) mais du soi (self) » (Comments on the Psychoanalysis Theroy of the Ego, Psychoanalysis Study of the Child, 1949). Faisant suite à ces travaux, vers le début des années 1970, le psychanalyste Heinz Kohut poursuit l’élaboration de la « psychologie du self » pour étudier les pathologies narcissiques qui, selon lui, sont gouvernées par un « soi grandiose ».
Médecin et psychanalyste français d’origine hongroise, Bela Grunberger est particulièrement connu pour son interprétation de la théorie du narcissisme. S’appuyant sur les travaux de Freud et élargissant ses idées, il publie Le Narcissisme (1972), un livre qui devient rapidement une référence pour nombre de psychanalystes. Selon lui, la sensation de toute-puissance qui peut être ressentie par l’homme viendrait avant tout de sa vie intra-utérine. Il définit le narcissisme primaire comme la première phase de l’amour de soi et de la construction de l’ego chez le nourrisson.
Elle serait une phase de développement normale où le bébé se perçoit comme le centre du monde et recherche la satisfaction de ses besoins. Dans ses écrits, il souligne que le narcissisme continue d’être une force puissante dans la vie psychique de l’individu, même à l’âge adulte. Il estime qu’il est indispensable pour maintenir un sentiment de cohérence et de continuité du moi, ce qui permet à l’individu de gérer les tensions entre les désirs et la réalité. Cependant, Grunberger note que les degrés de narcissisme varient d’un individu à l’autre, pouvant aller du narcissisme sain et nécessaire au narcissisme pathologique.
Du narcissisme sain à la pathologie : le trouble de la personnalité narcissique
Otto Kernberg, psychiatre et psychanalyste américain, auteur de La personnalité narcissique (1980), a étudié le narcissisme pathologique, sous l’angle des troubles de la personnalité. Il s’est particulièrement concentré sur l’organisation défensive du narcissisme qui paraît semblable à celle des pathologies « limites » (trouble de la personnalité borderline, par exemple). Selon lui, les défenses narcissiques jouent un rôle majeur dans le narcissisme pathologique. Celles-ci constituent des mécanismes de protection spécifiques voués à protéger l’estime de soi fragile des individus souffrant de narcissisme, leur permettant ainsi d’éviter d’avoir à confronter leurs propres faiblesses et de maintenir une image de soi grandiose.
Selon Kernberg, les personnes atteintes du trouble de la personnalité narcissique ont une estime de soi fragile, une dépendance à l’approbation des autres, un manque d’égard envers les besoins d’autrui, et une tendance à exploiter leur entourage pour leurs propres besoins et désirs. Comme pour le trouble de la personnalité borderline, les individus narcissiques ont souvent des relations interpersonnelles instables, alternant notamment entre idéalisation et dévaluation de leurs partenaires. Pour Kernberg, le narcissisme est un masque destiné à cacher une profonde insécurité. Ce masque serait maintenu par les défenses narcissiques, ce qui rend difficile pour ces personnes de faire face à leur réelle vulnérabilité.
Cette théorie n’est cependant pas tout à fait véridique comme en témoigne la découverte plus tard de deux types distincts de narcissisme pathologique : le narcissisme grandiose et le narcissisme vulnérable, les deux se différenciant principalement par des variations de l’estime de soi (celle-ci étant plus fragile dans le second cas qui s’accompagne également de moins d’agressivité, même si les comportements qui lui sont liés n’en sont pas moins toxiques). Ces états pourraient toutefois se succéder chez une même personne de personnalité narcissique. Un documentaire édifiant à regarder sur le sujet est « Moi, narcissique », épisode de la série « Psycho » d’Arte.
D’après la symptomatologie actuelle du trouble de la personnalité narcissique (qui ne cesse d’évoluer, précisons-le, tant le trouble est encore mal compris), un individu qui en souffre a simultanément un sentiment permanent de supériorité, un manque d’empathie et un besoin constant et excessif d’être admiré et complimenté. Il aura tendance à faire preuve d’un comportement arrogant, à surestimer notablement ses propres capacités et à exagérer ses accomplissements tout en dénigrant les capacités des autres qu’il considère inférieurs, cherchant à s’entourer systématiquement de personnes « spéciales », se considérant lui-même comme tel.
Ses exigences envers autrui sont particulièrement élevées et il s’attend à ce que ses envies soient systématiquement satisfaites. Son estime de lui-même peut paraître très élevée, mais elle est aussi très fragile face à la critique et au rejet, comme parfois aux opinions contraires aux siennes, pouvant ainsi susciter chez lui des réactions violentes. Les individus narcissiques sont enclins à la manipulation pour arriver à leurs fins et peuvent paraître extravertis et charmeurs de prime abord mais aussi avoir recours à l’auto-victimisation pour susciter de la compassion. Il ressort généralement de leur comportement une volonté de contrôle et de domination. Passés maîtres dans l’art de créer leur propre réalité par manque d’identité, ils supportent généralement très mal la solitude en raison d’un besoin viscéral et démesuré d’une attention extérieure constante, de recevoir des retours positifs d’autrui pour se sentir exister. La symptomatologie du trouble de la personnalité narcissique est très bien illustrée par le psychologue clinicien Samuel Mergui, dans la vidéo de la chaîne Psychorama ci-dessous :
Il faut garder à l’esprit que ceci ne constitue pas une description exhaustive des symptômes du trouble de la personnalité narcissique qui peuvent varier selon les individus. Par ailleurs, il faut bien distinguer le narcissisme grandiose du narcissisme vulnérable, le dernier se manifestant par une sensibilité émotionnelle plus élevée et une certaine introversion. De surcroît, les personnes qui présentent des traits de personnalité narcissique ne le sont pas automatiquement de manière pathologique.
Comment distinguer ce qui est de l’ordre du pathologique et ce qui tient de notre imperfection humaine naturelle au sein de relations incontournablement complexes, parfois conflictuelles et empreintes d’un narcissisme « ordinaire » ? C’est tout l’enjeu d’un diagnostic professionnel, qui se veut avant tout déclenché par une souffrance ou une détresse profonde. En effet, on parle de maladie lorsque ce narcissisme devient source de souffrance et altère le fonctionnement normal d’un individu dont la vie se retrouve affectée négativement sur un ou plusieurs plans (personnel, familial, social, professionnel). En fin de compte, seul un psychiatre peut établir un véritable diagnostic, en se basant sur les symptômes décrits dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM). Le sujet en doit présenter au moins cinq.
Il faut bien comprendre que cette description ne cesse d’évoluer au fur et à mesure que la pathologie est mieux comprise et qu’à ce jour, il s’agit d’un trouble difficile à diagnostiquer, c’est pourquoi nous devons tous faire preuve de prudence avant de coller ce type d’étiquette sur une personne ou sur soi-même en sachant que traiter quelqu’un de « pervers.e narcissique » (terme vide de sens dans le domaine de la psychiatrie, qui veut à la fois tout et rien dire) est aujourd’hui presque devenu une tendance. Les diagnostics en psychiatrie sont souvent très compliqués à établir et peuvent prendre un temps considérable, d’autant que chacun d’entre nous est doté d’un ensemble complexe et unique de traits psychologiques, influencés à la fois par nos gènes et notre environnement. Pour les troubles bipolaires par exemple (autrefois rangés sous le prisme de la « maladie maniaco-dépressive »), qui sont pourtant étudiés depuis plus longtemps, le diagnostic prend en moyenne dix ans. Attention ainsi à ne pas basculer dans des jugements hâtifs qui pourraient être cause de souffrance.
Notons également que le trouble de la personnalité narcissique peut s’accompagner d’autres pathologies telles que la dépression, l’anorexie, les addictions (alcool, drogues etc.), un autre trouble de la personnalité (borderline ou antisocial par exemple)… Des chercheurs ont suggéré la notion de triade noire de la personnalité, celle-ci incluant le narcissisme, le machiavélisme et la psychopathie. A cela pourrait s’ajouter le sadisme dans un concept de tétrade.
Que sait-on des origines du trouble ?
Le peu d’études qui ont été faites sur le sujet ne permettent pas de connaître avec précision les origines du trouble de la personnalité narcissique. Il existe toutefois plusieurs théories qui se focalisent essentiellement sur les relations de l’individu avec ses parents durant son enfance et qui ne lui auraient pas permis de développer une identité stable en grandissant.
Ce trouble pourrait se développer notamment chez des enfants ayant été maltraités ou abandonnés, ou au contraire, ceux qu’on aurait traités comme des enfants-rois. L’une des explications les plus logiques semble être le manque de validation des émotions de l’enfant par un parent, perturbant ainsi la construction d’une image stable de lui-même, ce qui peut donc le conduire au fil du temps à rechercher ce type de validation auprès d’autrui plutôt qu’en lui-même. D’où cette quête incessante d’acceptation/d’admiration et le rejet de toute critique sur lesquels se construit l’identité des personnes souffrant du trouble de la personnalité narcissique. La génétique jouerait également un rôle considérable dans le développement de celui-ci.
Une vidéo très instructive à visionner également fait un état des lieux des études qui ont été menées sur le trouble de la personnalité narcissique, par Pedro Sanchau, docteur en psychologie cognitive :
Bien qu’on ne comprenne pas encore tout à fait l’origine et l’expression du narcissisme pathologique, on constate cependant que le point commun à tous ceux qui en sont atteints réside principalement dans leur agressivité dans les relations interpersonnelles dans le but d’obtenir une reconnaissance exacerbée. Cette pathologie psychiatrique fait partie des plus complexes à traiter. En premier lieu parce qu’une personne narcissique aura rarement tendance à le reconnaître et à accepter d’aller consulter un spécialiste en ce sens. Le diagnostic est souvent établi lors de consultations à l’origine destinées pour faire face à un autre problème (ex : dépression). En fin de compte, le manque de patients est directement lié au manque d’études et il n’existe à ce jour aucun traitement précis qui pourrait avoir des résultats probants même si certaines thérapies peuvent être utiles comme le mentionne Pedro Sanchau dans sa vidéo ci-dessus.
Comment se libérer d’une emprise psychologique d’un manipulateur narcissique ?
Le besoin d’attention et de reconnaissance conduit souvent une personne atteinte du trouble de la personnalité narcissique à manipuler son entourage et plus particulièrement sa/son partenaire. Il est très difficile de mettre fin à ce type d’emprise. Ces individus ont des comportements particulièrement insidieux et destructeurs dans leurs relations amoureuses qu’ils perçoivent sous l’angle de la domination et où ils peuvent être les auteurs de graves violences psychologiques, voire physiques et sexuelles, envers leur partenaire.
Au début, c’est la vie en rose. Tout commence par du love bombing…
Au début, rapportent les témoignages, c’est la vie en rose. Tout commence par du love bombing (« bombardement d’amour » : des démonstrations d’amour intenses, voire excessives) et une accélération notable du processus normal de l’évolution d’une relation (il n’est pas rare que ces couples emménagent ensemble, se marient et aient des enfants très vite). N’ayant pas d’identité qui leur est propre, les narcissiques peuvent facilement s’inventer la personnalité idéale pour plaire à la personne qu’ils essaient de séduire. C’est alors l’amour fou, l’amour unique, l’amour magique… et c’est ce qui rend aussi difficile la suite des événements.
Une fois le masque tombé (chose qui arrive graduellement, avec une succession de situations pouvant paraître d’abord étranges puis, inacceptables), il est pour autant très difficile pour la victime de sortir de la relation. Elle finit par accepter graduellement l’abus mental qu’elle subit, en trouvant systématiquement des excuses au comportement de son partenaire. A force de gaslighting (déni de l’abuseur, déformation des faits etc.), sa propre perception se retrouve perturbée jusqu’à ce qu’elle finisse par douter de sa propre santé mentale.
Elle peut se retrouver rapidement isolée de ses proches (les individus narcissiques étant souvent particulièrement jaloux et possessifs), mettre à l’arrêt la plupart de ses activités et parfois même perdre son travail (étant donné que toute activité qui exclut de donner son attention au narcissique est la plupart du temps, selon lui, à proscrire).
La compassion pour cet individu incapable lui-même d’en faire preuve devient un piège duquel il très est difficile de se libérer. Le stress quotidien d’une relation à ce point épuisante peut donner lieu à des problèmes psychologiques (dépression par exemple) mais aussi divers troubles psychosomatiques. La suite d’une telle relation est souvent une profonde détresse psychologique, comparable à un stress post-traumatique.
Ce trouble de la personnalité est, à l’heure actuelle, très peu soigné, et même en cas de prise en charge, cette dernière demeure des plus complexes. Il s’agit d’un travail de longue haleine qui peut nécessiter des années avant de pouvoir constater une réelle amélioration. C’est pourquoi, le conseil le plus fréquent donné par les psychologues dans une telle relation est… de prendre ses jambes à son cou. Couper tout contact avec la personne en question si possible, ne pas rester soi-même isolé, requérir une aide psychologique et reprendre ses activités pour se reconstruire peu à peu.
Une BD à la fois édifiante et ludique qui traite de ce sujet, Tant pis pour l’amour (2019), de Sophie Lambda, raconte comment elle a réussi à se reconstruire après s’être retrouvée entraînée dans une spirale infernale. Vous pouvez retrouver une interview de son autrice ici.
« Quand Sophie rencontre Marcus, elle tombe amoureuse en 48h. Elle qui était si cynique en amour, cette fois, elle y croit. Sauf qu’il se révèle vite étrange. Sophie a alors besoin de comprendre ce qui ne va pas. Confronté à ses mensonges et ses incohérences, il a des réactions violentes, des excuses pour tout et arrive à se sortir de chaque impasse. Mais jusqu’à quand ? Sophie aime un manipulateur narcissique. »
Pour aller plus loin, lire également les livres Le harcèlement moral: La violence perverse au quotidien de Marie-France Hirigoyen et Le décodeur de la manipulation d’Yves-Alexandre Thalmann, ainsi que l’article « Quelle prise en charge pour les victimes de violences psychologiques ? » de Philippe Vergnes, conseillés par Pedro Sanchau dans sa vidéo plus haut.
Le narcissisme : une pathologie genrée, symbole-même du patriarcat ?
Dans un article intitulé « Pervers narcissiques ou enfants sains du patriarcat ? », Elisande Coladan, psychothérapeute féministe dans le domaine de l’accompagnement des femmes victimes de violences psychologiques, physiques et sexuelles, soutient qu’il est essentiel de remettre ce type de pathologies dans le contexte social dans lequel elles s’expriment :
« Selon les spécialistes, la structure psychique du pervers narcissique est telle qu’il n’y a justement « rien à faire » face à lui, si ce n’est prendre les jambes à son cou et le fuir. Cet être serait irrémédiablement clivé. Je me demande pour ma part si ce n’est pas plutôt que ce genre d’individu se sent protégé, par une société qui lui permet d’agir en toute impunité dans une sorte de « toute puissance ».
[…] Les hommes auraient ainsi des accès de démence, irrésistibles et incompréhensibles ou une structure psychique, une maladie mentale qui les feraient agir de la sorte. Ceci sans tenir compte du contexte social et notamment des mécanismes oppressifs et de domination existants dans notre société patriarcale. Ce sont typiquement les caractéristiques de la culture du viol, qui tend à déresponsabiliser les auteurs de violences sexuelles. C’est le même mécanisme qui est mis en place, pour les crimes passionnels, qui sont en fait des féminicides. Classiquement, quand une femme veut quitter son compagnon ou même, quand elle commence à se révolter contre certains agissements, comme une jalousie extrême, des interdictions l’empêchant d’agir librement, des tentatives de l’isoler de son entourage social et familial, un homme devient, encore une fois, comme fou et ne se maîtrise plus. Prenant parfois une arme occasionnelle, il va agresser physiquement sa compagne, allant jusqu’à la tuer. D’autres fois, c’est une colère « froide » qui va l’amener à agir avec préméditation, selon un plan conçu pour le laisser libre de tout soupçon. Depuis des temps immémoriaux, la folie a permis d’expliquer ces agissements qui sont, en fait, des mécanismes de domination, dans lesquels la femme est vue comme un objet qu’il faut pouvoir soumettre, voire faire disparaître si elle se révolte.
[…] Si au lieu de se concentrer essentiellement sur les caractéristiques psychiques de ces individus, le regard se portait sur les structures sociales qui leur permettent d’évoluer à leur aise et de répéter leur comportement de relation en relation, un véritable travail d’éducation et de prévention se mettrait en place qui pourrait amener un réel changement. »
75 % des personnes diagnostiquées avec le trouble de la personnalité narcissique sont des hommes.
Le narcissisme féminin, une internalisation d’une certaine misogynie ?
D’après le DSM-5 (dernière édition en date du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, et des troubles psychiatriques, de l’Association américaine de psychiatrie), 75 % des personnes diagnostiquées avec le trouble de la personnalité narcissique sont des hommes.
Selon les conclusions de l’étude « Female Narcissism: Assessment, Aetiology, and Behavioural Manifestations », publiée dans la revue scientifique Psychological Reports en 2022, « la surreprésentation des hommes et la sous-représentation concomitante des femmes dans la littérature sont révélatrices de la symptomatologie de la personnalité narcissique, qui ressemble beaucoup au stéréotype masculin des hommes dans la société. […] Même si l’essence du narcissisme fonctionne de la même manière selon le sexe, les expressions extérieures ont tendance à différer. ».
Par ailleurs, si le narcissisme grandiose (forme la plus agressive du narcissisme et qui présente des caractéristiques communes – dont la quête de domination – avec la masculinité toxique), a plutôt tendance à être diagnostiqué chez les hommes, le narcissisme vulnérable touche au contraire, plutôt les femmes. Ce dernier, plus susceptible d’être soigné, est toutefois plus difficile à détecter et peut parfois être diagnostiqué à tort comme un trouble de la personnalité borderline.
Le narcissisme : une tendance naturelle encouragée par la modernité ?
Rappelons que le narcissisme serait avant tout un trait naturel de l’être humain, étroitement lié à des mécanismes primordiaux dans l’élaboration de toute personnalité, c’est-à-dire la construction de l’identité, l’individuation, l’estime de soi et l’autonomisation. Il s’agit d’une caractéristique indispensable à la confiance en soi et à l’intégration dans la société.
Toutefois, l’orgueil, la vanité, la prétention, l’égocentrisme ou encore par exemple le mépris d’autrui poussés à leur paroxysme en sont une version exacerbée. Et au-delà de la pathologie, l’existence de ce narcissisme est devenu un sujet de préoccupation croissant dans nos sociétés.
De nos jours, l’individualisme, la culture de la célébrité, le consumérisme et la montée en puissance des réseaux sociaux (temples de l’auto-promotion et de la validation sociale qui jouent notamment sur notre peur de la solitude), encouragent son développement excessif. Si l’histoire nous montre que le narcissisme à outrance avait déjà une place prépondérante dans les sociétés passées, plus particulièrement au sommet de la pyramide sociale, notre époque se distingue par le fait qu’il s’exprime aujourd’hui en excès à large échelle, notamment dans les pays occidentaux.
Montrer une image positive de soi est devenu primordial. En outre, les inégalités économiques et sociales, dont le fossé se creuse chaque jour davantage, encouragent la compétition et donc le narcissisme, incitant tout un chacun à se focaliser toujours plus sur lui-même pour parvenir au succès et maintenir/améliorer sa position dans la hiérarchie sociale.
Le sociologue français Émile Durkheim, a ainsi notamment forgé le concept d’anomie, un sentiment de désintégration sociale et de perte de valeurs collectives, conduisant les individus à se concentrer excessivement sur leur propre bien-être, ignorant graduellement les besoins et les attentes de la société dans son ensemble.
Gilles Lipovetsky, philosophe et sociologue français, considère quant à lui le narcissisme comme un élément majeur de la culture contemporaine, plus particulièrement dans les pays occidentaux. Il explique comment l’individualisme, la quête de l’apparence et de la reconnaissance personnelle, ainsi que la prédominance de l’image dans la société contribuent au développement du narcissisme dans le monde moderne.
Elizabeth Roudinesco, historienne et psychanalyste française, de son côté, lie cette période contemporaine au narcissisme par la culture moderne qui met l’accent sur la performance, la réussite, la consommation, la quête de gratifications immédiates, les attentes irréalistes et les pressions sur les individus. Face à ces attentes impossibles à satisfaire, beaucoup de personnes se sentent impuissantes et développent des symptômes de dépression. Le narcissisme peut y être associé comme tentative de se protéger en construisant une image grandiose de soi, en recherchant l’admiration et la validation.
Le narcissisme peut-il toutefois être positif ? Quelle est la limite de sa toxicité ? Une hypothèse serait de dire que le narcissisme peut être émancipateur en tant que mécanisme d’autodéfense pour reconquérir une estime de soi bafouée mais qu’il devient excessif lorsque privateur d’empathie.
On peut prendre ici l’exemple du féminisme qui est perçu par d’aucuns comme une forme de narcissisme mais qui ne répond finalement qu’à des siècles d’oppression et de narcissisme masculin dominant. Il s’agirait ainsi d’un narcissisme compensatoire sain et nécessaire pour remettre l’homme et la femme sur un pied d’égalité. Dans ce domaine, un narcissisme excessif serait de prétendre que la femme est supérieure à l’homme, chose qui, même si elle découlerait d’une volonté de s’auto-protéger, ne saurait conduire à une société plus juste.
Or, quelles que soient les peurs irrationnelles générées par la libération des femmes dans le monde, cette branche féministe idéologiquement supérioriste est sinon absente, du moins extrêmement marginale et ne constitue en aucun cas une menace fondée : la puissance des revendications et la colère réparatrice qui constitue les luttes actuelles sont des reflets d’une période de crise au sens positif (Krisis – jugement) consistant à remettre en question nos évidences profondes en faveur d’un nouveau paradigme. Cette étape est remuante, mais ne prétend pas s’éterniser, ni constituer un état de société : c’est un travail légitime en vue de plus de justice et de dignité.
Le narcissisme de groupe, un concept en plein essor
Le narcissisme collectif, un concept découvert et étudié depuis peu de temps, se réfère à une dynamique dans laquelle un groupe d’individus (une organisation, un groupe social, voire une nation tout entière) manifeste des traits de narcissisme individuel à l’échelle collective. On assiste ainsi à une survalorisation du groupe persuadé de sa propre supériorité, une quête de validation et de reconnaissance, des réactions hostiles face à la critique, une auto-centration, une identification avec des leaders charismatiques qui sont idéalisés par le groupe et la construction de mythes collectifs pour renforcer une image positive du groupe, justifiant les actions et les choix de celui-ci. La religion, l’ethnie (ethnocentrisme), la « race » (racisme), la nationalité (nationalisme), l’idéologie, la classe sociale, la langue, la profession, la culture, l’opinion politique et l’éducation, sont tout autant de critères pouvant définir un de ces groupes.
Dans leur ouvrage Narcissisme, christianisme et antisémitisme (1997), Bela Grunberger, qui a consacré une grande partie de sa carrière aux traumatismes collectifs, et son collaborateur, le psychanalyste français Pierre Dessuant, associent l’antisémitisme et son apogée, la Shoah, au narcissisme, mettant en avant l’idée du christianisme comme « religion narcissique par excellence ».
On pourrait cependant évoquer ici, plus largement, le narcissisme bourgeois occidental qui s’exprime notamment par une fausse philanthropie destinée à promouvoir une image altruiste de ce qui est en réalité un profond mépris de classe et une claire volonté de domination par le biais de manipulations. En outre, il émerge aujourd’hui également l’idée que la montée du populisme d’extrême droite ainsi que les croyances conspirationnistes découleraient d’une forme de narcissisme collectif.
Attention toutefois ici à distinguer le narcissisme sain du narcissisme pathologique. Si le narcissisme pathologique est vivement sollicité par les figures réactionnaires pour critiquer les réclamations de politiques d’égalité et de reconnaissance des groupes minoritaires, car la reconnaissance et l’estime de soi constituent en effet une part réelle des stratégies de lutte dans la réaffirmation et la réappropriation de leurs identités opprimées, le narcissisme pathologique ne peut être manipulé en ce sens.
D’abord, parce qu’il n’est pas pathologique tant qu’il n’est pas toxique ou opprimant, or le narcissisme des identités plurielles vise essentiellement un processus de réparation traditionnel du bas vers le haut (excuses publiques, reconnaissance, compensations culturelles, législation,…) afin de parvenir à la construction ultime et résolutive d’une société plus saine et égalitaire.
Ensuite, parce que la sur-représentation narcissique va plutôt en faveur, dans nos sociétés occidentales, des identités dominantes que sont les masculinités hétérosexuelles blanches, tantôt combinées et plus minoritairement individualisées. La sur-représentativité de ces groupes sociaux dans l’histoire racontée et de nos jours, à travers la culture, la publicité, les figures publiques, les minorités de pouvoir, etc. constitue un narcissisme de groupe systémique, forme du reflet égocentrique d’un seul et même archétype. La libération de notre diversité est, de nouveau, une période de crise au sens positif dont l’analyse du narcissisme ne peut se faire qu’à l’orée de ce constat.
Reste à savoir aujourd’hui si l’humain finira par apprendre un jour de ses erreurs en faveur d’un véritable souci de l’entraide et du bien commun. Une psychothérapie mondiale s’imposerait-elle ? Au vu de la remontée en puissance actuelle du fascisme à travers le monde, rien ne semble gagné d’avance.
– Elena M.
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