Face aux nombreuses crises du monde moderne, certains idéalistes sont prêts à tenter l’aventure d’une vie alternative. À force d’audace et de courage, c’est l’histoire que nous racontent Fahimeh et Adrien. Ce couple de Belges, formé en droit et en management a fait le pari de la sobriété, du retour à la terre et de l’autosuffisance, dans l’un des pays le plus vert du monde. Reportage.

Sous nos yeux : le Nord du Costa Rica. Au milieu de nulle part, loin des groupes de touristes, au cœur d’une nature luxuriante, avec une vue imprenable sur le lac Nicaragua et ses volcans, le paysage est une carte postale du paradis tropical isolé !

Photographie : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Depuis 7 ans, ce décor paradisiaque est le quotidien de Fahimeh et Adrien. Ce jeune couple trentenaire a décidé d’écrire sa vie familiale ici, sur un petit bout de montagne où tout était à construire. Un choix radical autant personnel que politique face aux multiples crises de nos sociétés industrielles et mondialisées : « On ne fait peut-être pas encore partie des solutions, mais en tout cas, on ne voulait plus faire partie du problème », témoigne Adrien au milieu de leur verdoyante propriété.

Photographie : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

L’objectif de leur changement de vie ? S’approcher le plus possible de l’autonomie complète. Bâtir, planter, cultiver, vivre sobrement dans un cadre idyllique et en symbiose avec la nature : « Tout s’est déclenché quand nous avons vu le documentaire ‘Le monde selon Monsanto‘ en 2006 », nous explique Fahimeh. « On a été dévasté et on s’est dit ‘on est foutu’. C’est sur cette base que nous avons voulu construire quelque chose. La politique ou le monde des ONG ne nous convenaient pas pleinement, alors on s’est dit ‘eject’, on part et on crée notre monde. Un monde qui correspond à nos idéaux et à nos objectifs avec un impact minimum sur l’environnement ! »

Photographie : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Très loin du modèle chimique et hégémonique type ‘Monsanto’, Adrien nous emmène voir le jardin pleinement intégré à leur cadre de vie et pulvérisé quotidiennement de valeurs écologiques proches de la permaculture. Cette terre vierge, ils l’ont entièrement aménagée selon leurs rêves d’apprentis agriculteurs. Après s’être heurtés au labeur et aux déceptions d’une agriculture à plus grande échelle dans ce climat tropical compliqué, le couple a décidé de rapprocher les cultures de la maison… en un mot : un potager à portée de main. « Il vaut mieux petit et bien fait que grand et négligé », raconte Adrien. « Ici tout a été aménagé à double sens. C’est joli à regarder, mais surtout tout est mangeable. Là vous avez des ananas, ce petit arbuste est un goyavier, les hibiscus plus loin donnent des fleurs pour la salade. Voyez encore là-bas, un arbre local qui donne des petites cerises, du curcuma, des papayers, des bananiers ou encore de la canne à sucre. A 360°, absolument tout est comestible ici ! »

Photographie : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Sans parler des espaces potagers aménagés à plusieurs endroits de la propriété. Fahimeh et Adrien mettent un point d’honneur à ne planter que des plantes locales qui s’épanouiront facilement sur leur terre. Une agriculture ancestrale, sans désherbant ni engrais chimique, sans gaz à effet de serre et sans machine. Tout est fait à la main dans l’idée qu’une fois aménagés et bien pensés, les potagers vivent et se régénèrent en toute autonomie : « On voulait se réapproprier toute la chaîne de consommation, cultiver et modifier nos produits. Et  puis aussi tout construire nous-mêmes ! Ce n’est pas une vie facile, mais on l’a choisie », nous partage Fahimeh, le sourire aux lèvres.

Photographies : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Nous arrivons dans un autre espace potager. Un petit morceau de forêt dans lequel plantes et arbustes s’épanouissent à l’ombre de plus grands arbres : « On a 60 hectares de terrain, 45 hectares sont couverts de forêt dont 30 sont protégés. Nous essayons de laisser s’installer la forêt au maximum, selon le principe qu’une terre tropicale n’est fertile que si elle est couverte. On laisse la forêt reprendre ses droits pendant 4-5 ans, l’ombre tue l’herbe invasive qui peuplait toute la propriété autrefois, les chutes de matières végétales rajoutent de la fertilité, les troncs et les racines empêchent le lavement des sols en cas de grosses pluies et les racines ameublissent la terre, ce qui facilite les cultures. Bref, la forêt régénère le sol pour nous et on n’a qu’à la regarder pousser avant de planter dans le sous-bois. »

Photographie : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Le pouvoir des arbres qui, espèrent-ils, résoudra aussi l’unique stress de leur mode de vie : les pénuries d’eau à certaines périodes de l’année. Une problématique que doit d’ailleurs de plus en plus affronter une partie importante de l’humanité. Car pour le reste, Fahimeh et Adrien, leurs deux enfants (Alexandre, 8 ans et Flor, 6 ans) ainsi que la famille de François (le cousin d’Adrien installé avec sa famille dans la vallée) vivent grâce aux ressources naturelles renouvelables. Depuis quelques années, le trio belge (Adrien, Fahimeh et François) a aménagé sur la propriété un petit éco-lodge « Tierra Madre Eco lodge » pour accueillir les visiteurs, un hébergement quasiment 100% autosuffisant en nourriture et énergie. « Nous avons 8 panneaux photovoltaïques, des batteries performantes pour assurer 100% des demandes électriques du lodge. Dans la vie, quand les ressources sont rares et qu’on en a conscience, on en profite d’autant plus », confie François qui vit sur ces terres avec sa petite famille depuis 10 ans. C’est lui-même qui œuvre désormais en cuisine pour les clients de l’auberge : « Il y a quelques produits comme le lait et le riz que l’on se procure chez les voisins, mais pour le reste, toutes les recettes sont basées sur les fruits du travail au potager. On aménage les recettes en fonction de nos récoltes. Nous sommes pratiquement autosuffisants à ce niveau ! »

 

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Photographies : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Derrière les cuisines, Adrien et François sont fiers de nous montrer « un petit nouveau » dans l’équipe : un biodigesteur qui vient prêter main forte au traditionnel compost. « C’est un cadeau offert par l’un de nos clients. Ce biodigesteur fonctionne un peu comme un estomac de ruminant », explique Adrien. « Il collecte toute une série de déchets, comme les restes alimentaires, qu’il va digérer grâce à des bactéries. A la fin du processus, il relâche un liquide qui est un engrais naturel parfait. Et par ce tube-là, il dégage aussi du gaz méthane qu’on peut utiliser pour cuisiner. En multipliant les types de compost, on parvient à recycler tous nos déchets ! »  Petit à petit, à force d’expérimentations, ils tentent de se rapprocher d’une autonomie totale.

Patiemment, l’équipe familiale concrétise ainsi ses rêves, avec les mains dans la terre, le plus souvent artisanalement. À l’image de l’éco-lodge auto-construit, quelques jolies petites cabanes de bois parfaitement intégrées à la jungle pour accueillir un maximum de 10 personnes : « Très souvent malheureusement, le tourisme vert cher au Costa Rica, c’est du tourisme classique avec un arbre devant la cabane. Ici, on propose une démarche écologique sans compromis. On a envie d’être une fenêtre pour les gens qui hésitent à se lancer. On veut montrer qu’on peut vivre de manière complètement différente sans réellement sacrifier quelque-chose. »

Photographies : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Traverser la propriété s’avère souvent très intense. Sur quelques mètres, nous admirons des dizaines de papillons, nous découvrons un merveilleux toucan perché sur un arbre, puis un groupe de singes hurleurs sautant d’une branche à l’autre. Nous arrivons devant une petite porte de bois : c’est l’école de la propriété ! Depuis 1 an et demi, vu l’absence d’un enseignement poussé dans le village, Fahimeh est devenue l’institutrice de la famille. Elle éduque ainsi ses deux enfants et ceux de François et sa compagne costaricaine, sur base des recommandations de l’EAD (l’enseignement à distance) de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « C’est parfois un peu flippant, mais je suis le cursus et j’apprends tous les jours », nous partage Fahimeh devant sa petite classe studieuse. « Petit à petit, j’ai envie aussi de leur apprendre d’autres choses et dépasser les limites du cursus académique. Des choses plus importantes à mes yeux, comme l’écologie. Par exemple, cette semaine on a été voir une libération de tortues, j’ai donc fait un cours sur les tortues, l’écosystème et la chaîne alimentaire. »  

Photographies : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

A l’heure du coucher de soleil, perchés sur leur colline, Adrien et Fahimeh jouent avec leurs enfants, ils profitent du temps précieux de cette vie partagée en famille. Leurs rêves pour la suite ? Pérenniser leur petit éco-lodge, goûter aux cadeaux de leurs potagers, développer d’autres activités agricoles sur leurs terres, stimuler la biodiversité, reforester encore et encore… et, qui sait, accueillir dans leur aventure « d’autres familles ou des gens seuls qui ont un projet particulier et à qui il manque un terrain d’expérimentation, pour faire un bout de chemin ensemble ! » Une vie hors des sentiers battus, loin des modèles préfabriqués vantés par nos sociétés. Une vie courageuse et laborieuse qui pourrait en inspirer plus d’un ! Dans cette aventure d’une vie, on ne peut que leur souhaiter toute le bonheur du monde…

L’enfant compacte le plastique récolté dans une bouteille pour en faire un matériau de construction. Photographie : Pascale Sury pour Mr Mondialisation

– Pascale Sury & Mr Mondialisation

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