À Guiè, petit village à 60 km au nord de Ouagadougou, Burkina Faso, les agriculteurs s’organisent pour reprendre en main leur autonomie. Dans la brousse, à la frontière avec le désert du Sahel, une ferme pilote forme les paysans à l’agro-écologie, à une agriculture plus responsable et surtout plus adaptée à leur environnement. Découverte.
Quand Henri Girard est arrivé au Burkina Faso en 1989 pour y créer une ferme-pilote au Sahel, les habitants l’ont regardé avec curiosité et l’ont pris pour un illuminé. « Certains se disaient que si un Européen, qui plus est français, venait ici, alors on aurait de l’argent. Mais très vite, ils ont compris que l’idée qu’il voulait faire germer était bien différente« , explique Pascal Sawadogo, l’administrateur général de l’Association Zoramb Naagtaaba (AZN) responsable de la ferme-pilote de Guiè.
Officiellement créée en 1997, l’association inter-villages soutenue par l’ONG française Terre Verte souhaitait tout d’abord se consacrer à la restauration des sols désertifiés pour concevoir un bocage sahélien, car dans cette zone nue et aride le problème de l’agriculture dépasse le manque de pluie. La coupe abusive du bois, le surpâturage, les champs illégaux ou encore les feux de brousse ont contribué à l’érosion des sols et à la disparition de certaines plantations. « Quand Henri Girard est arrivé, nous n’étions pas alimentés en eau potable. Les cultures ne poussaient plus dans les champs« , poursuit Pascal Sawadogo.
Pour protéger le fragile équilibre sahélien, la ferme a donc aménagé des espaces ruraux et près de 500 hectares de périmètres bocagers bordés d’arbres permettant de retenir l’eau. C’est désormais dans ces périmètres que les paysans des onze villages cultivent légumes et céréales.
Le renouveau du savoir-faire local
Dans cet espace réunissant 11 00 villageois, 21 boulis ( puits en langue moré) ont également été creusés à la demande des habitants. « Ce sont des retenues d’eau de pluie dans lesquelles les paysans, mais aussi les familles, viennent puiser« , explique Madi, l’un des cinq animateurs de l’AZN chargé de la formation des agriculteurs. « Je leur apprends des principes de l’agroécologie, comme ceux énoncés par Pierre Rabhi par exemple, mais aussi des techniques locales comme le zaï, déjà utilisées par nos ancêtres. Cela consiste à creuser des trous de 15 cm de large par 10 cm de profondeur, et de les recouvrir de fumier. Les graines sont ensuite placées dans les monticules une fois les premières pluies de la saison arrivées. » Une pépinière à ciel ouvert.
Toujours dans l’idée de se reconstruire, l’association a également développé une pépinière qui expérimente de nouvelles plantes et techniques horticoles, mais produit aussi les plants nécessaires au bocage. Dans cette véritable oasis de verdure, six femmes travaillent dès les premières lueurs du jour pour semer, rempoter, arroser et bichonner les espèces qui serviront à l’aménagement des périmètres, des routes et des jardins des paysans. Entre leurs mains grandissent de nombreuses variétés endémiques à ces terrains cuirassés, telles que le karité, le manguier ou le papayer. 80 % des essences cultivées sont locales. « Ce matin, je m’occupe des pieds d’eucalyptus, indispensables pour délimiter les champs et la route, et de l’aloe vera, aux propriétés antiseptiques puissantes« , montre Mariam, la gérante de la pépinière. « On produit aussi des plantes pour leurs fruits, graines ou fleurs que l’on consomme, comme ceux du néré, du baobab, du kapokier… » Loin de la chaleur écrasante, difficile de croire que nous sommes toujours au Sahel. Lorsque les plants seront prêts, ils pourront être achetés par les paysans des onze villages membres.
C’est le cas Gaarlé Pourkiéta. Il fait partie des neuf familles qui se sont vues attribuer des jardins individuels en plus des périmètres bocagers. Cela lui permet aujourd’hui de largement subvenir aux besoins de son entourage, voire de gagner un peu d’argent en vendant le surplus de ses récoltes. « Depuis que j’ai mon jardin, avec le hangar que j’ai construit et la technique du paillage, je peux faire deux collectes dans l’année« , sourit Gaarlé au milieu de ses pieds de tomate.
Un tremplin pour les Sahéliens
En vingt ans, la ferme a conquis tous les paysans des alentours. Depuis son apparition, l’association AZN travaille à les rendre indépendants et a permis la création d’emplois locaux. « Il faut comprendre la ferme comme une entité technique. Nous ne sommes pas là pour produire, mais pour faire de la démonstration. Notre but est de tester avec les paysans de nouvelles formes de cultures pour qu’ils puissent les reproduire, se les réapproprier. Nous mettons à disposition du matériel pour travailler dans les villages et élevons un peu de bétail pour récupérer du fumier à mélanger avec la terre. Mais tout ce qui est produit leur revient. Nous ne leur prenons rien, mais nous pouvons leur acheter s’ils ont du surplus« , détaille Seydou Kaboré, le directeur de la ferme.
Aujourd’hui, aucun ne se détacherait de cette agriculture plus raisonnée et n’abandonnerait cette meilleure gestion des terrains. « Nous ne voulions pas faire pousser l’impossible, mais restaurer nos sols. Il fallait les sensibiliser et leur faire comprendre qu’ils avaient une richesse autour d’eux« . Un pari qui semble aujourd’hui gagné puisque de nouveaux villages alentour souhaitent rejoindre l’aventure.
Favoriser l’accès aux soins et à l’éducation
Depuis 1997, la ferme a fait son bout de chemin puisque trois nouvelles ont été montées au « Pays des hommes intègres ». Autour de celle de Guiè, d’autres projets ont vu le jour pour un accompagnement global de la population. Trois nouveaux axes, regroupant l’éducation, la petite enfance et la santé, des infrastructures adaptées ont été développées. Pour lutter contre la mortalité infantile dans ce coin reculé, une maternité et un orphelinat ont été créés. Aussi un centre pour les enfants malnutris protège mères et nourrissons démunis pour qu’ils reprennent des forces. Dans le même temps, l’association a mis en place des programmes éducatifs. Ainsi une école de la deuxième chance pour les adultes analphabètes s’est organisée, et l’école pour les plus jeunes s’agrandit. Pour pallier la fracture numérique, l’AZN a aussi construit un cybercafé. Au cœur de la brousse, tout est mis en œuvre pour que ces Burkinabè deviennent les acteurs du changement et reconquièrent leurs terres.
– Marion Dupuis & Lucie Mizzi
Propos recueillis par Luma Productions pour Mr Mondialisation / Vous aimez ? Faites un don aujourd’hui !