Alors que s’achève Thanksgiving, la fameuse fête nord-américaine célébrant « les grâces » de l’année en cours, l’environnementaliste David Suzuki se penche sur la question du gaspillage alimentaire qui gangrène la société américaine dans des proportions inimaginables : ce gaspillage représenterait près de 150 milliards d’euros par an aux USA.
Thanksgiving est probablement la fête la plus attendue aux États-Unis avec Noël. Historiquement, il s’agissait de célébrer les bonnes récoltes, garantie de la survie des premiers colons américains, par un remerciement collectif. Aujourd’hui, la fête est devenue une occasion de se réunir en famille et entre amis, de partager un repas traditionnel ou de faire de bonnes actions. Mais cette période représente aussi une débauche de consommation démultipliée par le Black Friday qui intervient le lendemain de Thanksgiving. Cette fête est devenue la plus importante en terme de consommation aux États-Unis après Noël. À son approche, le
Thanksgiving est un évènement pour se réunir entre amis et en famille afin d’apprécier les bienfaits de la récolte d’automne. Manger représente une dimension personnelle et sociale importante de notre vie et les préférences alimentaires de chacun peuvent même créer de vifs débats durant le dîner.
:En Amérique du Nord, nous (militants) avons tendance à nous concentrer sur la façon dont la nourriture est cultivée et récoltée. Les consommateurs font face à une myriade d’étiquettes lorsqu’ils déambulent dans les magasins pour les fêtes de Thanksgiving : bio, élevage en plein air, MSC (pèche durable), le commerce équitable, sans-OGM, végétarien et produits locaux, notamment. Et pourtant, du point de vue de la durabilité, la question la plus importante est absente des étiquettes : Est-ce que cette nourriture sera mangée ou va-t-elle contribuer au problème du gaspillage alimentaire mondial ?
On entend beaucoup de choses concernant les déchets alimentaires ces derniers temps. Chaque année, une part stupéfiante d’un tiers des 1,3 milliard de tonnes de nourriture produite dans le monde est gaspillé après production : 45 % des fruits et légumes, 35 % des poissons et fruits de mer, 30 % des céréales, 20 % des produits laitiers et 20 % de la viande. Ces déchets alimentaires finissent dans les décharges, augmentent les émissions de méthane et contribuent de manière significative au changement climatique. Une étude récente a révélé que les américains gaspillent près de 200 milliards de dollars sur les aliments non consommés contre 31 milliards pour les canadiens.
“An average American family of 4 leaves more than 2 million calories uneaten yearly." http://t.co/hBw64ejyxe pic.twitter.com/3f8KZ6lOuX
— Danielle Nierenberg (@DaniNierenberg) October 7, 2015
Ces chiffres ne représentent pourtant que 29 % du coût total du gaspillage. Ils ne comprennent pas les facteurs annexes tels que la main-d’œuvre, l’utilisation de carburants pour transporter les marchandises vers les marchés mondiaux, les pertes liées à de mauvais choix dans les aliments utilisés pour produire de la viande et du poisson, et la nourriture non-récoltée. Alors que les méthodologies d’étude et de comptabilité s’améliorent, on est en mesure de dévoiler un gaspillage encore plus élevé. Dans de nombreux pays, des dizaines d’études avec des méthodologies différentes confirment non seulement la réalité du gaspillage alimentaire, mais suggèrent des chiffres encore plus élevés et en nette hausse. Au Canada, les coûts de ce gaspillage sont passés de 27 milliards à 31 milliards de dollars entre 2010 et 2014.
Dans un monde où une personne sur neuf souffre de la faim, dont beaucoup d’enfants, cela est inadmissible. Selon le Programme Alimentaire Mondial (WFP), la malnutrition tue 3,1 millions d’enfants de moins de cinq ans chaque année. Dans le monde, cette malnutrition cause près de la moitié des décès d’enfants dans cette tranche d’âge. S’il est vraiment question de nourrir le monde, la distribution et la gestion des déchets semble être un plus grand problème que le nombre d’humains. Et pourtant, nous continuons à détruire de plus en plus de forêts, à drainer les zones humides et à vider les océans de leurs poissons pour répondre aux besoins d’une population mondiale croissante.
Cutting #FoodWaste by JUST a Quarter Would Mean Enough for Everyone, says UN http://t.co/iM6cxrGvNP #foodrevolution pic.twitter.com/AAnt4qRKLL
— Farm Fairy Crafts (@FarmFairyCrafts) October 3, 2015
Et ce n’est pas qu’une question de faim. Les pertes économiques monumentales du gaspillage alimentaire représentent une manne d’argent qui pourrait être utilisée pour financer des programmes sociaux et environnementaux indispensables. Cet argent gaspillé pour l’Amérique du Nord pourrait couvrir le budget fédéral du Canada. Le gaspillage alimentaire des foyers de Vancouver (district régional) représente une facture annuelle de 700 dollars par an.
Chaque morceau de nourriture gaspillé signifie des émissions de gaz à effet de serre inutiles, la conversion des écosystèmes naturels en terres agricoles et des perturbations de la chaîne alimentaire marine. Sur base des données de 2007, l’ONU estime que l’équivalent de 3,3 gigatonnes d’émissions de CO2 à l’échelle mondiale peut être imputé au gaspillage alimentaire. Les émissions totales du Canada, en comparaison, sont d’environ 0,7 gigatonnes. Si les déchets alimentaires étaient une nation, elle serait la troisième plus grande émettrice du monde.
If #foodwaste were a nation it'd be the 3rd largest emitter of #GHG emissions in the world> http://t.co/AgArPBPYWz pic.twitter.com/WWJNVVfS8n
— UN Environment (@UNEP) September 29, 2015
Nous devons nous attaquer à la question du gaspillage alimentaire à tous les niveaux : depuis de grandes campagnes internationales jusqu’aux habitudes locales de consommation des particuliers. En Septembre, l’ONU a convenu d’un objectif global ambitieux de réduction du gaspillage alimentaire de 50 % en 2030. Un impératif à la fois environnemental et humanitaire. Plus tôt cette année, Vancouver a rejoint le projet international Love Food Hate Waste (aimez la nourriture, détestez les déchets) pour répondre aux objectifs de réduction des déchets municipaux et encourager au changement des comportements individuels. Une campagne similaire au Royaume-Uni a conduit à une réduction des déchets alimentaires de 21% sur cinq ans. En France et ailleurs, les épiceries offrent désormais des rabais sur les produits difformes à travers la campagne « les gueules cassées » (fruits et légumes moches). Certaines entreprises réalisent des audits pour détecter le gaspillage alimentaire qui affecte leur structure.
Le gaspillage alimentaire est un crime contre la planète et la vie qu’elle supporte. Le réduire s’attaque non seulement à l’insécurité alimentaire, mais il profite aussi à tous. Ce dîner de Thanksgiving, que vous soyez végétalien, végétarien, carnivore, locavore ou pescetarien (poisson), prévoyez le avec un repas zéro-déchets alimentaires. En achetant seulement ce que vous comptez manger et en mangeant tout ce que vous achetez, ce sont les écosystèmes, les cultivateurs et les pêcheurs qui vous remercient.
– David Suzuki
Rappelons que la fille du Docteur Suzuki avait remis à leur place les dirigeants du monde par un discours mémorable alors qu’elle n’avait que 12 ans. C’était en 1992, durant le sommet de la Terre à Rio, face à tous les décideurs des différents gouvernements. Elle concluait son discours en ces termes : « Mon père dit toujours : « Tu es ce que tu fais, pas ce que tu dis » Eh bien, ce que vous faites me fait pleurer la nuit. Vous continuez de nous dire que vous nous aimez. Mais je vous mets au défi, s’il vous plaît : faites que vos actions reflètent vos mots. »
Photo : Source : THE CANADIAN PRESS/John Woods. Source : ecowatch.com / latribune.fr