Comme nous l’avons vu dans le précédent volet de cet article, notre système de « démocratie représentative » est contesté par les promoteurs de la démocratie directe. De plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer davantage de moyens de contrôle sur nos représentants et surtout une plus grande participation citoyenne.
Si beaucoup critiquent nos institutions en vigueur, d’autres répondront que les Français ont validé les règles qui nous régissent en votant pour notre constitution actuelle lors du référendum de 1958. Si l’on met de côté le fait que les Français qui ont pu prendre part à ce scrutin sont aujourd’hui soit décédés, soit âgés de plus de 85 ans, ce n’était de toute façon pas eux qui avaient écrit ce texte.
Or, pour qu’un système soit légitime, les règles du jeu ne devraient-elles pas être écrites par les participants, à savoir l’ensemble des citoyens français ? Car, en réalité, c’est bien une poignée de technocrates appartenant à une certaine classe sociale qui ont rédigé la constitution de bout en bout. Il existe ici un clair conflit d’intérêts, puisque le but de ce texte suprême consiste à protéger le peuple des abus de leurs élus. Il paraît donc absurde que ces mêmes élus soient à l’origine de ces lois fondamentales.
On constate d’ailleurs que les politiciens professionnels ont mis en place bon nombre de mécanismes à leur avantage dans leurs constructions. À l’heure actuelle, ils sont réglementés par le Conseil d’État et le Conseil Constitutionnel. Toutefois, la composition de ces organismes peut poser une véritable question démocratique, celle de la légitimité de ses membres. En effet, si certains sont désignés sur concours, d’autres sont purement et simplement nommés par des élus. Nous avons donc une nouvelle fois affaire un à un conflit d’intérêts. Comment une institution façonnée par des politiciens pourrait-elle contrôler de manière impartiale que ces mêmes élus ne transgressent pas la Constitution ? À l’inverse, si des membres du Conseil ont des convictions opposées à celles du président en poste, ne risquent-ils pas d’instrumentaliser leur pouvoir à des fins idéologiques ?
Le tirage au sort, remède démocratique ?
Devant ce constat, pour garantir le bien commun, il est donc nécessaire que la Constitution soit d’origine citoyenne. Bien évidemment, il apparaît impossible d’écrire un texte suprême à plusieurs millions de personnes. Le système électif, lui, pose de gros problèmes de représentativité et de conflits d’intérêts.
Reste alors une vieille méthode inventée par les créateurs de la démocratie, celle du tirage au sort. En effet, à Athènes, au cinquième siècle avant notre ère, nombre de responsables politiques étaient désignés au hasard parmi les citoyens. Des centaines d’années plus tard, les instigateurs du gouvernement représentatif ont pourtant fait un choix différent, celui des élections.
On reste en effet dans l’idée que les fonctions politiques doivent demeurer l’apanage d’une certaine élite qui serait la seule à disposer des connaissances suffisantes et que le tirage au sort nous s’exposerait à l’arrivée au pouvoir d’incompétents, ou pire, de fous dangereux. L’Histoire nous a pourtant démontré que les élections peuvent également amener à la tête de l’État des dirigeants terriblement néfastes pour les peuples. Si l’on en juge au désastre environnemental actuel, on peut même en déduire que cela se produit plus souvent que l’on voudrait nous le faire croire.
Par ailleurs, il ne s’agirait pas de tirer au sort un seul et unique président, mais plutôt une assemblée citoyenne de plusieurs centaines de personnes. Ce mode opératoire pourrait, par exemple, très bien convenir à l’écriture d’une nouvelle Constitution. Avec une assemblée constituante intégralement tirée au sort, et dont les membres n’auraient plus le droit de se présenter à des élections à l’avenir, on aurait de bonnes chances d’obtenir un texte défendant le bien commun.
Les diverses expériences de tirages au sort prouvent même qu’il en ressort des conseils plutôt représentatifs de la population. Rien n’empêche, en outre, de réaliser des tirages au sort plus sélectifs afin de composer un groupe à l’image du peuple, en matière de genre, de classe sociale, ou d’âge.
Le tirage au sort est d’ailleurs parfois utilisé en France dans certains contextes. Le cas le plus emblématique est sans doute celui des jurés d’assises qui sont choisis au hasard parmi les Français. Or, si ces personnes peuvent donner un avis sur un criminel, pourquoi ne pourraient-elles pas participer directement à l’élaboration des règles de notre pays ?
Récemment, le hasard a aussi démontré ses bienfaits lors de la Convention citoyenne pour le climat. Cette assemblée, tirée au sort en 2019 suite au mouvement des Gilets jaunes, était chargée de présenter des mesures d’urgence pour la planète. Il était ressorti bon nombre d’options intéressantes de ce processus. Néanmoins, pour pousser l’expérience démocratique jusqu’au bout, les 149 propositions obtenues par ce procédé auraient dû se transformer en loi, ou tout au moins être portées devant un référendum. Bien au contraire, Emmanuel Macron s’est seulement servi de ce travail pour faire un coup de communication puisque ses députés ont rejeté 90 % des suggestions mises sur la table.
La question centrale du référendum
L’autre question régulièrement posée sur la table par les défenseurs de la démocratie directe est celle du référendum. En effet, puisque, comme nous l’avons vu, aucun représentant n’est capable de réunir une majorité de Français, il apparaît légitime pour les citoyens de décider eux-mêmes des lois les plus importantes.
Mais la France n’est pas ce que l’on appelle une grande usagère du référendum. En tout et pour tout, les Français ont pu voter seulement pour une dizaine de consultations populaires durant toute la 5e république. La dernière n’a d’ailleurs pas laissé un bon souvenir puisqu’il avait été bafoué. En effet, en 2005, le pays avait rejeté un nouveau traité européen renforçant le libre-échange et la concurrence. Pourtant, deux ans plus tard, Nicolas Sarkozy avait décidé de faire passer un autre texte identique par la voie parlementaire.
Mais le problème essentiel dans l’usage du référendum en France réside dans son initiative. De fait, lorsque ce sont les dirigeants eux-mêmes qui commanditent un référendum, celui-ci prend des allures de plébiscite. Il cherche en général à légitimer son propre pouvoir plutôt qu’à réellement consulter l’avis du peuple.
Le référendum d’initiative citoyenne
C’est dans cette optique que les Gilets Jaunes avaient réclamé un référendum d’initiative citoyenne (RIC). Pour redonner un vrai pouvoir au peuple, il s’avère capital que celui-ci puisse décider du sujet sur lequel il souhaite s’exprimer. Et pour cause, les dirigeants ne vont jamais demander l’avis des gens sur une réforme impopulaire. Si l’on reprend l’exemple de la retraite à 65 ans, jamais un partisan d’une telle mesure ne se risquerait à interroger la nation sur ce point.
Mais dans le cas du RIC, ce sont bien les citoyens qui décident de la tenue ou non d’un référendum. Celui-ci s’enclenche, en effet, dès lors qu’une pétition est signée par un certain nombre d’individus. Une fois ce seuil franchi sur une question donnée, l’ensemble des votants sont amenés à trancher par les urnes. Évidemment, pour que le processus soit complet, il est indispensable que le résultat du scrutin soit systématiquement appliqué.
C’est ce qui différencie d’ailleurs le RIC du faux dispositif démocratique mis en place par la France sous Nicolas Sarkozy, le Référendum d’initiative partagé. Notons d’abord que la quantité requise de pétitionnaires de ce dispositif est particulièrement élevée (10% du corps électoral, soit presque 5 millions) et qu’il nécessite également l’aval d’un cinquième des parlementaires. Mais le pire réside dans le fait que si cet écueil est franchi, un référendum est convoqué seulement si le parlement n’examine pas le projet dans les six mois.
Peu de démocraties réelles dans le monde
À l’étranger, les votations d’initiatives populaires sont parfois bien plus développées. C’est le cas par exemple en Suisse où les citoyens peuvent s’exprimer sur des lois au niveau local ou sur la révision de la constitution du pays. Certains états américains, et notamment la Californie, offrent également ce droit, tant qu’ils ne violent pas la constitution fédérale. Plusieurs nations, comme le Mexique ou le Venezuela, disposent par ailleurs du référendum révocatoire qui permet de renvoyer un élu lorsque le peuple juge qu’il n’est plus digne de ses fonctions.
Mais aucun pays du monde ne propose un référendum d’initiative citoyenne aussi poussé et sans limites que celui réclamé par les Gilets Jaunes. Il s’agissait en effet d’un RIC en toutes matières. Il permettait donc de voter une loi, d’abroger une loi existante, de révoquer un élu, mais également de réviser la constitution, et ce sans aucun garde-fou.
Si ce processus n’aurait sans doute pas transformé la France en démocratie totale (ce qui semble compliqué à mettre en place à l’échelle de 67 millions d’habitants), il aurait néanmoins été un immense outil de régulation du pouvoir des élus. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que la majorité d’entre eux rejettent clairement cette idée.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Des militants ont commencé à occuper le Pont au Change et la Place du Châtelet dans le centre de Paris, le lundi 7 octobre 2019. Bannière en français : « Assemblée citoyenne ». Source : Wikicommons