La production d’énergie est un secteur crucial pour la transition écologique. Pourtant, ce marché reste dominé par quelques grandes entreprises dans la plupart des pays d’Europe et du monde. Des initiatives voient heureusement le jour pour que les citoyens se réapproprient les compétences stratégiques de production et de fourniture d’électricité à un niveau régional et local. C’est le cas de Cociter, une organisation qui rassemble diverses coopératives énergétiques actives en Belgique, dans la Région Wallonne. Son objectif : assurer la mise en place d’une structure d’économie sociale vouée à la fourniture d’électricité gérée de manière éthique, durable et sans but lucratif. Découverte.
L’histoire du Comptoir Citoyen des Energies (COCITER) commence avec la coopérative Courant d’Air, créée par Mario Heukemes dans l’est de la Belgique pour permettre la participation citoyenne dans un parc éolien. D’autres initiatives de ce type voient le jour au même moment dans toute la Wallonie pour contribuer à la transition énergétique en augmentant l’autonomie locale. L’histoire de chacune de ces coopératives se ressemble et tranche avec les grands projets industriels portés par les grandes entreprises de l’énergie. Au départ d’un projet, un groupe de citoyens passionnés se met en place et s’organise. Ne disposant souvent d’aucune connaissance du métier à la base, ils apprennent sur le tas et par eux-mêmes. Dans le meilleur de cas, ils parviennent à créer et à financer leur projet et la coopérative peut alors démarrer.
Le défi de la gouvernance
Après avoir acheté des parts dans un parc éolien, par exemple, la même question s’est posée dans la plupart des coopératives en Wallonie. Les coopérateurs se sont en effet demandé comment pouvoir bénéficier directement de l’énergie produite par cette part dans le réseau d’énergie belge. Ces différentes organisations comprennent très vite qu’il sera plus aisé d’y arriver à plusieurs. C’est ainsi qu’en 2011, elles se rassemblent pour intégrer la fédération REScoop : Renewable Energy Sources Cooperative. L’un des premiers projets concrets de l’organisation est la création d’un outil de fourniture commun au service des coopératives. Fin 2012, trois coopératives et une ASBL créent Cociter, le comptoir citoyen des énergies. Après quelques péripéties, la licence de fourniture lui est finalement accordée en 2014.
La particularité de l’organisation, c’est aussi qu’elle n’a pas été créée par une seule entité mais que c’est une collaboration entre plusieurs acteurs. Il s’agit à vrai dire d’une coopérative de coopératives. Au départ de trois structures, Cociter s’est agrandi pour comprendre aujourd’hui 15 organisations. Ils devraient arriver à une vingtaine d’ici à la fin de l’année. Pour les faire coexister, une façon de s’organiser à du voir le jour. C’est ainsi qu’après avoir consacré beaucoup de temps à cette question, ils ont mis au point une gouvernance participative dans laquelle chaque partie prenante trouve sa place.
La réappropriation de compétences stratégiques
Cociter a pu bénéficier de plusieurs aides de la Région Wallone, qui ont l’avantage d’agir comme un portage. C’est un soutien temporaire qui est mis à disposition, l’organisme régional se retirant progressivement sur un horizon de 6 à 10 ans. Ces aides ont contribué au succès de Cociter, qui regroupe aujourd’hui plusieurs coopératives et petits producteurs actifs dans différents secteurs d’énergie renouvelable. L’éolien, d’abord, mais aussi le photovoltaïque, la biométhanisation, et de l’hydroélectricité. Les coopératives sont désormais en train de construire plusieurs centrales hydroélectriques. Le but est d’arriver à un mix d’énergie renouvelable issu de filières locales.
« Nous voulons faire la preuve que le citoyen est capable d’acquérir des compétences dans des domaines pointus et de les mettre au service de la collectivité et pas uniquement au service du capital. »
L’enjeu est important, puisque l’investissement dans ces sources énergétiques est un levier essentiel de la transition écologique et de l’indépendance énergétique. Mais il s’agit également « d’une action politique et militante : se réapproprier des compétences dans un secteur éminemment stratégique, au même titre que l’alimentation, l’éducation, la finance » affirme Mario Heukemes, l’un des fondateurs et administrateurs de Cociter. « Ce sont des secteurs que l’on ne peut pas laisser uniquement à l’économie traditionnelle », poursuit-il. « Nous voulons faire la preuve que le citoyen est capable d’acquérir des compétences dans des domaines pointus et de les mettre au service de la collectivité et pas uniquement au service du capital. »
Le client-coopérateur
Afin de garantir la fourniture d’une énergie renouvelable et locale, Cociter a aussi besoin d’investisseurs. C’est la raison pour laquelle l’organisation encourage les clients à prendre une part dans l’une des coopératives de production de leur réseau. Ceux-ci se voient donc proposer une simulation avec deux tarifs : coopérateur et non-coopérateur. Le premier est plus avantageux afin d’encourager les citoyens à investir dans la structure. L’argent récolté grâce à l’achat d’une part par le client, qui devient coopérateur, est mutualisé dans la coopérative de production et sert à financer les projets de la coopérative. C’est la seule façon de garantir qu’à terme, il y aura suffisamment d’énergie renouvelable produite pour assurer une transition énergétique.
Une grande partie des clients sont donc également coopérateurs. Cette démarche a valu à Cociter d’occuper depuis 4 ans la première place au classement des fournisseurs d’énergie belges publié chaque année par Greenpeace. « Nous garantissons que nous sommes vraiment des acteurs de la transition, puisqu’on ne vend pas uniquement de l’électricité mais on met en place un vrai système de circuit court, de la production jusqu’à la fourniture », se félicite Mario Heukemes.
Un outil au service du citoyen
Une autre particularité de Cociter réside dans le fait que l’organisation se veut être un outil au service de leurs membres et de la transition. Autrement dit, les coopérateurs n’attendent pas de retour financier sur leur investissement et doivent donc seulement soutenir leurs coûts internes, tels que le personnel, la communication et les outils. À la différence des acteurs traditionnels du marché, ils visent uniquement l’équilibre financier, pas le profit. Cociter est ainsi une coopérative d’associations et de coopératives sans but lucratif. C’est un statut qui n’existe pas officiellement, mais que les coopérateurs se sont définis dans leurs valeurs, leurs statuts et leur mode de fonctionnement internes.
C’est ce qui leur permet de maintenir des prix compétitifs par rapport aux fournisseurs d’énergie traditionnels et leur mode de fonctionnement capitaliste. Les prix de Cociter demeurent ainsi dans la même gamme que les autres. Ils n’ont pas pour l’instant la possibilité d’être les moins chers, cela étant notamment lié à l’absence d’offre promotionnelle temporaire. Cociter préfère en effet garantir un prix stable, et qui correspond surtout aux réels tarifs du marché. Lors de la reconduction du contrat, l’organisation veille en effet à réadapter la facture annuelle, que ce soit à la hausse ou à la baisse. Il s’agit là d’une autre différence avec les fournisseurs traditionnels, qui, lors de la reconduction souvent tacite du contrat, répercutent toujours la potentielle augmentation des prix du marché sur le client, mais rarement les éventuelles baisses.
À l’heure actuelle, le projet englobe 5000 ménages en Wallonie. Cociter demeure le plus petit producteur de la région, et sa volonté de rester modeste dans sa progression lui a permis de maîtriser la compréhension du marché et de proposer un outil efficace, éthique et durable. Depuis le mois de septembre, Cociter s’est par ailleurs ouvert au monde de la transition au sens large. De nouvelles structures se sont ainsi associées, issues d’autres structures comme l’alimentation ou la protection de l’environnement.
Mais la problématique de l’énergie dépasse les frontières du plat pays, et d’autres initiatives ont vu le jour à travers l’Europe. La fédération REScoop se décline en effet au niveau européen, et regroupe de nombreuses coopératives qui fonctionnent sur le même modèle, comme Enercoop en France. Au regard de la dépendance accrue de nos sociétés à l’énergie fossile et de la frilosité des gouvernements européens à investir dans le renouvelable, ces initiatives citoyennes se révèlent aujourd’hui indispensables pour maîtriser les chocs énergétiques à venir dans un monde qui n’en finit pas de multiplier les crises.
On fera tout de même remarquer que la réalisation de technologies productrices d’énergie renouvelable n’est pas vraiment sans impact écologique. De l’extraction des matières premières à la transformation en passant par les transports et la maintenance, aucune énergie n’est 100% propre, d’autant plus que les filières d’extraction et de fabrication actuelles, principalement centralisées en Chine, ne sont pas des plus durables faute de réglementation efficace et écologique. Par ailleurs, dans le modèle actuel axé sur la croissance, l’énergie durable produite à tendance à s’ajouter au total de l’offre énergétique globale sans vraiment la remplacer (paradoxe de Jevons).
Cependant, l’énergie grise liée au cycle de production des renouvelables est probablement celle qui est la plus à même d’évoluer positivement et d’être contrôlée à l’avenir. C’est d’ailleurs l’esprit de Cociter : redonner aux citoyens une forme de contrôle sur la production d’énergie, aussi imparfaite soit-elle. Contrairement aux énergies fossiles dont le potentiel d’évolution a déjà été exploité et appartient à de grands groupes industriels, les renouvelables, depuis les conditions d’extraction au spectre technique (matériaux, recyclabilité,..), continuent d’évoluer de manière spectaculaire chaque année. Suffisant pour enrayer la méga-machine mondialisée et l’effondrement ? Probablement pas sans une profonde remise en question du champ économique. Mais pour absorber les chocs sociétaux à venir, semble-t-il inévitables, et ainsi préserver un semblant de paix sociale dans les communautés les mieux préparées, continuer d’explorer les pistes du renouvelable tout en optant pour une sobriété heureuse semble un moindre mal à ce stade.