Depuis samedi soir 19h, une émeute a éclaté au CRA du Mesnil-Amelot suite, selon un communiqué transmis par les détenus, aux violences policières et au gazage que l’un d’entre eux a subi pour avoir, poussé par la faim, conservé du pain sur lui à la sortie du réfectoire. Une étincelle qui a mis le feu aux poudres dans le plus grand centre de rétention de France où les personnes sans-papiers vivent quotidiennement leur confinement entre peur de la maladie et du jugement expéditif. N’ayant « plus rien à perdre » Gabriel Alexandrescu, Roumain marié à une française depuis 16 ans, père de deux enfants, en ce moment détenu sur place, a bien voulu témoigner pour nous de cette violente expérience.

« Le Directeur est passé hier soir nous dire que le coronavirus n’était pas un problème, qu’il n’y avait pas de risque : il nous a fait tous rigoler, c’est du foutage de gueule ! »

Comme ses co-détenus, Gabriel craint pour sa santé depuis le début de la pandémie. Dénonçant l’absence de masques pour les personnes sans-papiers et leurs gardiens, la promiscuité ainsi que le manque de mesures d’hygiène, il a fait partie des personnes ayant occupé cette nuit la cour du centre pour obtenir des négociations sur leur situation. « On mange tous ensemble, enfermés à 60, les uns à côté des autres. Personne ici n’a pu prendre de douche plus d’une fois tous les 4 ou 5 jours. Les douches et les toilettes sont infectes ! On nous traite comme des animaux ». Et si depuis deux semaines les CRA de toute la France ont vu leur population largement diminuée par les remises en liberté prononcées par des juges des libertés et de la détention, c’est insuffisant selon les collectifs et associations membres de l’l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE) qui jugent la situation comme dangereuse pour les détenus et les gardiens et demandent la libération des personnes détenues dans un communiqué paru le 18 mars dernier :

« Aucune mesure satisfaisante ne semble avoir été mise en place, ni pour les protéger ni pour protéger les personnes qui gèrent ces lieux d’enfermement ou y interviennent quotidiennement contre les risques de contamination ;

  • Il n’existe pas, notamment, de protocole permettant de s’assurer que tant les personnes étrangères qui arrivent en CRA, LRA et ZA que les personnels qui y pénètrent ne sont pas porteuses du virus ;
  • Les prescriptions du ministère de la santé ne peuvent pas être respectées dans ces lieux de promiscuité, qu’il s’agisse de la « distanciation sociale » ou des gestes barrières ;
  • Les personnes enfermées ne sont pas toujours informées des risques liés à la contamination par le Covid-19 et des mesures mises en place par le gouvernement ;
  • Enfin, l’insuffisance de l’action des pouvoirs publics et les risques qu’elle fait courir à leurs intervenants a contraint la plupart des associations qui apportent leur aide aux personnes étrangères en rétention ou en zone d’attente à s’en retirer. »

Si cette demande s’appuie donc sur des questions de sécurité sanitaire, c’est également la détérioration des conditions de détention conséquente à la pandémie qui est montrée du doigt. Privés de parloirs depuis le 16 mars et donc de lien avec leurs proches et des produits de première nécessité que ceux-ci pouvaient leurs fournir, les détenus déjà affaiblis psychologiquement par l’expérience du CRA se sentent piégés dans une situation qu’ils considèrent comme inhumaine. La suspicion également de personnes atteintes par le Covid-19 incarcérées dans le centre puis relâchées sème la peur sur place. C’est donc particulièrement déterminés que ceux-ci ont voulu, par leur occupation pacifique de la cour, provoquer des négociations avec le directeur…qui n’auront jamais lieu.

« Il y a des gens malades depuis des jours, on ne sait pas ce qu’ils ont, ils n’ont pas pu aller à l’infirmerie. Ma famille est très inquiète, j’ai tout le temps ma fille au téléphone : elle s’inquiétait déjà pour moi à cause de mon arrestation mais maintenant je n’ose plus lui parler pour ne pas l’inquiéter encore plus ».

Les personnes sans-papiers voient également leur défense judiciaire gravement impactée par la situation. Car même si l’interruption des vols internationaux pour risque de transmission du virus a permis l’arrêt des déportations, les décisions juridiques continuent de tomber. « Les jugements se font sans avocat ni vidéo-conférence. On a pas de défense ! Moi, la première fois j’ai été jugé par la Cour d’appel de Paris, j’avais demandé un commis d’office mais j’ai été jugé sans avocat, sans rien ! ».

Pourtant, vers 11H ce matin, ce n’est pas la discussion mais la répression qui a été choisie par les forces de l’ordre pour venir à bout du mouvement de protestation. Charges, coups de matraque sur la tête de personnes au sol, le témoignage de Gabriel est glaçant. Les détenus sont reconduits de force dans le bâtiment, des téléphones sont confisqués, les hommes identifiés comme étant les meneurs sont isolés et conduits ailleurs (?). Lui est très vite enfermé dans le bâtiment. Très affecté par ce qu’il vient de vivre, sa voix est très émue. Il me parle de sa fille, de son fils et de sa compagne qui souffrent encore plus que lui selon ses mots, de la situation. Il dit qu’il doit être fort pour eux mais son moral ne tient plus qu’à un fil comme c’est déjà habituellement souvent le cas pour les personnes passant par la rétention administrative. « Je dois tenir pour eux, je n’ai pas le choix ».

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Sans humanité, c’est souvent le traitement que l’on réserve aux personnes sans-papiers que ça soit sur les camps, dans les CRA et aussi parfois dans les cours de justice dans cette période dite de solidarité. Ce sont pourtant elles que l’on retrouve en ces temps de pandémie dans les activités économiques considérées comme indispensables par la société : livreurs, employés des BTP, agents d’entretien et de maintenance, petites mains d’exploitations agricoles… Particulièrement exposées par leur travail au virus, au risque constant d’incarcération parce que sans-papiers, personne ne pensera pourtant à les applaudir ni même à s’en inquiéter.

Tiphaine Blot

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