Voilà quelques années que Hugo Mairelle a lâché son travail dans le milieu publicitaire pour se consacrer à sa nouvelle activité de graphiste-illustrateur et plasticien. L’artiste collabore désormais avec le photographe Vincent Muller pour un nouveau projet poétique et engagé.
L’art au service de l’écologie
Après la série de photographies « Regard volontaire » réalisées au sein d’une association mexicaine centrée sur un système agro-sylvo-pastorale, Hugo Mairelle revient avec de nouvelles idées d’œuvres d’art connectées à la nature. Il avait déjà poursuivi dans sa volonté de valoriser les initiatives autour de la reforestation et de l’agroforesterie en créant l’association all4trees. Sa collaboration avec Vincent Muller est aussi un retour aux sources, car c’est bien en Alsace et dans les Vosges que ces Strasbourgeois ont fait naître le projet Être(s). C’est grâce à ce photographe indépendant, membre du collectif Chambre à part, que les œuvres ont pu être mises en valeur par de superbes photos, où la maîtrise de la lumière et de l’ambiance dévoile leur puissance.
Être(s), ce sont les espaces naturels locaux mis en valeur par la création de masques et une mise en scène accentuant la diversité des êtres humains et des espaces naturels. Des hommes et des femmes portent les créations qui cachent leur visage, mais qui montrent leur corps dénudé dans un paysage sauvage, dénué de civilisation. Après la séance photo, les masques, fait avec le matériel du site, sont laissés sur place. Inspiré du land art, le projet collaboratif a vu le jour grâce à l’artiste plasticien, le photographe, des modèles, et l’audionaturaliste Marc Namblard qui a créé l’ambiance sonore. Une botaniste a également participé à la description des végétaux.
Le premier objectif de l’exposition est de sensibiliser le public à l’interconnexion entre les êtres humains, ses connaissances, et le vivant. Cela passe par des techniques comme la permaculture, l’agroforesterie ou le low tech, mais cela englobe aussi les savoir-faire et la spiritualité. Représenter la diversité et l’universalité du vivant peut avoir un effet sur la façon non seulement de percevoir l’environnement, mais aussi d’y évoluer. Les photos peuvent être un support pédagogique pour aborder des thèmes comme l’énergie, le climat, l’art, la culture, le rapport au corps, l’écologie, la consommation, etc. Elles font aussi ressortir la richesse des sites, qui peuvent paraître exotiques alors qu’ils sont parfois à quelques kilomètres du lieu d’exposition.
Qu’est-ce qu’un être humain au naturel ?
En contemplant les photos du projet, les références visuelles de l’artiste peuvent venir à l’esprit : Arcimboldo, Le Douanier Rousseau, Andy Goldworthy, Charles Fréger, Hayao Myiazaki ou encore les arts premiers. Mais leur mise en scène fait aussi résonner les travaux de philosophie et d’anthropologie sur la part de culturel et de naturel dans l’Humanité. Lorsque l’on pense à ce qui est naturel ou culturel, on se rend compte que ce qui nous paraissait évident au départ est en fait extrêmement flou. Émile Durkheim, fondateur de la sociologie, considère que la culture se surajoute à notre nature, que l’héritage social s’ajoute à l’hérédité biologique. Par exemple, il est naturel de manger. Mais la façon de se nourrir, le moment, ainsi que le contenu de notre assiette, est culturel. L’être humain est ainsi profondément culturel et l’ensemble de ses choix fondent son futur, donc celui de protéger ou pas son environnement.
Avant lui, pour Karl Marx, la différence entre les êtres humains et les animaux est leur capacité à produire leurs propres moyens de subsistance. Ils ne seraient pas limités par leur nature biologique dans leur développement donné ou une activité particulière. Plus tard, en observant des enfants ayant été livrés à eux-mêmes, Lucien Malson concluera que « l’Homme n’a point de nature. Il est une histoire ». Cette phrase sous-entend qu’il n’y aurait pas de nature humaine préétablie, qu’un humain isolé ne développe pas une nature qui viendrait d’un état pur.
En 2005, un ouvrage vient étoffer cette théorie : « Par-delà nature et culture » de Philippe Descola. À la dualité nature/culture, il préfère celle de physicalisme/psychisme et d’identité/différenciation. Pour lui, le fait d’avoir un mot pour décrire la nature nous rend extérieurs à elle, alors qu’elle est elle-même une production sociale. Après tout, les nombreux espaces que nous considérons comme spontanés, n’auraient-ils pas été modifiés par la main de l’être humain ? Et si, finalement, tout était naturel ? Par la même, « naturel » n’est pas forcément synonyme de « bon ». C’est le spectre culturel de l’humain qui va définir les règles de sa société.
L’humanité est indissociable de son environnement
En questionnant notre condition humaine, notre rapport à la nature, notre impact sur celle-ci, nos origines, les photos de l’artiste nous rappellent ce que nous partageons avec le reste du monde vivant. En nous demandant ce qu’est notre humanité au naturel, nous arrivons à repenser la place de nos sociétés et de notre mode de vie. La plupart des sociétés, principalement occidentales, vivent dans un système ayant un objectif de croissance gourmand en énergie et en matières premières non renouvelables à l’échelle humaine. De plus en plus d’experts et de citoyens tirent la sonnette d’alarme sur l’importance de préserver la diversité et l’équilibre de l’écosystème dans lequel nous habitons, comme le rapport du GIEC. Mais ils peinent encore à se faire entendre.
Pour pousser la réflexion, on peut citer une fois encore le Rapport Meadows, l’essai « Effondrement » de Jared Diamond, « Sapiens » de Yuval Noah Harari, le travail de Philippe Bihouix, Pablo Servigne, Jean-Marc Jancovici, Valérie Cabanes, Coline Serreau et bien d’autres. La sobriété, la créativité et le lien qu’entretiennent les sociétés vivant en relation étroite avec leur environnement apparaissent aujourd’hui comme le modèle à suivre, un mode de vie durable.
Les masques sont une passerelle entre le monde tangible et la spiritualité, et sont une représentation des savoir-faire et du savoir-être des communautés qui réussissent à vivre en ayant un minimum d’impact négatif, voire un impact positif, sur leur environnement naturel. Elles ne sont pas seulement une présence, mais participent aussi aux cycles de transformation des ressources. Le projet Être(s), c’est aussi un regard bienveillant sur la nature de proximité, l’importance de s’y (re) connecter, d’échanger et de dialoguer sur notre responsabilité dans sa protection et sur le futur que nous voulons.
Les créateurs aimeraient pouvoir rejoindre un plus large public grâce à des expositions, réaliser un livre d’art, et lui donner une suite dans d’autres régions. Pour le moment, l’œuvre est exposée à la Maison citoyenne du Neurdorf, et sera à la Maison de la nature de Strasbourg et des Vosges du nord début 2020. En attendant, la galerie, l’ambiance sonore et le making of sont disponibles sur le site en ligne d’Être(s).
C.G.
Références :