L’île d’Henderson en plein Pacifique. Pas un seul être humain à l’horizon. Pourtant, les plages de cette île déserte et reculée sont recouvertes de déchets plastiques, si bien que l’on atteint des taux de concentration jamais vus auparavant ailleurs dans le monde. Cette invasion plastique en zones inhabitées n’est pas le fruit du hasard. Une nouvelle étude de Jennifer L. Lavers et d’Alexandre L. Bond publiée par la Proceedings of the National Academy of Science met ce désastre environnemental invisible en lumière.
À priori, on aurait pu croire que les endroits les plus reculés du monde resteraient protégés des activités humaines. « Cependant, souligne la nouvelle étude, l’appétit de la société pour le plastique provoque l’omniprésence de cet élément dans l’environnement marin, dans lequel il reste pendant des décennies. » L’île d’Henderson, pourtant inhabitée, est une preuve de plus de cette accumulation. Les scientifiques viennent d’y faire une découverte préoccupante : sur les plages de cet espace inoccupé, les déchets humains s’accumulent à une vitesse « alarmante » ! À l’image d’une société dont les dégâts dépassent l’entendement et la raison, avec des effets bien loin du regard des consommateurs, les activités humaines détruisent la nature.
En 1988, l’île d’Henderson avait été nommée au patrimoine mondial de l’UNESCO en raison de son environnement rare. On soulignait alors l’absence presque totale de traces liées aux activités humaines. En 30 ans seulement, la situation a bien changé.
La prolifération du plastique, un problématique globale et inquiétante
En à peine un demi siècle, notent les chercheurs, le plastique a révolutionné nos modes de vie. « La production annuelle de plastique a augmenté de 1,7 millions de tonnes en 1954 à 311 millions de tonnes en 2014 ». Pour cause, une grande partie de nos objets du quotidien contiennent cet élément ; notamment les objets à usage unique tels que les emballages, les sacs plastiques ou les bouteilles. Souvent, ces plastiques qui ne se dégradent que très lentement dans la nature, terminent leur parcours dans les océans, faute d’être recyclés. Un véritable fléau. Sous l’effet des courants marins, tous ces détritus se regroupent, si bien qu’aujourd’hui, aussi impressionnant que cela puisse paraître, les scientifiques ont démontré l’existence de plusieurs « îles » composées essentiellement de plastique.
Au sein de ces gyres, la concentration en déchets plastiques peut atteindre 890,000 éléments au km2. Ces éléments étrangers, qui ne mesurent parfois que quelques millimètres, représentent un danger pour la faune et la flore et perturbent les équilibres naturels, aussi bien en mer que sur terre. Le plus souvent, ceux-ci sont avalés par divers organismes et deviennent part entière de la chaine alimentaire. « La prolifération de débris dans nos océans conduit à reconnaître les pollutions plastiques comme l’un des enjeux environnementaux globaux majeurs » estiment ainsi les chercheurs auteurs de l’étude.
Une menace à prendre autant au sérieux que le changement climatique
Selon les estimations des scientifiques, il y aurait actuellement 17,6 tonnes d’objets sur l’île d’Henderson et ce, malgré le caractère isolé de l’île. Soit environ 671 déchets par m2. Jamais une telle densité de plastique n’avait était mesurée ailleurs sur la terre ferme auparavant. Ce triste record met en lumière les dangers des activités globales sur l’environnement local. Et les scientifiques mettent en garde : « dans la mesure où la production de plastique augmente, il continuera à affecter l’exceptionnel beauté et biodiversité qui font la particularité des îles retirées ».
Jennifer L. Lavers, co-auteur de l’étude, espère que les constats faits sur l’île puissent être à l’origine d’une réaction internationale. Il est urgent d’intervenir, estime-t-elle, ces pollutions menaçant l’humanité au même titre que le changement climatique. Mais peut-on véritablement être optimistes ? D’une part, la communauté internationale affiche sa volonté d’agir, et, par l’intervention de différentes réglementations, l’usage du plastique est progressivement interdit dans de nombreux pays pour les objets à usage unique. Dans le même temps, la recherche scientifique démontre jour après jour que la situation ne s’améliore pas et les images qui nous viennent des quatre coins du globe témoignent des conséquences visibles du plastique sur l’environnement. Un sursaut est indispensable.
Croissance et hypocrisie ordinaire
L’aveuglement est aujourd’hui général quand il est question du dogme économique dominant : investissement, activité, croissance. Nos sociétés sont bercées depuis plusieurs générations dans l’illusion que l’objectif de l’existence humaine serait de produire toujours davantage de choses sans véritablement questionner la manière dont nous le faisons, nos conditions de vie et surtout l’objectif de cette croissance. Cette négation des limites de la planète se traduit très concrètement, par exemple, par l’utilisation massive de plastique ou de composés non durables dans notre quotidien. Et en dépit des efforts pour réduire les déchets, le système productiviste n’est pas remis en cause car l’intérêt économique supérieur prévaut sur l’intérêt collectif.
Remettre l’intérêt général et la protection du bien commun au cœur de la société ? Pensez-vous ! Le spectre bien commode du Communisme n’est jamais loin… Ainsi, le serpent se mord la queue. Les institutions économiques, lancées telles des locomotives à pleine vitesse, se refusent à reconsidérer le modèle qui les fait vivre. Les populations aisées, elles, peinent à reconsidérer le confort dont elles jouissent. Les médias dominants continuent d’abreuver les esprits de publicités avec l’idée que la consommation est un art de vivre. Quant aux pays émergents, ils aspirent très naturellement à se développer sur un modèle similaire toujours idéalisé. À l’ère du marché mondial, la simple idée de « limite » apparait comme une violation majeure des libertés économiques. Alors, sommes nous condamnés à observer la décrépitude de notre civilisation dans l’opulence éphémère qu’elle nous offre ? Nuls doutes que nous soyons de plus en plus nombreux à ne pas l’accepter.
Sources : nytimes.com / pnas.org / theguardian.com