Alors que dans le monde de la mode et du textile, on a le sentiment qu’un scandale en remplace un autre, certains essayent de se tourner vers des modèles économiques plus éthiques et durables. Associés depuis trois ans à l’ONG indienne SSMI, qui soutient les femmes en leur donnant un travail justement rémunéré dans un pays où ces dernières sont victimes de nombreuses discriminations, Pierre et Julien se sont lancés dans la production de sacs à dos qui respectent les droits des travailleurs où qu’ils se trouvent. Les deux jeunes, respectivement âgés de 26 et 25 ans, se sont rencontrés à Toulouse avant de se lancer dans ce projet intitulé « Packka ». À l’occasion de la prévente de leurs nouveaux modèles de sacs confectionnés par SSMI, ils nous expliquent leur démarche et les fondements de leur engagement. Interview.
Mr Mondialisation : Qu’est-ce que Packka et comment est né ce projet ?
Pierre et Julien : C’est une marque de sacs à dos dont l’objectif est de mêler une action sociale concrète et une mise à l’honneur de l’Inde. Après trois ans de voyage là-bas, nous avons commencé à collaborer avec l’ONG SSMI (Swami Sivananda Memorial Institute), à New Delhi, avec qui nous avons créé notre marque éthique : Packka.
Pour la petite histoire, on a eu la chance de découvrir Delhi pour la première fois en 2014, lors de notre rencontre avec SSMI. L’ONG agit, entre autres, pour l’émancipation des femmes, notamment dans le quartier de Punjabi Bagh au nord-ouest de la ville. C’est un sujet crucial en Inde, où les violences à l’égard des femmes sont nombreuses et les inégalités criantes. L’ONG lutte contre ces phénomènes sociaux inquiétants par la réinsertion et l’autonomisation des femmes.
Nous répondons donc aux dérives de l’industrie textile en nous associant à une structure qui s’engage pour le respect des droits des femmes. L’ONG leur offre un travail et un salaire digne, les forme, soutient la scolarisation des enfants, l’éducation de manière générale et sensibilise aux bonnes pratiques quotidiennes, qu’elles soient alimentaires, sanitaires ou sociales. En vendant nos produits, nous avons pu leur dédier plus de 100 000 euros en 2017. L’ONG SSMI constitue donc l’origine et la finalité de ce projet.
Packka, en hindi ça veut dire « sûr, fiable », car c’est cette fiabilité que nous voulons garantir aux femmes qui nous accompagnent.
Mr Mondialisation : Pourquoi est-il aujourd’hui vital de changer les règles du jeu dans le monde de la mode ?
Pierre et Julien : L’un comme l’autre, nous sommes persuadés que pour changer ces fameuses règles du jeu, chacun peut apporter sa pierre à l’édifice à son niveau. Une des règles du jeu dans la mode aujourd’hui, c’est de sous-payer ceux qui fabriquent les produits : en moyenne, les travailleurs et travailleuses touchent 4 à 10 % du prix final du produit (source : OXFAM 2017). C’est à cette incohérence que nous tentons de répondre avec Packka, afin de rendre cette industrie plus humaine alors qu’aujourd’hui les personnes qui travaillent en bas de l’échelle dans la branche textile sont souvent sacrifiées pour des raisons économiques.
Notre défi, c’est d’arriver à donner plus de moyens à l’ONG qui fabrique nos produits, afin qu’elle puisse entreprendre ses actions sociales plus sereinement et efficacement. Ce type de structure est trop souvent dépendante des dons, des revenus essentiels mais trop irréguliers et a du mal à s’auto-suffire financièrement. Si les ONGs pouvaient compter sur des revenus plus réguliers et fiables, elles entreprendraient plus de choses. En Inde, les ONGs sont très peu soutenues par le gouvernement (moins de 10 % de leurs revenus pour SSMI). Pour contrer cela, nous avons décidé de travailler sur le long terme avec SSMI, en leur fournissant du travail afin que les femmes qui y travaillent puissent jouir d’une source de revenu importante, régulière et fiable. À notre modeste échelle, on arrive à pouvoir rémunérer justement et utilement les 55 femmes qui nous accompagnent et à aider à mettre leurs enfants à l’école gratuitement.
De manière globale, les mentalités changent petit à petit, et nous sommes convaincus que l’on peut faire du commerce utile et avoir une activité économiquement viable tout en prenant soin de ses partenaires et de ses fournisseurs. C’est ce que nous essayons de prouver depuis 3 ans maintenant. Ici, c’est la condition des femmes qui est au cœur de notre projet et on se rend compte que l’on peut avoir un vrai impact sur place si l’on prend le temps d’installer une relation solide et équilibrée.
Nous pensons que c’est un constat qui s’applique à toutes les industries.
Mr Mondialisation : Concrètement, pouvez-vous expliquer comment votre travail avec des ONGs locales en Inde améliore la vie des femmes sur place ?
Pierre et Julien : Concrètement, nous soutenons et finançons l’activité de la branche textile de SSMI. 30% du prix de nos sacs leur revient directement. Nous avons également une activité de vente d’accessoires textiles sur mesure ce qui qui nous permet de reverser le même pourcentage à l’ONG pour les pièces qui sont ainsi confectionnées.
Ce qui est important, c’est que nous ne faisons pas de dons, nous rémunérons le travail de l’atelier de couture. 55 femmes sont parties prenantes et nous les rémunérons environ 3 fois plus que le salaire minimum. Par ailleurs, sur place, une équipe avec qui nous sommes en contact quotidiennement encadre et forme les femmes des quartiers démunis de Delhi.
Plus notre collaboration se développe, plus notre champ d’action est élargi. En 2018, nous allons par exemple financer une école maternelle pour 120 enfants. Ce nouveau projet s’inscrit dans la continuité de notre action auprès des femmes. « Parier » sur la scolarisation, c’est aussi assurer la transmission de savoirs à d’autres générations et s’engager pour l’égalité.
Mr Mondialisation : Mais dans un milieu soumis à une concurrence rude, comment peut-on bâtir un modèle économique résilient tout en prenant en considération les questions sociales ?
Pierre et Julien : Pour solidifier ce modèle économique, les enjeux principaux sont la sensibilisation et la communication. Mais la dimension éthique de nos sacs à dos ne doit pas être la seule raison pour laquelle les gens adhèrent à l’aventure Packka. Nous voulons offrir des produits tendances, à un prix raisonnable. Par ailleurs, nous avons la chance de pouvoir travailler avec des femmes qui ont un réel savoir-faire. C’est aussi ce que nous mettons en avant, au-delà de la dimension sociale.
Nous estimons en quelque sorte que la partie éthique est une chose que nous devons assumer personnellement mais nous ne pouvons pas en faire notre seul argument de vente. C’est notre mission quotidienne de faire comprendre à nos clients, prospects ou partenaires que les prix peuvent rester raisonnables et les produits de qualité en respectant le travail des fournisseurs.
Nous faisons également comprendre à nos clients qu’il est bénéfique pour eux de pouvoir/savoir communiquer autour de cet achat social. Leur engagement n’est pas éphémère, ils doivent être capables d’expliquer à leurs propres clients, prospects etc… en quoi ce commerce solidaire est une plus-value.
L’innovation, le service sur mesure, la relation client/partenaire sont également des points qui sont d’une importance majeure pour se démarquer. Nous ne devons pas nous enfermer dans une logique de prix/concurrence frontale.
Mr Mondialisation : Quelles règles vous imposez-vous pour ne pas perdre vos valeurs de vue sur le long terme ?
Pierre et Julien : Nous avons débuté cette histoire grâce à SSMI. Nous nous « imposons » de continuer à leur fournir le plus de travail et de moyens possibles, car c’est grâce à elles/eux que nous en sommes également là aujourd’hui.
Packka est né du savoir-faire de SSMI. Nous réfléchissons à nos projets en prenant en compte les capacités et possibilités de l’ONG plus que l’inverse. Comme on aime à le dire, SSMI est l’origine et la finalité de notre activité. Nous pourrions aller produire pour moins cher dans d’autres parties de l’Inde par exemple, mais c’est avant tout notre collaboration avec SSMI que nous voulons développer.
Régulièrement, nous réfléchissons à d’autres projets que nous pourrions mener en parallèle, par exemple en nous rapprochant de structures qui facilitent l’accès à l’eau en Inde, une autre problématique urgente dans ce pays. Nous en sommes qu’au début de l’aventure et quoi qu’il arrive, nous faisons en sorte que si demain notre activité cesse ou n’est plus viable, nous aurons pu changer les choses du mieux que l’on a pu, à notre échelle.
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