En octobre 2015, paraissait aux éditions les Arènes « Bienvenue à bord ! La vie infernale d’une hôtesse de l’air low cost », un témoignage poignant de Sofia Lichani, ancienne hôtesse de l’air, co-écrit avec son compagnon Thomas Rabino. Elle y dévoile les dessous de Ryanair, devenue n°1 des compagnies low cost en Europe.
En rendant accessible à tout public les voyages en avion à des coûts très compétitifs, les compagnies aériennes à très bas coût (low cost) ont connu un succès colossal. Effet collatéral d’une stagnation des salaires et d’une précarité qui devient peu à peu la norme de la mondialisation, les travailleurs gagnent relativement peu mais, souhaitant voyager quand même, le font en toute logique au plus bas prix. Un cercle vicieux où chacun est tour à tour coupable et victime, ce qu’observe Sofia Lichani dans cet entretien pour Mediapart : « On a des salaires qui font que le low cost nous est imposé (…). On parlait d’uberisation de la société : c’est ça. On survit avec nos salaires, on paye des impôts. Le choix de billets pas cher comme Ryanair, le choix d’aller dans des magasins comme Aldi, ED, s’impose : on n’a pas le choix, on survit ».
Ayant travaillé 5 ans pour la compagnie Ryanair, son témoignage confirme depuis l’intérieur la logique de froide maximisation des profits indifférentes aux employés, déjà bien connue, appliquée par l’entreprise du milliardaire Michael O’Leary. Guère adepte de la langue de bois, le patron affirme haut et fort ce qu’il pense de ses employés : « Le personnel est généralement votre coût le plus élevé. Nous employons tous des connards fainéants qui ont besoin d’un coup de pied dans l’arrière-train. Mais personne n’ose l’admettre » avait-il déclaré dans les médias. Des propos qui en disent long sur la mentalité du personnage.
Objectification des femmes et capitalisme font bon ménage chez Ryanair (source)
Employé jetable pour esclavagisme moderne
Dès l’entretien d’embauche, explique Sofia Lichani, « on nous demande si on est capable de payer la formation, si on parle un petit peu anglais ». La formation dure 5 semaines et coûte 2000€… intégralement aux frais du travailleur. Dans la foulée, l’ex-hôtesse signe un contrat de 0 heure : « on est payé uniquement pour les heures de vol » explique-t-elle. Bien entendu, pas d’indemnité de l’entreprise en cas d’arrêt maladie ni en cas d’astreinte (lorsque l’employé reste à domicile pour être mobilisable si l’entreprise l’exige). Pour le dire simplement : l’employé est corvéable à merci et la compagnie en dispose à sa guise, allant jusqu’à déduire le coût de l’uniforme de la paye.
Le salaire, dérisoire, est de 800€/mois au début (son premier mois ne lui a rapporté que 400€), assorti du paiement des heures de vol et de commissions variables. Une situation précaire qui s’ajoute au fait que les employés qui n’atteignent pas les objectifs de vente, grâce auxquels ils dégagent une partie substantielle de leurs revenus, peuvent être licenciés. Elle qui rêvait, enfant, de devenir hôtesse de l’air, déchante : « entre rêve et réalité, il y a un énorme décalage quand vous travaillez pour Ryanair. C’est plutôt le camping qu’hôtel cinq étoiles à l’autre bout du monde », explique-t-elle à La Libre Belgique.
1300 heures impayées
La santé physique des employés, qui travaillent parfois de 3h du matin à 17h, de même que la sécurité des passagers passeraient donc au second plan. Sur RMC, Sofia Lichani signale que, parfois, les pilotes doivent « atterrir en urgence parce qu’il n’y a pas assez de fioul. Il peut arriver qu’on soit dérouté, en raison de problème de météo, et dans ce cas Ryanair doit passer en priorité car les avions ont juste assez de fioul ». Et pourtant, la compagnie, actuellement valorisée en Bourse à 8 milliards d’Euros, continue de capitaliser en faisant des économies partout où elle le peut.
Ayant imprimé ses emplois du temps, qui indiquent 5000 heures de travail effectuées, Sofia Lichani réalise que 1300h ne lui ont pas été payées : il s’agit du temps de rotation, soit le temps séparant l’atterrissage du décollage suivant. 25 minutes, en moyenne, d’attente et de disponibilité pour l’entreprise, qui ne lui sont pas payées lors de chaque déplacement. Aussi espiègle que cupide, O’Leary déclare gagner « environ 20 fois le salaire moyen d’un employé de Ryanair et [penser] que l’écart devrait être plus grand ».
Un modèle libéral implacable
Avec son hostilité ouverte à l’interventionnisme économique des États, les divers règlements sociaux nationaux et à l’acquittement des cotisations sociales (curieusement moins aux subventions dont bénéfice l’entreprise et qui s’évaporent dans les paradis fiscaux), sa politique anti-syndicale au nom du sacro-saint principe libéral d’une négociation directe entre l’entreprise et l’employé, son application systématique de l’évasion fiscale et du dumping social, son mépris du droit du travail, l’absence de cotisations sociales pour les employés, Michael O’Leary incarne par excellence l’apôtre du libéralisme économique, qui valorise égoïsme et cupidité. Et on n’évoquera pas ici le désastre écologique engendré par la généralisation des vols low-cost, parfois moins chers que le déplacement en bus entre le centre-ville et l’aéroport (9,99 euros).
« Malheureusement, on se dit que Ryanair impose son modèle. Les autres compagnies sont mises à genoux, n’ont pas le choix et doivent s’adapter au modèle low cost », estime Sofia Lichani. De fait, dans un entretien pour Les Échos où il fait amende honorable, Michael O’Leary a récemment pris position au sujet de la crise qui touche Air France. « Les protections politiques sont telles, estime-t-il, qu’on ne [le] laissera pas faire », c’est-à-dire racheter Air France-KLM, qui vaut 2 milliards d’Euros. « Quand Air France sera vraiment obligée de se restructurer, peut-être après les élections en France, il devra renoncer au moins à la moitié de son réseau moyen-courrier. Il restera sur les lignes principales, mais pour les passagers au départ de Carcassonne ou de Perpignan, il n’y aura pas d’autre solution que Ryanair. Ce serait également un bon moyen de faire bouger leurs syndicats (…) ».
Difficile de voir ce qui pourrait freiner la la croissance implacable de ce pionnier de l’uberisation, qui bénéficie de l’indifférence généralisée de ses usagers aussi bien à l’environnement qu’aux conditions de travail des employés, autant que de la stagnation généralisée des salaires et de la précarité galopante qu’elle engendre. En dernière analyse, seuls pourrait constituer un levier la lutte coordonnée et commune des syndicats (grèves, poursuites judiciaires, information aux usagers), des consommateurs organisés (campagnes d’information et de boycott), des médias et, surtout, d’élus décidés à soumettre la compagnie au strict respect des lois encadrant l’emploi et la fiscalité.
Sources : You Tube / 20Minutes.fr / BFMTV.com / La Libre Belgique.be / RMC.BFMtv.com / NouvelObs.com / Liberation.fr / BastaMag.net / Bakchich.info / Multinationales.org / Challenges.fr / LesÉchos.fr / TourMag.com / Photo à la une : Nouveaux uniformes de Ryanair – © Ryanair