En Belgique, les voitures de société sont fiscalement très avantageuses pour les entreprises et leurs employés. Conséquence : Chaque année, leur nombre augmente. Pourtant, le régime des voitures de société représente un manque à gagner pour la sécurité sociale et le budget de l’État. La quantité de ces voitures aggrave les problèmes de mobilité et nuit à l’environnement. Focus sur un succès dont on se serait bien passé.

Au lieu de réformer ce système fiscal inéquitable pour encourager les gens à abandonner définitivement leur voiture individuelle, le gouvernement s’est contenté de voter un loi interdisant les voitures à essence et diesel à partir de 2026. Le « budget mobilité », introduit il y a quatre ans, destiné à privilégier des modes alternatifs de transport, ne rencontre, lui, pas encore le succès escompté. 

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Un régime fiscal archaïque

La Belgique est le pays européen qui compte de loin le plus de voitures de société, également appelées « voitures-salaires », entendues comme une « voiture mise à la disposition d’un travailleur par sa société ou son employeur et qui peut être utilisée pour des besoins privés. La voiture de société représente un avantage en nature, ce qui signifie qu’à la place d’un salaire légèrement plus élevé, l’employé reçoit une voiture et une carte essence pour lesquelles il ne doit payer ni impôts ni cotisations sociales.

L’employeur ne paie pas non plus de cotisations sociales mais une cotisation dite de « solidarité » en fonction du taux d’émission de CO2 de la voiture, qui reste bien inférieure à une cotisation sociale sur le salaire.

Ce régime bénéficie donc à la fois aux entreprises et aux employés, raison pour laquelle il rencontre un succès particulier en Belgique qui est par ailleurs l’un des pays qui taxe le plus le travail en Europe. Ainsi, le nombre d’employés possédant une voiture de fonction ne cesse d’augmenter d’année en année. Selon les chiffres de l’Office national de la sécurité sociale (ONSS), le nombre de voitures-salaires a augmenté de 103 % entre 2007 et 2022.


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D’un point de vue fiscal, le régime des voitures de société est pourtant vivement déconseillé par des instances internationales telles que la Commission européenne ou encore l’OCDE qui appelle « les gouvernements à arrêter de subsidier les voitures de société » en stipulant que « cela améliorerait leurs finances publiques ainsi que la qualité de l’air ». La section Fiscalité et Parafiscalité du Conseil supérieur des Finances en Belgique estime également qu’ « il est préférable d’éviter d’attribuer des voitures-salaires à l’avenir et, au contraire, il est préférable de payer les travailleurs en espèces, ce qui leur permet de juger librement de la manière dont leur salaire doit être dépensé ».

Ces avis ne sont jusqu’ici que très peu entendus par les autorités belges, frileuses de revoir ce système très populaire au sein de la population. Au lieu de cela, en 2021, une loi actant la fin de la déductibilité fiscale des voitures de société thermiques à partir de 2026 a été votée. Une bonne étape vers une diminution d’utilisation d’énergies fossiles certes, mais cette décision a comme désavantage d’avoir orienté le débat vers les voitures électriques et non pas vers une sortie progressive de ce système fiscal. De plus, l’électrification du parc automobile va renforcer la tendance de ces dernières années aux véhicules plus lourds, puissants et encombrants de type SUV, plus polluants à la construction et à l’utilisation, étant donné que ce sont ces modèles qui sont les plus produits en électrique.

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En bref, la mesure du gouvernement qui visait à rendre la « mobilité plus verte » reste donc superflue et ce tabou politique autour des voitures de société en Belgique n’est pas sans conséquences.

Le coût sociétal et environnemental des voitures de société

Une étude sortie en 2019 dirigée par le Brussels Studies Institute (BSI) permet d’apporter des éléments concrets d’analyse dans le débat autour des voitures de société et tente de démontrer les coûts environnementaux et sociétaux que représentent cet avantage fiscal.

Premièrement, sur bases d’estimations pour l’année 2016, les chercheurs évaluent le déficit que représentent les voitures de société pour le budget de l’État et la sécurité sociale à 2,3 milliards d’euros par an, dû aux manques à gagner en déductions d’impôts et de cotisations sociales. Canopea, la fédération des associations environnementales, avait chiffré en 2011 ce déficit à 1,8 milliard d’euros pour le budget de l’État et 1,7 milliard pour la sécurité sociale. Des montants qui pourraient pourtant être bien utiles à investir dans les services publics, notamment les transports.

Deuxièmement, le coût environnemental des voitures de société, bien que difficilement quantifiable, est non négligeable tant sur la qualité de l’air que sur la production de gaz à effet de serre. Selon François Gemenne, membre du GIEC, le plus gros point faible de la politique climatique belge est le secteur des transports :

« C’est très clairement le secteur en Belgique qui parvient le moins vite à se décarboner. C’est là où on peine le plus à atteindre les objectifs. Il y a un coupable et un responsable qu’il faut désigner : les voitures de société. »

En cause notamment, la carte essence qui fait que l’employé ne doit pas se soucier des distances qu’il parcourt puisque son carburant est totalement payé par l’employeur, que cela soit pour ses déplacements professionnels ou privés. Ainsi, l’asbl FEBIAC estime qu’une voiture de société parcourt en moyenne presque le double de kilomètres qu’une voiture privée en un an.

François Gemenne à la librairie Mollat de Bordeaux en janvier 2023. Wikimedia

De plus, les voitures de société contribuent à l’encombrement de la circulation dans les grandes villes puisqu’elles font incontestablement augmenter le parc automobile. À Bruxelles, selon l’étude du BSI, « ces externalités négatives causées par les voitures (de société) sont en contradiction directe avec les objectifs de réduction du trafic et de report modal affichés par la région bruxelloise et, en particulier, dans leur transcription en efforts ciblés au niveau des entreprises dans les Plans de déplacements d’entreprise. »

Enfin, les analystes soulignent l’aspect inéquitable du régime des voitures-salaires puisque ce dernier ne profite presque exclusivement qu’aux ménages aux revenus élevés (selon l’étude, 51 % des voitures de société sont enregistrées dans les 10 % des déclarations fiscales présentant les revenus les plus élevés). Le régime permet donc une réduction de taxation pour des travailleurs à hauts revenus uniquement et est en ce sens profondément inéquitable :

« l’effet principal de cette politique est de réduire la progressivité de l’impôt d’une partie des travailleurs les mieux rémunérés ; ce qui met à mal l’équité horizontale et verticale du système de taxation ».

Budget mobilité encore trop peu adopté

Pour remédier à ces externalités négatives, le budget mobilité a été introduit en 2019. Celui-ci permet aux employés de remplacer leur voiture de société par un budget équivalent pouvant être alloué soit dans une voiture de société plus respectueuse de l’environnement (selon un taux d’émission de CO2 défini), soit dans des moyens de transport durables (abonnements aux transports en commun ou achat d’un vélo par exemple) ou encore en frais de logement (une partie du loyer ou le loyer entier peuvent être pris en charge par le budget mobilité si l’employé habite à moins de 10 kilomètres de son lieu de travail).

source : Wikimedia

Malheureusement, cette compensation financière et alternative environnementale ne séduit encore que trop peu puisque, au 1er janvier 2023, seuls 1,5% des employés avaient choisi de renoncer à leur voiture de société pour opter pour le budget mobilité. Cela est dû notamment à un manque de communication des autorités sur cette alternative, et au fait que les employeurs ne sont pas obligés de proposer le budget mobilité à la place d’une voiture de société.

L’échec du budget mobilité peut également en partie être attribué au problème d’offre et d’efficacité des transports publics en Belgique, pointé du doigt par le spécialiste François Gemenne :

« En Belgique, il y a vraiment un problème avec une offre de transport public qui est sous-dimensionnée alors que la densité de population dans le pays devrait nous inciter à avoir des réseaux de transport les plus performants d’Europe. »

De plus, comme souligné par l’étude du BSI, le budget mobilité a été pensé comme compensation à la voiture salaire, la gardant au cœur du débat comme « point de référence ». Ainsi, « en imposant que toute réforme du système ne pénalise ni le travailleur, ni l’employeur par rapport au régime actuel des voitures de société, on balise le débat en mettant hors-jeu dès le départ toute possibilité de refonte en profondeur, voire de suppression, du régime des voitures de société. » À nouveau, cela permet d’écarter la nécessité de revoir en profondeur le régime fiscal belge.

Résultat des courses : une mobilité déplorable dans la capitale et ailleurs

Cette offre de transports insuffisante et le « tout à la voiture » belge se constate quotidiennement dans les rues de la capitale et ailleurs. Embouteillages, pollution : se déplacer dans la ville devient de plus en plus compliqué. Cela pénalise malheureusement les personnes qui ont réellement besoin de leur véhicule pour exercer leur métier (véhicules utilitaires ou encore soignants à domicile) ou se déplaçant en transports en communs qui ne circulent pas sur des sites propres.

Une chose est sûre : le régime fiscal avantageux des voitures-salaires n’est plus compatible avec les enjeux sociétaux et environnementaux actuels. La responsabilité est collective, pour la population de revoir ses modes de déplacement pour des villes plus apaisées, et pour les autorités de réformer le système fiscal pour qu’il soit équitable et en accord avec les objectifs climatiques qui nécessiteraient de tendre vers un modèle de fin de la voiture individuelle.

– Delphine de H.


Photo de couverture de Krzysztof Hepner sur Unsplash

Sources : 

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