180 millions de truites sont produites en France chaque année. Et alors que ce poisson est souvent consommé comme alternative au saumon, une nouvelle enquête de L214 témoigne des conditions industrielles bien peu éthiques dans lesquelles ces truites sont élevées chez l’un des leaders du secteur, Aqualande. L’entreprise possède plusieurs bassins dans le Sud-Ouest du pays. Les images laissent songeur.
Souvent sur le devant de la scène pour ses vidéos prises dans des élevages de volailles ou dans des abattoirs d’animaux terrestres, L214 publie ce vendredi 30 novembre des images filmées dans des élevages de truites chez Aqualande, leader de cette industrie en France. Rarement évoquées, les truites font pourtant partie des espèces dont le nombre est le plus important dans les élevages en Europe. « C’est la deuxième espèce la plus élevée en Europe après le poulet de chair », nous explique Sébastien Arsac, porte-parole pour L214. L’Hexagone joue un rôle clé dans le développement de la filière, puisqu’il accueille 18 % des 1 milliard d’individus élevés sur le continent.
Des méthodes d’élevage industrielles
Les images de L214 prises dans plusieurs piscicultures d’Aqualande dévoilent des conditions d’élevage particulièrement éprouvantes pour ces animaux. Dans les bassins, la surpopulation est la norme : les poissons sont serrés, stressés et se mutilent entre eux. Certains développent des maladies, alors que d’autres suffoquent, car les bassins ne sont pas suffisamment grands. Enfin, lors de l’abatage, les poissons sont immobilisés, mais ne sont pas inconscients. « Nous avions une image floue de ce type d’élevage. Nous nous sommes rendu compte que des méthodes intensives et rationalisées de type industriel sont appliquées ici aussi, comme on peut également l’observer dans des élevages de cochons ou de poulets », commente Sébastien Arsac.
« Nous avons également constaté que l’écart que l’on pouvait observer au niveau des élevages d’animaux terrestres entre le bio et les élevages standards, n’était pas visible dans l’élevage de truite », précise le porte-parole. En dehors d’une limitation de la concentration des poissons au sein des bassins, les producteurs bio auraient recours à des méthodes très comparables à celles appliquées en conventionnel. « Il n’y a donc pas vraiment d’alternative pour le consommateur », regrette Sébastien Arsac, « alors même que la truite est souvent présentée pour remplacer le saumon ».
Des manipulations à la testostérone pour obtenir des truites plus grosses
Tout aussi inquiétant, les nombreuses manipulations artificielles réalisées pour augmenter la rentabilité : dans la filière, les femelles sont privilégiées en raison de leur croissance plus importante. Au premier rang, la masculinisation des femelles en leur donnant de la testostérone. La reproduction de ces individus masculinisés ne donne que des femelles (pratique qui n’est pas autorisée en bio). Autre procédé : la pressurisation des œufs, technique qui permet d’obtenir des truites triploïdes – c’est-à-dire disposant de 90 chromosomes au lieu de 60 et qui ont également l’avantage d’avoir une taille plus importante.
Interrogé par le Monde, Stéphane Dargelas, directeur marketing et communication d’Aqualande, a fait valoir que les densités en bio – 35 kg par mètre cube – étaient respectées, et qu’il n’existe pas de normes pour les autres bassins. « Nous voulons pousser les consommateurs à réfléchir à ce qu’ils mettent dans leur assiette. Les truites ne semblent pas être une alternative éthique au saumon », conclu pour sa part Sébastien Arsac. Il n’y a pas de réglementation spécifique en ce qui concerne les élevages de truites : pour faire évoluer la situation, L214 réclame « une mission d’information sur les conditions d’élevage et d’abattage dans la filière piscicole soit immédiatement mise en place à l’Assemblée nationale ».
Notons à toutes fins utiles que la souffrance des poissons, démontrée depuis quelques années dans la littérature scientifique, a été reconnue officiellement dans plusieurs pays dont la Suisse. Dans le pays, la Commission fédérale d’éthique admet que les poissons peuvent souffrir et appelle pêcheurs et pisciculteurs à les traiter avec respect. Des études ont également exposé que les poissons sont sujets à la dépression dans certaines conditions de vie. En France, une tribune publiée en mars dernier par un groupe d’associations demandait de mettre un terme à l’inutile souffrance des poissons dans l’industrie. S’il est aujourd’hui largement accepté que les poissons peuvent éprouver la souffrance physique, les responsables politiques peinent à s’adapter aux connaissances actuelles, notamment à voter un cadre protecteur efficace. Reste donc la pression citoyenne et médiatique pour faire bouger ces lignes.
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