Réforme des retraites : chronique d’une déliquescence non annoncée ? Alors que celle-ci fait l’objet de consultations tendues entre le gouvernement et les partenaires sociaux, un collectif citoyen a jeté un pavé dans la mare en calculant que les pensions pourraient diminuer de 23% – à conditions similaires – avec la nouvelle réforme par rapport au système actuel. Pour démontrer les avantages du nouveau régime universel de retraite par points, Jean-Paul Delevoye, le Haut-commissaire chargé de ce dossier, aurait selon ce collectif effectué des simulations truquées. Avec une grève nationale prévue ce 5 décembre, les syndicats appellent à la mobilisation contre un projet de loi dont la philosophie intrinsèque est de travailler plus pour gagner moins avec en toile de fond un recul de l’âge de la retraite astucieusement camouflé. Explications. (Initialement publié le 13 septembre 2019. Mise à jour le 25 novembre 2019. Texte libre de droits.).
Tout le monde souhaite savoir si sa retraite va baisser à l’avenir avec le nouveau régime défendu par la présidence Macron. Pas évident de répondre clairement à cette question tant le gouvernement reste confus et vague sur les détails de la mesure. Selon le discours dominant, avec ou sans réforme, les pensions sont amenées à diminuer mathématiquement à long terme. Cela s’expliquerait par le fait qu’on compte de plus en plus de retraités, que ces derniers ont un temps de retraite de plus en plus long et que parallèlement le nombre de cotisants diminue, ce qui enclenche une réduction des recettes pour financer les pensions. Cette équation s’obtient dans le cas où ce n’est pas une redistribution autre de la richesse produite collectivement.
L’autre certitude, c’est que tout le monde s’accorde à dire que le système actuel mérite d’être revu pour se préparer à ces changements sans faire souffrir la population (et on n’osera même pas aborder ici le contexte de crash écologique à l’horizon 2050) et permettre à nos anciens de vivre dignement leur retraite. Le régime actuel est en effet trop lourd et complexe – 42 organismes de retraite qui ont chacun leur procédé de calcul – il accroît les inégalités déjà existantes entre hommes et femmes dans le monde du travail et il pénalise celles et ceux qui ont des interruptions ou des changements de secteur au cours de leur carrière. Alors réforme, oui, mais laquelle ? et surtout selon quel prisme politique ?
Une nouvelle réforme « Macron » mal accueillie
Face aux défaillances de l’actuel régime par répartition, le nouveau système mis en place par l’élite au pouvoir est-il la meilleure solution ? Le gouvernement et la majorité en sont tellement convaincus qu’ils semblent rejeter toute critique.
Après 18 mois de discussions avec les partenaires sociaux, Jean-Paul Delevoye, le Haut-commissaire chargé de la réforme, a remis en juillet dernier un document servant de base au projet de loi et qui fait actuellement l’objet de discussions avec syndicats et patronat. A en croire le secrétaire général de la CGT, aucune des propositions des syndicats n’a été prise en compte dans ce rapport. Invité sur Europe 1, Philippe Martinez dénonce une méthode typique du gouvernement qui est de « n’en faire qu’à sa tête » tout en simulant être ouvert au dialogue. Technique éculée qui donne aux partenaires sociaux et à l’opposition le sentiment d’évoluer dans une démocratie ouverte et respectueuse.
Ce que contestent principalement les syndicats – hormis la CFDT – c’est le système universel dit de retraites par points qu’Emmanuel Macron souhaite mettre en place pour remplacer les 42 caisses actuelles, avec la promesse qu’1€ cotisé donnera droit à la même pension. Ce système est calqué sur celui de l’épargne financière privée : grossièrement, je cotise tout au long de ma vie active et je récupère ma mise à la fin avec quelques ajustements. D’emblée, on comprend que l’esprit de la réforme est de contourner la solidarité collective qui fonde le modèle actuel – aussi imparfait soit-il – au profit d’un modèle égocentré, tourné vers la responsabilité individuelle, comme c’est le cas aux États-Unis.
Le gouvernement qualifie sa réforme d’universelle car il n’y aurait plus de spécificités selon le statut des français mais une pension unique, prenant en compte l’ensemble de la carrière au lieu des 25 meilleures années dans le régime actuel. Mais il apparaît que les injustices ne seront pas gommées avec cette nouvelle loi. Le montant des pensions est en effet indexé sur un taux de cotisation qui sera différent selon la catégorie socio-professionnelle, et plus ce taux sera bas plus la retraite finale sera basse. Par exemple, si je cotise une base de 15% de mon salaire pendant ma carrière, alors mes points à la retraite seront plus élevés que si j’avais cotisé 13% de mon revenu. Nous sommes donc face à un système fermé qui prive des professions fragiles de certains avantages, pénalise celles et ceux qui auraient des progressions de salaire durant leur carrière et qui pourraient – et c’est peut-être là le but inavoué – encourager les retraites par capitalisation auprès d’organismes privés pour les mieux nantis dont la capacité d’épargne sera plus élevée.
À cela s’ajoute le fait que le gain d’espérance de vie aura une répercussion négative sur ce régime par points. En effet, les pensions devraient en principe diminuer à force que la durée de vie s’allonge. On peut s’attendre alors à ce que des individus choisissent de repousser un maximum leur âge de départ et de travailler plus – même à productivité réelle plus faible – afin de continuer à cumuler des points pour toucher une meilleure pension. Encore faut-il que cela soit possible tant les seniors ont du mal à être acceptés sur un marché du travail ultra compétitif avec des employeurs qui refusent parfois de prolonger leur activité dans l’entreprise. En 2018, une personne sur deux n’était déjà plus en emploi au moment de son départ à la retraite.
Autre point du rapport de Mr Delevoye qui fait exploser de colère les syndicats : l’instauration d’un âge pivot à 64 ans à partir duquel on aura droit de toucher sa retraite à taux plein. Un passage à la retraite avant ce seuil sera pénalisé par une décote de 5% par an et inversement un départ à la retraite après cet âge d’équilibre sera bonifié d’une surcote de 5% par an. Même si l’âge légal de départ à la retraite demeure à 62 ans, les syndicats y voient clairement une manière détournée de le reculer de deux ans d’une seule fois ! On ignore si c’était pour faire plaisir à la CFDT (syndicat opposé uniquement à l’instauration d’un âge pivot à 64 ans dans la nouvelle réforme) qu’Emmanuel Macron lui-même a récemment exprimé qu’il n’était pas forcément favorable à cette mesure, mais il est certain que le projet de loi bien réel est loin de faire l’unanimité. La CGT a lancé un appel interprofessionnel national à la grève qui a recueilli l’adhésion des autres confédérations syndicales et plusieurs journées de manifestations sont prévues à la fin du mois de septembre.
Manipulation des chiffres pour avantager la future réforme
Pourtant, à en croire l’architecte de la réforme – qui risque de lutter pour la défendre devant le Parlement en 2020 – tout le monde serait avantagé par ce système qui se dit plus simple et plus juste. Dans son rapport, Jean-Paul Delevoye s’est basé sur 9 cas types (fonctionnaire, chômeur, cadre, personne au SMIC etc. ) en juxtaposant leur situation dans le système actuel de retraite avec celle qu’ils auraient « grâce » à la réforme. Ainsi, le rapport montre quasi systématiquement des situations gagnantes dans le contexte de l’après réforme. On croirait presque à une publicité pour une nouvelle poudre à laver idéale. Fin du débat ?
En juillet dernier, un groupe de citoyens – qui s’est formé en collectif pour décrypter les enjeux de cette réforme et mettre à disposition toutes les données possibles pour un débat public clair – a révélé que ces simulations du Haut-commissaire étaient truquées. Selon le collectif, afin de ne pas trop pénaliser la comparaison entre système actuel et futur dans le rapport, le calcul des pensions pour les “cas types” n’a pas été fait dans le cadre du régime présent “réel” mais en inventant un prolongement de la durée de cotisation qui va au-delà du cadre légal du moment ( 44,3 ans contre 43 ans en réalité ).
Ce procédé permet de rendre la réforme plus avantageuse pour tous, mais ne retranscrit pas la réalité de ce que vivront les citoyens d’aujourd’hui à leur retraite. En bref, la projection du gouvernement fait baisser artificiellement le montant estimé des pensions dans le contexte du régime actuel et réduit l’écart entre celles-ci et celles qui seraient perçues dans le futur système universel à points, laissant croire que la réforme n’aura aucune incidence sur le taux de remplacement (la part que représente votre pension par rapport à votre dernier salaire) des générations nées après 1990. Le collectif étaye son propos en reprenant l’exemple de Marine, cas-type utilisé dans le rapport Delevoye. Celle-ci a commencé sa carrière à 22 ans et a gagné tout au long de sa vie un salaire net de 2 238 €. Dans ce tableau, nous pouvons constater les calculs faits par le Haut-commissaire dans le cadre actuel, et en rouge les réels chiffres établis par le collectif réforme des retraites :
Dans le cas où Marine serait née en 1990, et où elle partait à 62 ans à la retraite, elle toucherait avec le régime universel une pension de 1856 € contre 1839 € sous le régime actuel des retraites par répartition, soit un écart de 17 € par mois seulement. Mais utilisant le procédé de calcul approprié le collectif a révélé qu’en réalité la législation actuelle est plus favorable que le système de la réforme et ce presque dans tous les cas :
“Sur la méthode, c’est scandaleux. Sur le fond c’est clair, la réforme Macron contient en elle même des mesures d’économies plus importantes que celles du système actuel”, peut-on lire sur le site de ce groupe de citoyens selon lequel la réforme comprend intrinsèquement l’équivalent de nouvelles mesures de report de l’âge de départ qui n’ont jamais été votées ni annoncées. Qualifiant la méthode Delevoye d’entourloupe et de mensonge, le collectif a décidé de ne pas s’arrêter là et de reconstituer une partie manquante du rapport officiel. Et leur résultat fait l’effet d’une bombe. En se basant sur de sérieuses données issues des travaux du Conseil d’orientation des retraites, le collectif a révélé que les pensions dans le système futur seront amenées à diminuer en moyenne de 23% ! Pour le démontrer, ils ont pris trois cas exemples composés chacun d’un individu né en 1961 comparé à sa progéniture née elle en en 1990.
Exemple, Mathieu et Mathias, tous deux salariés du privé :
Dans le cas de Marie et Maryam, toutes deux fonctionnaires, la baisse du taux de remplacement est de 15 % par rapport à la situation actuelle :
Le 3ème exemple de Jules et Julien, l’un né en 1961 et l’autre en 1990, employés tous deux au SMIC durant toute leur carrière, avec les mêmes caractéristiques que les cas précédents, montre lui une baisse de 21% du taux de remplacement pour la personne de la 2ème génération ! En conclusion, les trois situations reconstituées par le collectif montrent que les quarantenaires et trentenaires d’aujourd’hui devront travailler deux à trois années de plus que leurs parents afin de prétendre à une retraite comparable :
En résumé : il faudra, si la réforme est validée, travailler plus pour gagner la même chose, sinon moins. Suivant cette même ligne austère réclamée par l’Europe, le gouvernement a-t-il décidé de sacrifier l’intérêt des travailleurs et la qualité de vie des futurs retraités au nom d’objectifs de restriction budgétaire ? Il a en tout cas maintes fois annoncé la couleur en insistant sur la nécessité d’atteindre un équilibre financier du régime des retraites dès 2025. Comment va-t-il y parvenir sans allonger dès à présent la durée de cotisation ou sans reculer l’âge légal de départ, si pas officiellement, à l’aide de moyens détournés ? Le tabou sera-t-il brisé dans les mois à venir ?
Pourtant, l’équilibre financier ne devrait pas avoir de mal à être atteint d’emblée avec la décision ferme du gouvernement de bloquer sa part de dépenses pour les retraites à 14% du PIB. Avec cette mesure, il a été établi qu’en 2046 la retraite moyenne sera de seulement 48 % du salaire net moyen. La France est-elle si pauvre au point de décider de raboter les niveaux de pensions des travailleurs moyens qui ont sacrifié leur vie au travail ? Pas si sûr, et les mesures audacieuses ne manquent pas pour combler le manque dans un pays riche comme l’est l’Hexagone. Dans un entretien à l’Humanité, Fabien Roussel secrétaire national du PCF a donné une piste non négligeable qui permettrait de récupérer tout de suite 30 milliards d’euros pour financer une retraite à 60 ans : soumettre à cotisation au même titre que le revenu de chaque salarié “les revenus financiers, les dividendes, les placements… ces centaines de milliards aujourd’hui perçus comme des salaires par les familles les plus riches”. Faire en sorte que le capital participe autant que le travail à l’effort collectif. Des propositions qu’il dit vouloir mettre en discussion avec les forces syndicales, de gauche et les écologistes. De toute évidence, l’idéal aurait été que cette solution saute aux yeux du gouvernement. On peut toujours rêver.
Pan