Dans une nouvelle étude publiée dans la revue scientifique Nature, des chercheurs américains alertent sur la menace que représente l’effet cocktail des pesticides sur les différentes espèces d’abeilles à travers le monde. Cette combinaison de substances agrochimiques augmente en effet nettement la mortalité des abeilles, pourtant vitales pour la survie des écosystèmes sains et diversifiés. Cet effet de synergie est largement sous-estimé par les autorités chargées de réguler la mise sur le marché de ces produits, d’après les auteurs du rapport. L’analyse « met (ainsi) en évidence la nécessité d’un réexamen à l’échelle mondiale des approches d’évaluation des risques pour la réglementation des pesticides », explique le Dr Adam J. Vanbergen. De quoi alerter une fois de plus citoyens et politiques sur la nécessité d’agir rapidement et efficacement pour la protection de ces pollinisateurs, également inhérents à une alimentation de qualité et en quantité suffisante pour les populations humaines.
Si l’abeille la plus connue dans nos régions est l’Apis mellifera, soit l’abeille domestique européenne productrice de miel, il en existe de très nombreuses autres espèces. On les distingue alors selon leur caractéristiques et leurs modes de vie respectifs : sauvages, en solitaires, mellifères ou en colonies. Si chaque espèce a ses particularités, elles ont cependant toutes un point commun : la pollinisation.
La pollinisation indispensable à notre écosystème
Les abeilles font en effet partie des créatures les plus travailleuses de la planète, fournissant des services écosystémiques multiples et vitaux pour la reproduction de nombreuses plantes cultivées et sauvages. Ce faisant, elles forment un maillon clé dans le réseau enchevêtré d’interactions d’espèces qui soutiennent la biodiversité et les écosystèmes sains. Mais en plus de servir l’environnement, ces petites bêtes volantes participent également à assurer la survie de l’espèce humaine. Ainsi, selon l’Organisation des Nations-Unies (ONU), près des deux-tiers de la production végétale agricole dépend de la pollinisation réalisée par des insectes ou par d’autres animaux. De quoi rendre définitivement l’abeille indispensable à l’alimentation de la population mondiale.
Pourtant, le nombre d’abeilles et d’autres pollinisateurs est en forte baisse dans plusieurs régions du globe, et ce principalement en raison des activités humaines qui générent du stress pour ces insectes volants. Sont en cause notamment les pratiques agricoles intensives, la monoculture, le recours excessif aux produits chimiques agricoles, les températures en hausse associées au changement climatique, mais aussi la propagation d’espèces exotiques envahissantes, comme le frelon asiatique, ou encore les problèmes de ravageurs et d’agents pathogènes. Ces différents facteurs de stress affectent ainsi dangereusement l’espérance de vie des abeilles, menaçant même la survie du clade tout entier.
Le déclin des abeilles de plus en plus dramatique
Si cette tendance se poursuit, les cultures nutritives telles que les fruits, les noix et autres légumes se verront remplacer par des cultures vivrières comme le riz, le maïs et les pommes de terre, favorisant ainsi les régimes alimentaires déséquilibrés. En effet, la disparition des abeilles « a pour effet de non seulement affecter les rendements agricoles mais aussi la nutrition », prévient l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Alors que l’inquiétude générale concernant le déclin de ces espèces de pollinisateurs a déjà conduit à la réalisation de nombreuses études, identifiant tour à tour les facteurs anthropiques qui sont préjudiciables individuellement aux populations d’abeilles, les interactions synergiques entre ceux-ci n’avaient pas encore été largement mesurés. Pourtant, le effets de la combinaison de plusieurs phénomènes nocifs pour les abeilles sont essentiels à connaître afin d’agir concrètement et efficacement pour la protection de ces animaux si précieux à notre écosystème.
C’est pourquoi le chercheur Harry Siviter et son équipe de l’Université de Austin au Texas, ont voulu évaluer quantitativement l’ampleur de ces différentes menaces combinées ensemble. A partir de près d’une centaines d’études dans lesquelles les abeilles avaient été exposée à des combinaisons de produits agrochimiques, de facteurs de stress nutritionnels et/ou des parasites, les scientifiques ont ainsi mis en lumière l’existence d’un effet synergique global entre plusieurs facteurs affectant davantage la mortalité des abeilles.
La nocivité des cocktails de pesticides largement sous-estimée
Les conclusions de l’étude confirment par exemple que le cocktail de produits agrochimiques que les abeilles rencontrent dans un environnement d’élevage intensif crée un risque supplémentaire pour ces populations. En d’autres mots, l’effet combiné entre différents pesticides et d’autres substances chimiques est vraisemblablement supérieur à la somme des effets de chacun. Selon le chercheur, ces résultats « pourraient avoir des implications importantes pour les décisions politiques visant à améliorer la santé des pollinisateurs ». En effet, « les régulateurs doivent considérer les interactions entre produits agrochimiques et d’autres facteurs de stress environnementaux avant d’autoriser leur utilisation », déclare Harry Siviter à l’AFP. L’étude pointe particulièrement du doigt la pénurie de nourriture à laquelle les abeilles vivant en ville ou en campagne largement cultivée font face, créant ainsi un facteur de stress et une cause de mortalité supplémentaire.
Mais si l’attention s’est concentrée jusqu’à présent sur les abeilles domestiques, il faut davantage de recherches concernant les autres pollinisateurs qui pourraient réagir différemment, explique le Dr Adam J. Vanbergen, membre du Centre britannique pour l’écologie et l’hydrologie, qui commente l’étude. Celle-ci « met (toutefois) en évidence la nécessité d’un réexamen à l’échelle mondiale des approches d’évaluation des risques pour la réglementation des pesticides », poursuit le chercheur. Et c’est en effet ce que plaident de nombreuses associations de protection de l’environnement. « Une réglementation stricte de l’utilisation des substances potentiellement dangereuses pour les abeilles doit être adoptée, conformément au principe de précaution et en se fondant sur les preuves scientifiques actuelles concernant la vulnérabilité des abeilles domestiques et les agressions qu’elles subissent », exhorte ainsi Greenpeace dans son rapport sur la question.
L.A.
L’étude : https://www.nature.com/articles/s41586-021-03787-7
Et son commentaire : https://www.nature.com/articles/d41586-021-02079-4