C’est un artiste que Mr Mondialisation avait déjà présenté en 2016 : Stéphane, dit Fasto, qui se faisait fort de remplacer les banales affiches publicitaires dans le RER par des œuvres de sa main. Une manière de colorer le quotidien, d’engager la conversation avec d’autres passagers dans une démarche artistique qui se veut avant tout une recherche de soi, une réappropriation de sa vie dont lui seul se doit d’être le créateur. Fasto a réitéré l’opération. Il publie une vidéo en forme de court voyage initiatique dans le RER. Fruit de plusieurs mois de travail, de peintures, de rencontres, de collaborations, cette vidéo réalisée avec Yohann Grignou de la coopérative Samourai (dont Fasto est associé) s’intitule « Voyage Intérieur« . Il s’agit d’une exploration poétique et méditative sur notre rôle dans cette société en tant qu’être humain, en tant que créateur. Pour M. Mondialisation, l’artiste a accepté de répondre à quelques questions sur sa vision de l’art.
Avant la Galerie du RER
La carrière de Fasto n’a pas débuté avec ses œuvres exposées dans le RER. Avant cela le jeune artiste avait fait ses armes dans le « Light Painting » qu’il découvrit en 2009. Il s’agit de photographies en pause longue qui permet alors de « peindre avec la lumière » une danse lumineuse. Une technique intuitive qui lui fait découvrir la puissance du geste et du rôle quasi magique de la lumière. C’est cette expérience qui fera de lui un artiste. Dans ses œuvres ultérieures -réalisées entre 2015 et 2017- il mêlera aussi indistinctement photographies en pause longue avec des peintures de sa main, des collages ou des portraits.
En 2016 Fasto expose des peintures dans la ville de Palaiseau, une série qu’il nomme « Urban Nature » et dont la finalité était de se réapproprier l’espace urbain au profit de la Nature à travers l’art. Une manière d’interroger l’homme sur la place qu’il a laissée à cette dernière, la destruction d’écosystèmes pour construire à la place des forêts d’immeubles. Fasto s’engage dans le même temps dans des réalisations collectives, dans des écoles, des centres de loisirs, des associations, des lieux publics. Une démarche de partage pour aller vers l’autre, pour que chacun libère sa créativité, pour échanger sur les expériences et vécus personnels. Des moments qui se concrétiseront sous forme de fresques murales collectives.
Son art, Fasto le vit en réaction à une société qu’il trouve absurde, porteuse de violences et de destructions. Et pour ne plus la subir devenir artiste a été sa libération : « J’ai vite compris que je ne voulais plus la subir, mais que je devais devenir le créateur de mon propre sens. » écrit-il. La liberté, il l’a gagnée à coups de pinceaux salvateurs qui lui procurent des moments de joie à lui et à toutes les personnes avec qui il partage son art et sa philosophie créatrice. Car pour Fasto, l’art n’a de sens que s’il est partagé, soit le temps d’une œuvre collective, soit lorsque le dialogue s’engage avec des spectateurs comme lors de ses happenings du RER.
La Galerie du RER
C’est en 2015 que Fasto se lance dans ses happenings du RER qui nous avions détaillés en 2016. À ce jour, Fasto a posé ses œuvres sur plus de 400 panneaux publicitaires. Concernant cette démarche l’artiste nous a apporté certaines précisions.
Il vous arrive de peindre en « direct » dans les transports, quel genre d’échanges avez-vous pu avoir avec les voyageurs qui vous voient faire ?
Cela m’arrive assez régulièrement d’en faire en direct, j’ouvre la publicité, la retourne je prends un marqueur et fait un dessin en un trait. C’est la version de poche qui accompagne mes voyages. J’ai appris avec le temps à assumer pleinement le regard de l’autre et le faire devant les gens, à enlever capuche et écouteurs, me montrer ouvert à l’éventuelle rencontre. J’essaie tant bien que mal de ne pas inspirer plus de peur qu’il n’y a déjà dans l’atmosphère ambiante.
A mon propre étonnement, Je n’ai jamais eu de problèmes avec les passagers. Je reçois régulièrement des petits signes d’encouragements, des mercis. Parfois même la conversation s’enclenche. J’ai envie de continuer dans ce sens, de pouvoir créer des espaces de rencontres et de discussions. Mais la vérité est que la plupart des passagers sont absorbés par leur smartphone et ne me regardent pas faire.
Est-ce que vous récupérez les œuvres que vous affichez dans le RER ? Si oui, quel futur leur destinez-vous ? Les verriez-vous un jour être exposées dans un musée ou cela serait contraire à votre philosophie ?
Non, je ne les récupère pas, ça me semblerait un peu superficiel de les poser pour la photo et de les reprendre après. Je pense que si un jour elles sont exposées quelque part, ce ne sera pas de mon fait, mais peut être d’un employé de la RATP qui les aurait récupérées en cachette. En attendant ce collectionneur mystérieux, je pense que mes œuvres continuent de voyager, et quand vient son temps, on vient juste coller une nouvelle pub dessus.
De les voir exposer dans un musée ne serait pas contraire à mes principes. Une fois que je pose une peinture dans le train, elle devient indépendante, et je n’ai plus d’impact sur celle ci. La seule choses qui me dérangerait, serait qu’elle soit l’objet de spéculations financières.
Les œuvres que Fasto a créées, seul ou à plusieurs mains, sont d’ailleurs particulièrement présentes dans sa vidéo « Poésie – Voyage Intérieur ».
« Poésie – Voyage Intérieur »
« Un langage qui dépasse les mots et fait s’évaporer nos masques, s’émanciper du paraître et rentrer dans l’être »
Au sujet de la vidéo « Voyage intérieur », quelle est la genèse de ce projet ? d’où l’idée a-t-elle surgi ?
Cela faisait un bout de temps que je travaillais sur une nouvelle série de peintures, que je voulais plus aboutie. Dans cette série, je voulais vraiment apporter une énergie nouvelle, faire un cadeau aux passagers, intime et vrai.
Lorsque je crée, je me connecte à une partie profonde en moi, je choisis mes intentions et conscientise mon énergie. Je charge ces peintures d’intentions, qui j’espère, dans l’invisible se transmettent et se reçoivent. J’avais vraiment l’envie d’en faire une vidéo illustrée par un texte qui serait, non pas un égo-trip sur ma démarche, mais une invitation à s’explorer et oser créer.
C’est aussi pour moi une sorte de coming-out poétique, partie de ma création artistique sur laquelle je restais très discret. Le projet a mis du temps à éclore, mais j’en suis très heureux et je remercie Yohann Grignou, excellent réalisateur, à l’écoute et qui a su transmettre à travers l’image, mes intentions premières.
« Du vide jaillissent les couleurs qui dans un souffle s’entremêlent et laissent apparaître des paysages encore inexplorés »
Pour illustrer « Voyage intérieur » vous n’avez pris que des images de votre projet dans le RER, pourquoi ne pas en avoir choisi qui montraient aussi vos créations collectives ?
La partie collective de mon travail apparaît sous différentes formes, notamment avec cette phrase “je veux apprendre à créer avec toi” ou l’on voit différentes mains créer sur la même toile.
Certaines œuvres posées dans le RER sont collectives, elles ont reçu différents coups de pinceaux d’ami(e)s passant à mon atelier. C’est vrai que la fresque collective qui est une partie essentielle de mon activité n’apparaît pas en tant que telle, ce sera certainement l’objet d’une autre vidéo.
Au sujet de la musique, comment l’avez-vous choisie pour qu’elle soit totalement en accord avec les images et ton texte, le tout formant un ensemble harmonieux et envoûtant ?
Concernant la musique de Voyage intérieur, elle a été composé spécialement pour la vidéo par Pierre Moulin, un ami à moi. Je chante dedans des nappes sonores. Ça me tenait a cœur de participer à la conception sonore afin de pouvoir y apporter une vibration
personnelle. Le mix final a été réalisé par notre magicien du son local, Raphaël.
Vous dites qu’elle est « une exploration, poétique, méditative, sur notre rôle dans cette société, en tant qu’être humain, créateur. » Mais il y a également un puissant appel à la rencontre entre les êtres, à ce qu’ils œuvrent ensemble, dans la peinture comme dans la vie n’est-ce pas ?
Voyage intérieur est pour moi une invitation à beaucoup de choses, d’abord d’aller à la rencontre de soi, retrouver et réapprécier son pouvoir de créateur, pour ensuite pouvoir aller à la rencontre de l’autre, en tant qu’individu, unique et authentique.
Oser se dévoiler, dans ce qu’on a de fort et de fragile.
Je pense qu’un des défis majeurs de l’humanité face à l’effondrement qui se profile est celui de se reconnaître, soi et l’autre, comme un être complexe, émotionnel et sensible mais avant tout plein de créativité et de capacité à transformer. Lorsque l’on se reconnaît, soi et l’autre on peut se réunir selon le mode opérationnel que l’on choisit, pour organiser une nouvelle forme de vivre ensemble.
La meilleure manière pour se rencontrer vraiment est d’agir et d’accomplir ensemble. Pour moi, l’art, est une manière parmi tant d’autres, elle a tout de même dans certains cas, l’avantage de ne pas être oppressée par des impératifs extérieurs et permet au sensible d’avoir entièrement sa place.
« Donner un nouveau sens au mot société »
Quant aux rencontres auxquelles vous faites écho, je trouve qu’elles se manifestent pleinement dans les réalisations que vous créez en commun avec des enfants et des adultes. Autant dans le RER vous créez (la plupart du temps) seul, mais à ces occasions l’œuvre naît de plusieurs mains. Que retirez-vous spécifiquement de chacune de ces deux démarches que j’oserais qualifier de complémentaires ?
Personnellement l’art m’a ouvert l’accès à l’autre.
Depuis une dizaine d’années j’ai en permanence un carnet lors de mes déplacements, je dessine et fais dessiner, ça en attire et en fait fuir d’autres. J’adore observer la réaction des gens lorsque après m’avoir observé dessiner, je leurs tends le stylo et le carnet. Je suis cette personne qui va constamment venir te poser la question sur ton rapport à ta créativité. Et si tu es inhibé, essayer de trouver les deux trois mots et gestes qui pourront te rassurer, calmer la peur de se tromper ou de s’humilier en “ratant”. Il n’y a pas d’enjeux, c’est juste un jeu.
Une fois que l’on rentre dans le jeu, la magie opère, on laisse les formes apparaître, et l’histoire se fait d’elle-même. J’aime beaucoup travailler avec les enfants, mais aussi les adultes sur des fresques collectives, je ne contrôle pas grand chose, pourtant je joue au chef d’orchestre pour que l’ensemble soit cohérent. En fait, j’aime voir comment l’autre utilise sa liberté à expérimenter. Chacun va appréhender le pinceau, les couleurs à sa propre manière. Ça m’inspire à être et me sentir davantage dans cette liberté. Quand on crée ensemble, j’ai beau ne pas connaître la personne, je nous sens proche, dans un cocon d’intimité, presque familial.
La galerie du RER quant à elle, se loge dans une autre partie de la démarche, c’est la voix intérieure qui a envie de crier au monde, de se montrer, prouver qu’on existe et qu’on a quelque chose à raconter. C’est une volonté de sortir du cocon, dire à l’autre que je suis là, ouvert à la rencontre. Offrir ce que je peux humblement apporter pour essayer de sortir de l’absurdité aseptisée de ce système dépassé.
« Ne plus blâmer l’autre mais l’absurdité d’un système cruel et dépassé »
Le rapport à l’humain et à la Nature
Les enfants et les adultes qui ont collaboré avec vous, vous ont-ils confié leur ressenti ? leurs émotions et réflexions ? Qu’ont-ils retiré de ces expériences communes ? Qu’ont-elles changé chez eux ?
Sur ces dix dernières années j’ai dû amener à créer plus de 5 000 personnes sur toutes sortes de supports et différentes techniques. Il est difficile d’en faire des généralités, mais les échanges sont toujours fructueux. Je pense surtout que pour beaucoup c’est le fait de se reconnecter à l’enfant en eux, qui n’a pas peur et qui veut jouer. D’autres se rappellent de leur fibre créative qu’ils avaient délaissé et disent vouloir la réanimer.
La plupart se disent “pas artiste”, “pas bon”, “pas talentueux”, je leur démontre alors qu’il ne s’agit pas de ça, mais d’oser expérimenter. D’oser dire oui à ce que la vie leur présente. Certaines personnes prennent le pinceau pour la première fois, et peignent sur un mur, ce n’est pas rien. Après, avec les enfants ce sont toujours de grands maîtres, soit par leurs inhibitions, soit par leurs libertés. J’aime beaucoup travailler avec eux ça me donne une grande joie, ce qu’ils en retirent, ils ne mettent pas beaucoup de mots, mais la lueur dans leurs yeux et les rires en disent long.
Vous faites aussi beaucoup référence à la Nature en opposition avec notre société consumériste qui la détruit. Selon vous, un retour à la Nature permettrait à l’Homme de se redécouvrir ? Quelle puissance lui conférez-vous ?
Oui, pour moi la Nature est sacrée.
Je pense que l’homme a réussi l’exploit de se couper de son monde intérieur et de son monde extérieur. Si l’on veut se réapproprier la beauté de sa vie, apprendre à regarder la Nature, l’observer, l’écouter, est essentiel. Il ne s’agit pas de la protéger, il s’agit de l’aimer, pour ce qu’elle est. Redevenir les humbles jardiniers, à son service, et non l’inverse.
La Nature n’est pas seulement une entité extérieure à qui il faut faire attention et qu’il faut protéger par nos gestes éco-responsables. Cet ensemble complexe fait de mouvements, de vie, de couleurs, de senteurs, est un réel miracle de vie permanent, instable et fragile, inarrêtable où tout communique et est interconnecté. L’homme doit écouter la Nature qui l’entoure, se reconnecter avec elle, car c’est elle qui se fera le miroir nécessaire pour voir cette vie précieuse qui est partout.
Je pense que voir et se rappeler la magie de la vie annihile forcément la capacité à la détruire et développe un respect et un amour inconditionnel pour celle-ci. En attendant l’avènement de la conscience de l’homme, il faut bien évidemment empêcher par tous les moyens possibles, la folie destructrice de nos sociétés.
« Apprendre à écouter la Nature et sa sagesse intemporelle »
Les principaux sujets de vos œuvres sont des portraits d’humains ou font référence à la Nature (faune ou flore). Or ce sont deux thématiques qui vous sont chères. Les choisissez-vous en toute conscience au moment de créer ou laissez-vous votre inconscient guider votre main ?
Je dessine et peins souvent des portraits imaginaires, car c’est ce qui vient, je pense que c’est plus facile pour communiquer des émotions et s’y reconnaître, de nombreux oiseaux passent également, symbolisant ma soif de liberté. La nature est très présente aussi, alors oui ces thématiques me sont chères, après, cela reste l’inconscient et mon intuition qui guident l’ensemble de ma création. J’explore de nombreuses manières de faire, et de motifs, alors il y a des tendances, mais pas de règles.
Et pour le futur ?
Dans le futur, comment voyez-vous évoluer votre art d’artiste activiste ? D’autres projets sont-ils déjà en train de germer ? Imaginez-vous que votre militantisme puisse dépasser le cadre artistique pour prendre une autre forme ?
J’ai ce projet qui serait de venir avec une petite table dans le RER ou le métro. Du thé et quelques personnes, instaurer des espaces de rencontre temporaires, juste inviter toute personne qui se sent ouverte à la rencontre le temps de son trajet à venir dans une zone définie pour échanger, avec jeux et ateliers artistiques, proposer une expérience hors du commun, dans le quotidien. Pour moi un des enjeux politiques est de se réapproprier le forum, pour se rencontrer et débattre, à la manière des gilets jaunes sur les ronds-points, mais partout. Je crois aux ZAD davantage qu’aux manifestations, même si elles peuvent s’avérer complémentaires, le potentiel d’action, de création et d’interaction humaine n’est pas le même.
J’ai également de nombreux projets qui sont en cours de préparation, notamment avec la coopérative Samouraï Coop avec qui je travaille et avec qui nous partageons des valeurs essentielles. La suite de « Voyage intérieur » sera faite sous forme de petites vidéos d’introspections poétiques illustrées par des moments de rencontre et de création. Aujourd’hui les mouvements sociaux ne peuvent pas se séparer de l’outil artistique, c’est même une de ses principales forces qu’il ne faut pas laisser tomber dans les mains du capitalisme à nouveau.
Je mets et mettrai bien évidemment mon savoir à disposition de tout mouvement d’évolution que ce soit dans la réalisation d’actions locales ou dans la mise à profit de mon matériel pour créer la révolte colorée. Quand à l’évolution de mon militantisme, il se fera en fonction de l’actualité. Personnellement j’ai envie de pouvoir parcourir le monde et faire peindre et créer toutes sortes de milieux et de cultures, j’ai envie de m’en prendre plein les yeux et le cœur. Mettre de la couleur partout où il y a trop de gris, partager des moments de joie simples avec d’autres êtres humains qu’a priori rien n’aurait rassemblés.
Le futur est bien incertain, mais une chose m’est certaine : tant que je vivrai je créerai.
« Il n’est pas trop tard pour être présent »
Un grand merci à Fasto.
S. Barret
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