Faux Made in France et harcèlement moral : Lõu.Yetu au cœur de la tourmente

Des bijoux fantaisies contemporains, abordables et produits en France, vendus par une entreprise responsable. C’est l’image que veut se donner la marque Lõu.Yetu sur son site web et sa page Instagram, et celle qui transparaît dans les journaux officiels qui vantent la success-story de cette start-up parisienne. Mais depuis quelques jours, de nombreux témoignages d’anciens employés et stagiaires viennent entacher cette réputation visiblement infondée. Relayés par le compte @balancetastartup, ils dénoncent des méthodes managériales tyranniques et le marketing mensonger de la marque. Si la start-up revendique le Made in France, il semblerait en réalité qu’une grande partie de la production proviennent d’Asie, via un grossiste parisien.

L’enseigne parisienne Lõu.Yetu n’a pas ouvert ses portes mercredi dernier, ni les jours qui ont suivi. Depuis sa création en 2015, la marque de bijoux fantaisies était pourtant en plein essor, grâce à un marketing efficace reposant sur des valeurs en vogue, comme la fabrication française et l’entreprenariat féminin. Particulièrement active sur les réseaux sociaux, la marque a également fait l’objet d’articles flatteurs dans de nombreux médias mainstream (Le Figaro, Le Parisien, Vogue), qui ne tarissaient pas d’éloges sur cette entreprise emblématique de la start-up nation. Mais cette véritable success-story semble être arrivée à son terme alors que le spectacle vendu aux consommateurs s’écroule devant les regards interloqués.

Un « enfer sur terre »

En cause, la déferlante de témoignages accablants sur le compte Instagram @balancetastartup. S’inscrivant dans la lignée de nombreuses pages qui partagent les comportements et pratiques abusives dans certains milieux commerciaux, de la cuisine au tatouage en passant par les agences de communication, ce nouveau compte dénonce depuis le mois de décembre les abus dans le monde de la start-up. Depuis le mardi 19 janvier et une première story publiée par la page, les récits d’anciens employés, de stagiaires et même de clients abondent et se ressemblent tous. Les témoignages consternant sont rapidement devenus viraux. Loin de l’image responsable que veut se donner Lõu.Yetu, ils dépeignent un « enfer sur terre ».

« J’y ai travaillé 10 mois. Avant de commencer chez LY, un discours bien travaillé qui fait rêver. Une fois entrée dans la « meute » (ndlr : le nom sous lequel la marque présente la communauté des employés), on comprend vite que le grand méchant loup existe vraiment. La créatrice se plaît à humilier son personnel. On nous demande de parler de fabrication française alors qu’il n’en est rien. » C’est le genre de témoignages que le compte @balancetasstartup reçoit en masse depuis quelques jours. Les commentaires ont également abondé sur la dernière publication de la page de Lõu.Yetu, qui a immédiatement réagi en… désactivant les commentaires.

Des conditions de travail déplorables

Le premier point commun de tous ces témoignages réside dans la dénonciation des méthodes de management de l’entreprise. Une autre personne, toujours employée par la start-up, confirme ainsi des conditions de travail déplorables auxquels les travailleurs sont confrontés. « Qu’est-ce que je suis soulagée que vous puissiez prendre la parole à notre place ! Trop peur de dénoncer car potentiel impact sur la vie professionnelle. (…) Management tyrannique par la peur, le chantage et l’humiliation. » La médecine du travail aurait également été alertée par un grand nombre de plaintes liées au harcèlement.

Faisant état de licenciement abusif, d’humiliations à répétition, de discrimination physique et de nombreuses dépressions et burn-out, les témoignages décrivent un véritable règne de la terreur. D’autres pratiques pour le moins douteuses sont décrites, comme le fait que des salariés mis au chômage partiel auraient été contraints de travailler au cours du premier confinement. Au final, C’est l’anonymat garanti par le compte @balancetastartup qui a motivé de nombreuses personnes, encore traumatisées par les intimidations, à s’exprimer. La peur de s’attaquer à une marque populaire et médiatique est là. « Je travaille chez LY, (…) je confirme bien TOUS les propos qui ont été avancés, déclare ainsi une employée. Je me sens aussi triste que pour les clientes, car nous devions tenir un discours mensonger face à elles. »

Une fabrication française mensongère

Car l’autre reproche récurrent fait à Lõu.Yetu, c’est le marketing trompeur et même franchement mensonger d’une marque qui se décrit comme responsable et met en avant la fabrication française et artisanale de ses bijoux. Le comportement de la start-up ne serait ainsi pas seulement abusif envers ses employées, mais aussi envers ses nombreux clients, qui sont convaincus de faire un achat responsable en achetant des produits de bonne qualité et Made in France. Le site de la marque indique en effet produire et distribuer sans intermédiaires : « Nos bijoux sont fabriqués à la main, par des artisans. Chaque pièce est unique. »

Le site de la marque surfe sur la vague de la production responsable et artisanale.

Or de nombreux témoignages d’employés décrivent une réalité bien différente. « Les bijoux viennent d’Asie pour la plupart (made in France annoncé car il y a juste un fermoir rajouté sur une chaîne) », déclare ainsi une ancienne employée. « Des clientes sont déjà venues avec des bijoux achetés chez un chinois à Paris et c’était exactement les mêmes », confirme une autre source. À l’heure où la fabrication locale est de plus en plus plébiscitée par les consommateurs, il apparaît donc que les entreprises comme Lõu.Yetu n’hésitent pas à jouer cette carte, quitte à travestir la réalité. Finalement, nous ne sommes pas loin d’une méthode de drop-shipping chinois avec un simple étape supplémentaire en France, cachée du consommateur.

Une réaction jugée peu convaincante

Face à cette déferlante de critiques, la marque a fini par réagir, par le biais d’un communiqué envoyé sous forme de capture d’écran au compte @balancetastartup qui dément ces accusations : « Nous ne pouvons laisser circuler les choses fausses ou infondées sans y répondre. Les valeurs et les pratiques qui transparaissent dans les publications ne sont pas celles de l’entreprise. » Le communiqué tente ainsi de rassurer ses clients sur la provenance des bijoux, indiquant que « depuis 2017, nos produits sont créés et assemblés en France dans notre atelier à Paris. » Lõu.Yetu admet que « certains composants de nos bijoux peuvent provenir de pays étranger mais ils sont transformés et assemblés par nos soins avec nos ateliers partenaires parisiens. »

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Pour une ancienne employée, la marque s’enfoncerait dans les mensonges pour maintenir les apparences. Elle indique que les stocks énormes des bijoux achetés avant 2017 sont bien toujours en vente sur le site, et que des nouvelles commandes seraient même faites depuis. Elle reconnaît toutefois que certaines fabrications ont évolué au fil des années, dans le cadre des pièces estampillées « home-made ». Concernant les conditions de travail, Lõu.Yetu affirme en prendre la mesure et rester ouvert « au dialogue avec les personnes concernées qui souhaiteraient échanger ». Une déclaration qui semble loin de convaincre tout le monde, comme en témoigne les réactions sur les réseaux sociaux.

En plus de démentir les accusations et de tenter de rassurer ses clients, la marque dénonce « un name shaming destructeur pour notre entreprise et nos équipes ». Si les réseaux sociaux peuvent en effet parfois se transformer en tribunal, l’abondance et la convergence des témoignages d’employés laissent toutefois peu de place au doute quant à la sombre réalité derrière les paillettes du compte Instagram de Lõu.Yetu. Un compte qui a déjà perdu près de 40 000 abonnés depuis le début de cette affaire. Du Jamais vu.

Outre ce cas particulier, on constate que les réseaux sociaux offrent des outils de lutte de plus en plus efficaces pour devenir Acteur de la société là où les règles économiques très libérales permettent à ce genre de choses de se produire. À l’heure où le drop-shipping chinois s’est généralisé dans les publicités de ces mêmes réseaux sociaux, les consommateurs tout comme les travailleurs oppressés par certaines marques n’admettent plus ce diktat commercial fondé sur le mensonge et la manipulation. De là à y voir un état de guerre déclaré contre un certain modèle de société aliénant et profondément anti-écologique, il n’y a qu’un pas.

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