De plus en plus de Français remettent en cause leur mode de vie pour être plus respectueux des autres et de la planète. On voit ainsi un nombre croissant de personnes faire attention à ce qu’ils mangent, à ce qu’ils portent ou à comment ils se déplacent. Curieusement, le tabac semble passer en dessous des radars de beaucoup d’altermondialistes. Et pourtant cette industrie représente une catastrophe sanitaire, sociale et environnementale. Quelques rappels historiques.

L’origine capitaliste du tabac, le cardiologue Olivier Milleron, ancien fumeur, en a écrit un livre avec le titre un poil provocateur : « Pourquoi fumer c’est de droite ». Dans cet ouvrage, il explique notamment à quel point ce milieu symbolise parfaitement notre modèle contemporain.

Une catastrophe sanitaire

Même si c’est probablement devenu une évidence aujourd’hui, il n’est tout de même pas inutile de rappeler que le tabac engendre une véritable catastrophe sanitaire. Chaque année dans le monde,8 millions de personnes (dont 75 000 en France) en succombent. Il est d’ailleurs responsable d’un cancer sur trois.

Sur les 1,3 milliard de consommateurs estimés sur la planète, l’OMS prédit que jusqu’à la moitié d’entre eux pourrait mourir à cause de cette habitude.

Entre 1900 et 2000, pas moins de 100 millions d’êtres humains ont été emportés par le tabac. Si la tendance ne s’inverse pas, il pourrait y en avoir 1 milliard durant le siècle actuel. En outre, les fumeurs ne sont pas les seules victimes puisque le tabagisme passif entraînerait plus de 1,2 million de décès dans le monde tous les ans.

Même s’il n’existe pas de données quantitatives sur le sujet, on sait de même que le phénomène touche les animaux de compagnie. Un chat exposé à la fumée multiplie ainsi par quatre ses chances de développer un lymphome. Les mégots jetés dans la nature font également des ravages parmi la faune. Ceux-ci peuvent en effet à la fois déclencher des incendies destructeurs, mais aussi être ingérés directement par des animaux sauvages ou domestiques. Enfin, lorsqu’ils se retrouvent dans un milieu aquatique, c’est le désastre assuré : un seul mégot dans un litre d’eau peut décimer la moitié de population vivant dans le même espace.

Un coût pour la société

De façon plus terre à terre, on peut également rappeler que cette catastrophe sanitaire a des conséquences économiques importantes. « Le tabac a coûté 26 milliards d’euros de soins à l’État en 2015 alors que les taxes lui ont rapporté 11 milliards » indique Loïc Josseran, épidémiologiste à Garches. Il ajoute que « le paquet devrait être à 45 euros pour compenser tous ses effets. »

L’augmentation des inégalités a aussi un impact direct sur l’ensemble de la société puisqu’elle pousse les populations les plus défavorisées vers le tabagisme. En 2017, une étude révélait ainsi que 37 % des Français les plus pauvres fumaient contre seulement 20 % des plus riches.

Ce phénomène s’explique avant tout par les difficultés plus importantes pour les moins aisés à se projeter dans l’avenir. En effet, la précarité induit plutôt un mode de vie au jour le jour. Par ailleurs, il s’agit de l’un des moyens de gestion du stress les plus facilement accessibles pour les classes populaires.

En dépit de toutes ces données que de plus en plus de monde connaît, on se demande alors pourquoi tant de personnes ont du mal à renoncer à cette habitude ?

- Pour une information libre ! -Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

74 % des fumeurs essaient en fait d’arrêter. Mais le tabac est terriblement addictif, tout autant que l’héroïne selon certains spécialistes. Une étude anglaise indiquait même que certains consommateurs préféraient encore sauter un repas plutôt que se passer de cigarettes.

Le tabac comme symbole du capitalisme

L’industrie du tabac a très vite compris le filon que pouvait représenter cette addiction. Elle symbolise d’ailleurs parfaitement le capitalisme et tous ses méfaits.

Il s’agit en premier lieu d’une production complètement déconnectée de besoins humains réels. Il faut bien garder à l’esprit que les cigarettiers ont tout même réussi à faire aimer à des millions de gens une marchandise qui, au premier abord, ne suscite pourtant que le dégoût.

Dans le seul but de réaliser de formidables profits économiques, les cigarettiers n’ont, en outre, pas hésité à mentir et à tromper le consommateur, quand bien même leur business s’avère être une source de désastres sociaux, écologiques et sanitaires.

Dès son origine, la production intensive de tabac va se reposer sur l’esclavage et la traite négrière. Elle se développe ensuite dans le monde entier, malgré les avertissements de la médecine. Dans les années 50, lorsqu’une première étude établit avec certitude la toxicité de la plante, les industriels jouent la carte du doute à coup de campagne de publicité massive, de lobbying et de recherches scientifiques mensongères.

Esclaves travaillant dans un atelier de production de tabac, Virginie, 1670 – Jean-Baptiste Du Tertre

Dans l’imaginaire collectif, la cigarette va alors devenir un synonyme de la rébellion ; les industriels n’hésitent pas à instrumentaliser le féminisme en présentant leur produit comme un moyen d’émancipation des femmes.

Et pour transmettre toutes ces images positives, les lobbies ont fait passer des milliers de messages subliminaux dans la pub, dans la presse, dans le cinéma et dans la culture en général. À tel point qu’aujourd’hui, certaines figures populaires font sans doute la promotion du tabac sans même s’en rendre compte tant la cigarette a pris une place spéciale dans leur imaginaire.

C’est aussi avec une volonté de rébellion et de contestation propre à cette tranche de vie que les adolescents vont commencer à fumer, soit pour se démarquer ou bien pour imiter leurs parents ou leurs amis. L’âge de la première cigarette arrive d’ailleurs en moyenne aux alentours de 14 ans et 90 % des consommateurs ont débuté avant 18 ans. Pour les industriels, il est sans doute plus simple de manipuler les jeunes esprits ; une fois rendus dépendants, il devient très compliqué pour eux d’arrêter.

Pourtant, fumer s’avère au contraire être un acte d’absolue soumission à l’ordre néolibéral. Cette production représente, en effet, tout ce qu’il y a de plus mortifère dans le capitalisme et la mondialisation, puisque le tabac est massivement cultivé dans des pays pauvres dans des conditions déplorables.

Le but est évidemment de réduire les coûts en s’établissant dans des États avec peu de normes sociales et des travailleurs sous-payés. Mais pire encore, le secteur emploierait pas moins de 1,3 million d’enfants dans le monde. Pour couronner le tout, cette activité les expose à de nombreux dangers : nicotine, outils tranchants, chaleurs extrêmes ou pesticides hautement toxiques.

Un bilan environnemental désastreux

pour faire sécher 1 kg de tabac, il faut en moyenne 20 kg de bois.

Car les producteurs ne se contentent pas de détruire des vies humaines, ils sont également terriblement nuisibles à la planète. La culture intensive de la plante est notamment responsable de 5 % de la déforestation mondiale selon l’OMS. Et pour cause, elle nécessite énormément de bois pour fabriquer le papier, les filtres, mais aussi pour confectionner la part des allumettes destinées aux fumeurs. Enfin, pour faire sécher 1 kg de tabac, il faut en moyenne 20 kg de bois.

Les plantations accaparent également des sols qui pourraient pourtant être utilisés pour l’alimentation. Selon Corpwatch, ces surfaces perdues pourraient nourrir entre 10 et 20 millions de personnes. Le pire c’est qu’à terme, cette production intensive finira par rendre ces champs complètement infertiles.

Le tabac est par ailleurs la 6e culture la plus consommatrice de pesticides au monde. Cerise sur le gâteau, elle utilise des produits parmi les plus dangereux du marché qui sont très dommageables pour les travailleurs, les fumeurs, mais aussi la biodiversité.

Pour le climat, la donne n’est guère plus reluisante. On parle ainsi de rejets atteignant les 84 millions de tonnes de CO² dans l’atmosphère chaque année, soit l’équivalent de 280 000 lancements de fusée dans l’espace.

Il faut également 3,7 litres d’eau pour fabriquer une seule cigarette ; 22 milliards de tonnes d’eau sont alors nécessaires pour l’intégralité de la production mondiale annuelle.

À l’autre bout de la chaîne, le problème des mégots

Une fois les cigarettes utilisées, les nuisances ne s’arrêtent pas là : de nombreux fumeurs ont la fâcheuse tendance à abandonner leur mégot par terre. Les chercheurs estiment que les Français en jetteraient 30 milliards par an. Notons toutefois que même s’il n’est pas laissé dans la nature, il représente tout de même un déchet qui polluera – à l’abri des regards – un autre pays, dans une décharge à ciel ouvert.

Or, ces détritus sont extrêmement polluants, d’autant qu’ils terminent très souvent dans l’océan ou dans les rivières. Un seul d’entre eux peut ainsi souiller 500 litres d’eau. Par ailleurs, un tel déchet peut mettre jusqu’à 12 ans à se dégrader selon le milieu dans lequel il se trouve. De plus, on le voit régulièrement l’été, les mégots peuvent être la source d’incendies dévastateurs pour l’humanité et la planète.

Les filtres, présents sur la plupart des cigarettes, sont aussi incriminés puisqu’ils contiennent des microplastiques et sont, en outre, jugés totalement inefficaces par plusieurs études scientifiques.

Au rayon de la stupidité capitaliste destructrice de l’environnement, on peut enfin citer la nouvelle mode des cigarettes électroniques jetables. Le bilan écologique des modèles réutilisables était pourtant déjà bien assez désastreux. Mais le fait de produire des objets en plastique avec batterie à usage unique relève de la pure aberration.

Quelles solutions ?

À rebours de ce constat désastreux, il reste très compliqué de lutter contre ce fléau. Et pour cause, le lobby du tabac est l’un des plus puissants du monde. Malgré certaines lois qui tentent de le restreindre, comme l’interdiction d’en faire la publicité en France, il trouve toujours un moyen de manipuler la population. D’abord en rendant ses produits de plus plus addictifs, mais surtout en faisant pression de manière extrêmement agressive sur les Etats. À tel point qu’il est même capable de les poursuivre en justice.

Parmi les solutions possibles, il existe bien sûr l’augmentation des prix, ou les paquets neutres, comme en Australie. Mais pour aller plus loin, certains militants réclament la nationalisation pure et simple de l’industrie. Celle-ci permettrait la fin de l’enrichissement de grandes compagnies privées et un meilleur contrôle de la production.

À la lumière de toutes ces informations, de nombreux altermondialistes peuvent tenter d’affronter de nouveau leur addiction, un travail fastidieux mais possible, dont beaucoup ont fait la démonstration courageuse à l’occasion du Mois Sans Tabac de Novembre 2022, réitéré chaque année. Pour les y aider, il existe quelques astuces. Arrêter de fumer : un bon moyen de se rebeller contre l’ordre établi ?

– Simon Verdière


Image de couverture « Les dernières cartouches, French postcard. Les dernières cartouches. Papier à cigarettes, reprint. Ed. F. Nugeron. Nos publicités J 18. » Truus, Bob & Jan too!/Flickr

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation