Une enquête belge révèle qu’une part inquiétante des jeunes adultes (18/30 ans) nage dans la plus parfaite confusion quant à leur avenir, leur choix de vie et leur vision de la société. Beaucoup d’entre eux souffrent du paradoxe que leur « offre » la société, entre la promesse de vivre libre et heureux, et une réalité bien plus terne. Regard sur la mentalité des jeunes adultes.
Un constat alarmant ressort de l’étude du « Thermomètre Solidaris » qui prend régulièrement la température de la mentalité des belges. Ici, ce sont les 18/30 ans qui furent questionnés. Désabusés par la société, leur vision de « demain » est plutôt pessimiste, surtout en ce qui concerne l’avenir de leurs enfants. Voici quelques tendances que nous retiendrons à la lecture du rapport. Sont-elles le reflet d’une réalité ? Peut-être de votre propre réalité ? A vous de juger.
83% à faire face seul
83%, c’est le nombre des jeunes adultes qui estiment qu’ils devront se débrouiller seuls pour trouver du travail ou avoir une pension. Non pas qu’ils le veuillent. Ils en tirent simplement le constat. Une vision assez réaliste alors qu’on assiste en Belgique et en France (comme dans le reste de la zone euro) au détricotage graduel des droits sociaux avec l’idée lancinante et répétée par des institutions économiques : il sera difficile, voir impossible, de payer des pensions décentes dans 40 ans. Et ce malgré que la zone euro ait atteint un PIB record.
Même constat dans le monde du travail où la résiliation au « chacun pour soi » semble l’emporter sur l’ente-aide et la collaboration. Une situation qui leur apparait plus laborieuse que la vie de leur parent au même âge. Ainsi, le jeune fait face à un lourd paradoxe : il veut s’émanciper, mais de nombreuses portes lui sont fermées.
La réussite, c’est la famille
Près de trois quart des jeunes adultes sont dans l’attente d’une situation économiquement stable pour avoir un premier enfant. Mais comment est-il envisageable de trouver une stabilité si le monde du travail se précarise dans le même temps ? Conséquence, la grande majorité des 18-30 n’a pas d’enfant. Ils restent dans l’attente d’une stabilité qu’un monde du travail précaire et instable a peu de chance d’offrir. Cette réalité est-elle liée la baisse de la natalité qui est observée dans le pays ? Doit-on craindre un déséquilibre démographique à terme comme au Japon ?
Voilà nos jeunes plongés dans un autre paradoxe : La réussite par l’argent (15%) ou le travail (11%) n’est la volonté que d’une minorité d’entre eux. La carrière n’est plus considérée comme un pilier de la vie même si 63% reconnaissent que sans travail, on n’existe pas. C’est bien la famille et les proches qui constituent le cheval de bataille de la majorité d’entre eux. Mais la société ne leur donne pas les moyens de constituer un foyer stable. Contrairement à leurs contrats de travail, leur « rêve » est reporté à une durée indéterminée.
Diorama « Hyperland » de Karine Giboulo
Le jeune est le plus souvent seul, face à lui même
Ceux qui ont la chance d’avoir un travail, 33% (un tiers) ne s’y sentent pas respectés. La même quantité (33%) se sent très souvent anxieux, angoissés et déprimés. Difficile de trouver du réconfort chez un ami pour la majorité d’eux. 60% déclarent même ne pas avoir de « vrais amis ». Un chiffre alarmant qui suggère la victoire des relations superficielles et de l’individualisme ? La résultante de ce constat se trouve dans un autre chiffre : un quart des jeunes se sentent seul et souffrent de solitude. Tout le monde est hyper-connecté, mais la solitude est galopante.
Encore une fois, les chiffres démontrent un comportement paradoxal. Si la majorité des jeunes sont en manque d’amitié ou souffrent de solitude, 55% d’entre eux ne veulent pas du vivre ensemble. La peur et le rejet de l’autre semblent prendre des proportions inquiétantes. Comment en est-on arrivé à une situation où un jeune sur trois est mal dans sa peau et où le rejet de l’autre est si palpable ? Comment désamorcer cette possible bombe sociale ?
Rejet unilatéral du « système »
De la démocratie à l’éducation en passant par l’économie et la finance, les structures de la société ne font plus recette chez les jeunes adultes. 89% estiment que l’ascenseur social est cassé. 75% pensent que leur diplôme ne rencontre pas la demande. Plus de 90% pensent que l’éducation est inefficace. 93% croient que les gouvernants n’agissent pas véritablement ou pas du tout pour améliorer la qualité de vie. 50% pensent qu’il faut radicalement changer la société. 30% n’y croient plus et rejettent totalement la société.
Le bilan est palpable, la société telle qu’elle est n’offre pas les clés du bonheur à la jeune génération. Pourtant, cette même société pousse ces jeunes à consommer toujours plus, vivre pleinement, gouter aux fruits de la vie. Conséquences de ce déséquilibre : paradoxes et anxiété.
Image : Collective Evolution
Le paradoxe généralisé
Le rêve occidental semble prendre des allures de cauchemar pour une part inquiétante de la jeune génération. Une génération qui prend d’abord conscience des limites de la société de l’abondance (crise environnementale, exploitation, décroissance) et, d’autre part, doit assumer les diverses facettes d’un crise systémique (chômage, perte des droits, inefficacité du diplôme,..) tout en faisant face aux messages d’une société de consommation qui incite à être libre, consommer, voyager et être acteur de sa vie. N’est-ce pas trop lourd pour leurs épaules ?
« Prenez votre vie en main, prenez-vous en charge vous-même, n’attendez rien de la société, ni de l’État. » 72% des jeunes entendent ce discours autour d’eux. En effet, une forte majorité de ces jeunes (70 à 80%) s’entend dire qu’il faut vivre avec passion, qu’ils ont le choix, que c’est de leur responsabilité de prendre leur vie en main. Ces messages peuvent émaner autant de l’entourage que du monde publicitaire et médiatique. Ceci constitue-t-il une pression psychologique alors que le monde salarial déstructuré, ne semble plus en mesure de répondre aux souhaits de l’ensemble de ces jeunes ? L’alternative de l’entrepreneuriat semblerait être une échappatoire, mais n’est-ce pas risqué en période de croissance faible et des cotisations / impôts élevés pour les petits indépendants ? L’ubérisation des emplois ne plonge-t-il pas davantage ces jeunes dans l’insécurité ?
Ces « acteurs » qui changent le monde !
Le point positif de l’étude, c’est qu’une tranche remarquée des questionnés garde une vision optimiste de l’avenir. Malgré leur constat que le « système » doit évoluer, qu’il ne répond plus à leurs attentes, que le monde touche aux limites, ils gardent espoir. Ceux-ci sont considérés comme des « Acteurs » de la société et ont la volonté d’apporter leur pierre à l’édifice d’un monde en changement. Ce groupe encore minoritaire qui représente près d’un jeune adulte sur 5 estime qu’il faut changer nos modes de consommation en vue de respecter l’environnement. Ils pensent adapter leur mode de vie en matière d’énergie, de déplacements, d’éthique. Ils sont également plus enclins à la participation citoyenne et à la solidarité de proximité. Ils n’attendent rien du système ou d’un mouvement de masse. Ce « type » apparait généralement moins déprimé malgré qu’il vit généralement seul.
Autre point positif, 46% des questionnés sont indécis sur la position à prendre face au bouleversement de la société. On peut le voir comme une chose tragique, mais aussi comme un potentiel. 46% d’entre ces jeunes peuvent demain devenir à leur tour des acteurs de changement, s’ouvrir aux autres et apporter leur pierre à l’édifice d’un avenir serein. Mais ne leur vendons pas du rêve. La tâche ne sera pas aisée.
Source : Rapport du thermomètre Solidaris 2015 « Comment vont les 18-30 ans ? » / RTBF Info