Malgré les alertes scientifiques qui s’accumulent sur la dangerosité du glyphosate pour notre santé et l’environnement, l’Europe ne cesse de prolonger l’autorisation de son usage sur le territoire. Les dix dernières années de prolongation arrivant bientôt à expiration, il faudra prochainement voter : interdiction effective ou réautorisation pour 10 ans supplémentaires ? Retour sur une controverse décisive. 

Avant le 15 décembre prochain, une décision de taille devra être prise en matière de régulation des adjuvants agricoles de synthèse : l’Union européenne est appelée à se prononcer sur la prolongation de l’autorisation d’utilisation du glyphosate sur son territoire, substance active du bien connu RoundUp et herbicide le plus utilisé de la planète aux propriétés largement controversées.

Si les pays membres de l’Union semblent divisés sur la question, les scientifiques et les associations du secteur se prononcent largement en défaveur de cette prolongation d’emploi pour dix années supplémentaires. Dix dates clés pour remonter le fil de cet imbroglio industrialo-politique. 

Les heures de gloire du glyphosate 

1950 : naissance du glyphosate 

Nous sommes en 1950. Le chimiste suisse Henri Martin synthétise pour la première fois le glyphosate. La molécule, baptisée N-phosphonomethyl-glycine, devient la propriété du laboratoire pharmaceutique Cilag qui la vendra au plus offrant, mais reste pour le moment sans application.

1974 : premières ventes

Vingt ans plus tard, John E. Franz, chimiste employé par une entreprise américaine de produits phytosanitaires appelée Monsanto, découvre comment les composés du glyphosate se métabolisent dans les plantes et empêchent la fabrication de protéines, aboutissant ainsi à leur décomposition. Après quelques années de développement, la firme agrochimique lance en 1974 les premières ventes de cet herbicide non-sélectif particulièrement efficace, tuant pratiquement toutes les plantes avec lesquelles il entre en contact. Le RoundUp est né.

@Global Justice Now/Flickr

1990 : lancement des OGM

Rapidement, le produit s’impose auprès des agriculteurs du monde entier. Les arguments sont solides : il est produit en très grandes quantités, est peu cher et particulièrement efficace. Les mauvaises herbes qui autrefois peinaient tant les exploitants agricoles disparaissent aisément à mesure des pulvérisations. Dès le début des années 90, Monsanto profite de l’engouement pour faire la promotion d’organismes de culture génétiquement modifiés (OGM) qui tolèrent la molécule : les semences RoundUp Ready. La multinationale devient alors un incontournable du marché, de la semence aux produits phytosanitaires utilisés.

2000 : le glyphosate envahit le marché

En 2000, la substance brevetée de Monsanto tombe dans le domaine public. Des dizaines de sociétés s’en emparent pour la commercialiser à leur tour sous d’autres appellations. Le glyphosate envahit le marché et se retrouvent dans des centaines d’herbicides vendus à travers le monde. A ce stade, aucune étude n’a véritablement démontré l’innocuité du produit, pourtant largement pulvérisé à travers le champs, mais aussi dans les jardins publiques, aux abords des écoles et des chemins de fer.

Danger : les premiers avertissements

2015 : le glyphosate classé cancérogène probable

Action contre les pesticides, Bruxelles 18 Sept 2023 @Ekō (formerly SumOfUs)/Flickr

Si quelques études apparaissent ici et là, décrivant pour la première fois les effets délétères de la molécule sur la santé humaine, animale et sur l’environnement, ce n’est qu’en mars 2015 qu’un tournant majeur s’opère : le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe le glyphosate « cancérogène probable » et met en cause le caractère génotoxique de la molécule (susceptible d’endommager l’ADN).

Paradoxalement, ni l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), ni l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), ne suivent le diagnostic alarmant de l’agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ces dernières avancent une simple opposition méthodologique pour expliquer cette différence d’appréciation : « L’UE et le CIRC ont (…) chacun une approche différente de la classification des produits chimiques. Le système de l’UE évalue chaque substance chimique individuelle et chaque mélange commercialisé, de manière séparée. Le CIRC évalue des agents génériques, y compris des groupes de produits chimiques connexes, ainsi que l’exposition professionnelle ou environnementale, et les pratiques culturelles ou comportementales ».

Au même moment, l’opinion publique et les associations de protection de la santé humaine et de l’environnement s’embrasent, outrées par l’immobilité des instances politiques et les arguments dérisoires avancés par les autorités européennes devant l’énormité des risques pour la santé de millions d’individus. Elles appellent en chœur à l’interdiction du produit au nom du principe de précaution.

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Le scandale éclate

2017 : révélations des dangers cachés du pesticide

Début octobre 2017, le scandale sanitaire et environnemental prend une tout autre ampleur lorsque des journalistes du Monde dévoilent les coulisses infamantes du lobbying de la multinationale américaine.

Les Monsanto Papers décrivent un système bien huilé aux méthodes problématiques : « manipulation de données scientifiques, dissimulation d’informations aux autorités, rémunération de spécialistes pour rédiger des tribunes et études scientifiques favorables (ghostwriting), opération de propagande, menaces et intimidation de scientifiques et d’organisations publiques chargées d’étudier le cancer », énumèrent les enquêteurs Stéphane Foucart et Stéphane Horel depuis lors récompensés pour leurs recherches.

La même année, certains pays européens, tels que la France et l’Italie, appellent à prendre une décision décisive : l’interdiction pure et simple du produit sur le territoire de l’Union. Malgré l’engouement citoyen autour de ce projet, l’Allemagne fait basculer le vote de l’assemblée qui aboutit à un sursis de cinq ans pour la substance très controversée.

2021 : confirmation de la menace sur la santé

le rôle de perturbateur endocrinien joué par le glyphosate est révélé

En novembre 2021, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ajoute de l’eau au moulin des détracteurs du glyphosate en publiant la mise à jour de son expertise collective en matière de «pesticides et santé». Les chercheurs y pointent notamment le rôle de perturbateur endocrinien joué par le glyphosate, entre autres effets nocifs collatéraux révélés par 5 300 documents scientifiques passés au crible.

L’Union européenne déchirée

2022 : autorisation du glyphosate prolongée d’un an

D’octobre à décembre 2022, alors que le délai arrive à échéance, les Etats membres votent à plusieurs reprises sans parvenir à dégager une majorité en faveur ou défaveur de la molécule. « Cette fois, la France change son fusil d’épaule et s’abstient lâchement. Finalement, la Commission prend la décision de réautoriser le glyphosate pour un an, en attendant l’avis des autorités sanitaires européennes », détaille FoodWatch.

Juillet 2023 : l’Europe propose de prolonger l’autorisation de 10 ans

En juillet 2023, celles-ci affirment sans grande surprise n’identifier «aucun élément de préoccupation critique » quant aux effets du glyphosate sur le santé humaine, malgré une importante « lacune » (sic) dans les données traitées. La Commission européenne, se basant sur ces seuls éléments, présente alors une proposition de prolongation de l’utilisation du glyphosate de 10 ans.

Octobre 2023 : un premier vote sans issue

Nous y sommes. Vendredi 13 octobre 2023 : les Etats membres de l’Union européenne sont appelés à se prononcer. Une partie des pays européens se contente d’approuver la mesure, pressée par les lobby du secteur de l’agrochimie et les acteurs de l’agriculture industrielle.

D’autres s’abstiennent. C’est le cas de la France, de la Belgique et de l’Allemagne. Pour le Luxembourg et l’Autriche, le choix est clair : ils votent contre la présence du glyphosate sur leurs terres. Bis repetita : la majorité qualifiée requise (soit 55 % des Etats membres – au moins 15 sur 27 – représentant 65 % de la population de l’UE), ne parvient pas à se dégager.

Un vote décisif à venir

15 décembre 2023 : le glyphosate sera-t-il réautorisé pour 10 ans ?

« une décision sur le renouvellement du glyphosate doit être prise avant le 14 décembre, car l’approbation actuelle expire le 15 décembre 2023 »

« En conséquence, la proposition […] sera soumise au comité d’appel », indique la Commission européenne, qui fixe le prochain vote à la première quinzaine du mois de novembre. Si le dénouement de cette énième consultation est encore confus, une chose demeure certaine : « une décision sur le renouvellement du glyphosate doit être prise avant le 14 décembre, car l’approbation actuelle expire le 15 décembre 2023 », précisent les services de la Commission.

En réaction, le secteur associatif et citoyen s’insurge et appelle au courage politique :

« Les gouvernements européens doivent réaliser aujourd’hui que le glyphosate ne doit pas, ne peut pas être réautorisé en Europe tant les preuves scientifiques validées s’accumulent pour montrer sa dangerosité, tant pour la santé que pour l’environnement », déclare François Veillerette, porte-parole de Générations Futures.

– L.A.


Crédits image entête « No 10 year renewal for glyphosate » @Avaaz/Flickr

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