Hommage à l’étudiant décédé lors d’une livraison Uber Eats

Le destin de Franck Page, livreur pour Uber Eats décédé pendant une course, met en lumière de manière tragique les conditions de travail de plus en plus précaires de ces travailleurs indépendants. Le réalisateur Thomas Grandremy est allé à leur rencontre à l’occasion de la marche blanche en hommage au tout jeune étudiant.

Le 17 janvier 2019, Franck Page, étudiant de 18 ans, a été fauché mortellement par un camion à Bordeaux alors qu’il livrait un repas. Coursier pour la société Uber Eats, il travaillait pour pouvoir financer ses études.

Le 27 janvier dernier, une marche blanche en soutien à la famille était organisée par le syndicat CGT des coursiers à vélo de la Gironde. En signe de solidarité, des livreurs venus des quatre coins de la France avaient fait le déplacement.

Crédit image : Thomas Grandremy / Spread Media.

« Il faut attendre le drame pour qu’il y ait des actions »

Sur place pour filmer leur rencontre, le réalisateur Thomas Grandremy raconte : « J’ai été marqué par la solidarité des coursiers, venus de toute la France, non seulement pour soutenir la famille, mais aussi pour se fédérer entre divers collectifs ».

Car le dramatique accident expose une nouvelle fois les conditions de travail pratiquement absentes des livreurs ubérisés. Ces derniers alertent depuis plusieurs années des difficultés qu’ils rencontrent en raison de leur statut précaire et des contraintes de travail de plus en plus importantes auxquelles ils sont soumis et en réalité incompatibles avec leur statut d’autoentrepreneurs. Suivis dans leurs mouvements via l’application par l’intermédiaire de laquelle ils sont avertis des livraisons à réaliser, et payés à la course, ils sont poussés à réaliser un nombre maximum de livraisons par heure au mépris du danger de leur activité.

« On est incités à aller toujours plus vite pour faire toujours plus de courses […] c’est le seul moyen d’être rentables« , témoigne un coursier auprès de Thomas Grandremy. Cette rémunération à la tâche qui se généralise peu à peu dans d’autres domaines de la société est une réelle régression des droits des travailleurs qui ont lutté pour une prise en charge collective des risques.

Crédit image : Thomas Grandremy / Spread Media.

Les livreurs s’organisent pour faire front

« Ce sont des travailleurs isolés », rappelle le réalisateur, selon qui « cette forme nouvelle de travail est en train de s’inviter dans de nombreux corps de métier différents ». C’est tout le paradoxe de l’ubérisation : des milliers de travailleurs au service d’une unique entreprise sont considérés comme indépendants. Ainsi, l’uberisation touche désormais l’éducation, les services à domicile et même la restauration, des filières dont aurait pu croire qu’elles seraient protégées du phénomène. La problématique concerne donc toute une génération de travailleurs confrontée à la précarisation de l’emploi.

Du fait de leur statut, les autoentrepreneurs entretiennent une relation fragile avec les sociétés qui font appel à leurs services, sont soumis aux tarifs qui leur sont imposés, et doivent payer eux-mêmes leurs charges sociales et assurances, ce qui représente une part élevée de leur chiffre d’affaires. Par ailleurs, ils ne peuvent pas prétendre au chômage en cas d’accident de vie (qui ne manquent jamais d’arriver). L’individualisation des risques fait indéniablement partie d’une volonté de contourner les règles de la solidarité collective dont les grandes entreprises ne veulent plus supporter le coût.

Mais le développement spectaculaire de cette forme de travail a rapidement conduit les autoentrepreneurs à chercher à se défendre, à s’organiser pour porter leurs revendications d’une seule voix et être plus visibles auprès des entreprises, mais aussi des médias. Comme à Bristol, qui a été le théâtre d’une première fronde des coursiers en 2016, les travailleurs indépendants ont commencé à se joindre sous la forme de collectifs, d’associations et de syndicats. Depuis, le bras de fer se poursuit. En France, une source d’espoir pour eux : une décision de la Cour de cassation française en novembre dernier a requalifié un contrat entre un coursier et Take Eat Easy en contrat de travail, au motif qu’il y avait bien un lien de subordination entre les deux parties.

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Parallèlement à cette recherche de sécurité, certains coursiers n’attendent plus et développent des alternatives concrètes dans leur région. À Nantes, pour s’affranchir de Deliveroo et compagnie, des coursiers ont lancé leur propre plateforme de livraison en coopérative ! Car, de toute évidence, les bienfaits de la livraison de proximité en bicyclette doivent être préservés. « Il faut que les médias comprennent que le vélo peut aussi être une passion. Quoi de mieux que de vivre de sa passion ? J’ai déjà fait plusieurs boulots en tant que salarié, mais je ne me suis jamais senti aussi libre qu’en étant coursier à vélo«  nous explique Léo, membre de l’association « Les Coursier nantais ». Leur projet réalise le défi de réconcilier la passion pour le vélo avec un travail sécurisé à la rémunération juste.

Réalisation vidéo : Thomas Grandremy / Production : Spread Media

Crédit image : Thomas Grandremy / Spread Media.

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