C’est une institution aussi crainte des patrons que méconnue du grand public. L’Inspection du travail, créée en 1892, est un organisme chargé de veiller à la bonne application du droit du travail dans les entreprises. Entre réforme de l’institution, réduction des effectifs et « simplification » du Code du travail, ce service visant à défendre les salariés fut l’objet de grands bouleversements sous le dernier quinquennat. Une Institution en souffrance dont l’équipe de Mr Mondialisation a voulu prendre le pouls en rencontrant Isabelle*, inspectrice du travail. Entretien.

Mr Mondialisation : Bonjour Isabelle, pourriez-vous expliquer aux lecteurs de Mr Mondialisation quel-est le rôle de l’inspection du travail ?

Isabelle : Notre travail consiste à contrôler les entreprises afin de vérifier que la législation du travail soit bien respectée. Le domaine de contrôle est assez vaste et concerne aussi bien l’hygiène et la sécurité que les documents administratifs (durée du travail, contrats de travail, bulletins de salaire etc…) et les conditions dans lesquelles évolue le salarié. On agit sous l’impulsion d’une plainte ou par des contrôles intempestifs. L’objectif est de veiller à ce que tous les employés bénéficient de la protection offerte par la loi.

 « En résumé, nous sommes une espèce de police des patrons »

Mr Mondialisation : Vous souffrez parfois d’une image de casse-pied dans le monde du travail, trouvez-vous cela justifié ?

Isabelle : C’est l’image qui est véhiculée par les employeurs surtout. Il est possible qu’elle déteigne sur les salariés mais c’est sans doute le fruit d’une méconnaissance de notre fonction. Certains ne connaissent ni leurs droits, ni l’objet de notre présence et pensent même parfois que l’on vient contrôler leur travail alors que c’est le cadre dans lequel ils font ce travail que nous venons inspecter. Je comprends tout à fait l’hostilité des patrons ; personne n’apprécie que l’on vienne s’immiscer dans ses affaires, en revanche nous sommes des garde-fous pour les salariés car c’est à nous qu’il incombe de vérifier le bon règlement des heures supplémentaires, la décence des conditions dans lesquelles les salariés exercent leurs fonctions et bien d’autres choses encore qui peuvent nuire au bien-être des employés au profit de leurs employeurs. En résumé, nous sommes une espèce de police des patrons.

Ouvriers sur le dernier clochetonMr Mondialisation : Comment a évolué votre travail ces dernières années, en particulier depuis la réforme de l’Inspection entérinée par le gouvernement Hollande ?

Isabelle : La nouvelle organisation a été mise en place en 2014. Avant, il y avait sur chaque secteur géographique un inspecteur, chargé de contrôler les entreprises de plus de 50 salariés. Sous sa coupe : deux contrôleurs du travail chargés d’inspecter les entreprises plus petites et deux secrétaires. La dernière réforme a renversé cette organisation. Il y a désormais des unités de contrôle composées de huit à douze inspecteurs, selon l’importance du nombre d’entreprises et de travailleurs, chargées de contrôler les petites comme les grandes entreprises sur leur secteur, le tout sous la houlette d’un responsable d’unité de contrôle dont la mission est de veiller à ce que les agents suivent bien les consignes imposées par la hiérarchie. Les contrôleurs, eux, sont rayés progressivement de l’organigramme. L’administration a profité de cette réforme pour continuer à supprimer des postes, elle a tenu un discours très hypocrite en affirmant qu’avec cette nouvelle organisation, on allait être plus efficace alors que le but inavoué, comme toujours, est de faire des économies sur le dos du service public en supprimant de plus en plus de postes. C’est d’autant plus problématique qu’avec la généralisation constante des privatisations notre domaine d’action s’accroît d’année en année. Il y a quelques temps, nous n’avions pas à nous occuper de la Poste, aujourd’hui c’est une énorme entreprise de plus à surveiller. Cette dynamique s’accélère, si l’on augmente pas le nombre d’inspecteurs, il y a de grosses craintes à avoir sur l’efficacité de notre action dans l’avenir.

Mr Mondialisation : Depuis cette réforme, il y a eu également une augmentation croissante des actions prioritaires, pourriez-vous nous en dire plus sur la nature de ces actions et sur les conséquences qu’elles ont sur votre activité ?

Isabelle : Les actions prioritaires sont des demandes formulées à l’échelle nationale, régionale ou départementale exigeant des inspecteurs un investissement accru sur telle infraction plutôt que sur une autre. Cela pose un problème, car selon l’OIT (organisation internationale du travail) les inspecteurs sont censés être indépendants, ils doivent avoir une complète autonomie sur le déroulé de leurs actions. C’est à nous de choisir, en fonction de nos informations ou de notre volonté, d’aller contrôler cette entreprise plutôt qu’une autre ou de mettre l’accent sur un type d’infraction en particulier. Avec les nouvelles exigences nationales, notre liberté d’agir est grandement entravée, d’autant plus que le respect de ces priorités nationales ou régionales conditionneront de plus en plus le montant de nos primes ; primes représentant prés d’un tiers de notre salaire. Il y a là un véritable levier de notre hiérarchie pour nous obliger à obéir aux ordres plutôt qu’à contrôler selon notre propre appréciation.

Ce qui est d’autant plus dérangeant, c’est que ces actions prioritaires ont souvent un arrière-goût politique. Nous avons récemment eu la directive d’accroître notre attention sur l’égalité homme/femme dans les entreprises, une considération dans l’air du temps. Je pense aussi à la priorité donnée à la lutte contre les abus relatifs aux travailleurs détachés : une promesse d’Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle. C’est une atteinte à la déontologie de notre métier et une façon d’utiliser les Inspecteurs pour faire appliquer des décisions politiques, or il faut le rappeler, l’administration ne doit pas être influencée par les changements de majorité {Quid sous un autre régime ?}. C’est désormais loin d’être le cas. On est passé d’un travail de terrain, orienté par l’observation et le cas par cas à une pratique technocratique du contrôle, influencé par les chiffres et les expertises nationales. Malheureusement, cela ne reflète en rien les priorités locales et les besoins réels des salariés. L’esprit de notre métier s’en est trouvé affecté.

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Par8200867Mr Mondialisation : Les récentes réformes du Code du travail ont également bousculé votre profession, quel regard portez-vous sur les ordonnances Pénicaud passées en force à la rentrée dernière ? (voir notre analyse de la réforme du Code du travail)

Isabelle : La première chose qui me dérange dans cette réforme, c’est la fusion des instances représentatives du personnel qui aboutit à une baisse du nombre de ces représentants dans l’entreprise ainsi qu’une diminution des heures de délégation consacrées à cette tâche d’intérêt général pour tous les salariés. Mais en tant qu’Inspectrice du travail, ce qui me dérange le plus, c’est l’inversion de la hiérarchie des normes qui entrave grandement notre action dans une entreprise. Auparavant, nous avions des textes de lois auxquels nous référer (accords de branche et code du travail), comme une feuille de route. Désormais, nous avons l’obligation d’étudier dans chaque entreprise, avant tout contrôle et constatation d’infractions, les accords qui ont été passés entre l’employeur et ses salariés, ce qui augmente encore un peu plus la difficulté de notre travail. D’une certaine manière, cette dernière réforme a rendu presque caduque notre fonction car si chaque entreprise peut faire ses propres règles, alors à quoi sert une brigade visant à faire respecter la loi nationale ? C’est malheureux, mais on serait tenté de répondre qu’elle ne sert plus à grand-chose. Quelque part, c’est une situation qui sent bon l’époque ; toutes les récentes réformes qui entourent le droit du travail, que ce soit celles relatives aux Prud’hommes, au Code du travail ou à l’Inspection, avancent dans une seule et même direction : réduire le plus possible la protection des salariés dans le but de stimuler l’emploi. C’est un pari dangereux qu’aucune étude ne vient corroborer et qui pourrait s’avérer catastrophique à l’arrivée.

Mr Mondialisation : Un petit message aux lecteurs de Mr Mondialisation pour terminer ?

Isabelle : Prenez conscience que ne pas être un grand patron ne vous prive pas de vos droits. Prenez-en connaissance, défendez-les ardemment, il en va de l’intérêt commun des travailleurs comme de celui de vos enfants. Dans l’entreprise comme à l’extérieur, battez-vous pour vos droits, tous vos droits, partout, tout le temps, c’est là le devoir le plus important d’un citoyen.

-T.B.

* le nom a été modifié pour conserver l’anonymat de notre interlocutrice.


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