Dans un article publié le 3 juin 2020 intitulé « L’humanité est finie si elle ne parvient pas à s’adapter à l’après Covid-19 », le journal britannique The Guardian relate des propos tenus par Jane Goodall, éthologue et anthropologue mondialement réputée, quant au lien entre l’émergence de nouvelles maladies infectieuses et notre relation au vivant. Militante écologiste et fondatrice de l’Institut portant son nom, Jane Goodall est aussi connue pour ses travaux qui ont constitué une avancée conséquente dans la compréhension des rapports entre les humains et le reste des animaux. Elle appelle aujourd’hui l’humanité à une refonte de nos habitudes alimentaires afin de prévenir une future pandémie. Dans un contexte où nous empiétons toujours plus sur la vie sauvage et où nous exploitons toujours plus le vivant sous toutes ses formes, il y va en effet du bien-être et de la sécurité collectifs de changer le regard utilitaire que nous portons sur le monde qui nous entoure, sans quoi nous courons au désastre.

Selon l’éminente naturaliste Jane Goodall, l’humanité touche à sa fin si nous ne changeons pas radicalement nos systèmes alimentaires en réponse à la pandémie de coronavirus et à la crise climatique. D’après elle, l’émergence du Covid-19 a pour cause la surexploitation du monde naturel dont les forêts ont été dévastées, des espèces poussées à l’extinction et des habitats naturels détruits. On pense que le coronavirus est passé de l’animal à l’homme à la fin de l’année dernière, et qu’il provient probablement d’un marché d’animaux sauvages à Wuhan, en Chine.

L’élevage intensif constitue également un réservoir de maladies animales qui peuvent déborder et nuire à la société humaine, a ajouté Jane Goodall, une des plus grandes expertes au monde en matière d’étude des chimpanzés et militante de longue date pour la protection de l’environnement, s’exprimant au cours d’un évènement en ligne organisé le mardi 2 juin par l’ONG Compassion in World Farming (organisation luttant pour le bien-être animal), aux côtés de deux commissaires européens.

« Nous avons causé la pandémie par notre manque de respect absolu pour les animaux et l’environnement » a-t-elle dit. « C’est notre manque de respect pour la faune sauvage et pour les animaux d’élevage qui est à l’origine de cette situation où les pathogènes peuvent se répandre pour infecter les êtres humains. » Selon elle, les gens doivent se détacher de l’agriculture industrielle et stopper d’urgence la destruction des habitats naturels, au vu de la menace grandissante de maladies infectieuses et de la dégradation climatique. En effet, l’élevage industriel est lié à l’augmentation de bactéries antibiorésistantes qui sont une grave menace pour la santé humaine.

« Si nous ne faisons pas les choses différemment, nous sommes finis. Nous ne survivrons pas bien longtemps si nous continuons dans cette voie. »

Jane Goodall a appelé à sortir les populations de la pauvreté, soulignant l’impact considérable de celle-ci sur le monde naturel étant donné qu’en l’absence d’alternative, les personnes ayant désespérément besoin de nourrir leurs familles iront abattre des forêts pour survivre et dans les zones urbaines, elles choisiront la nourriture la moins chère, sans se soucier des dégâts causés par la production de celle-ci, n’ayant guère d’autre choix.

La guerre et la violence ont également nourri la destruction la nature, de même que notre consumérisme débridé et notre désir ardent de « ces choses que nous accumulons », sans oublier nos habitudes alimentaires. Selon Jane Goodall, c’est aux « riches » de faire pression sur les dirigeants et de faire attention à ce qu’ils achètent afin d’éviter d’exacerber le problème. « Nous devons cesser d’acheter leurs produits » a-t-elle dit, visant les entreprises qui ont recours à l’agriculture industrielle et exploitent la nature.

Jane Goodall (crédit photo : Festival della Scienza sur Flickr)

« Nous avons atteint un tournant décisif dans notre rapport au monde naturel » nous a-t-elle averti, déclarant qu’il ne nous reste qu’une petite fenêtre d’opportunité pour réaliser des changements drastiques avant de devoir faire face au désastre. « Une des leçons apprises durant cette crise est que nous devons changer nos habitudes. Les scientifiques nous avertissent que si nous voulons éviter de futures crises, nous devons drastiquement changer nos habitudes alimentaires et passer à des repas riches en végétaux. Pour le bien des animaux, de la planète, mais aussi la santé de nos enfants. »

Stella Kyriakides, commissaire européenne en charge de la santé et de la sécurité alimentaire, a déclaré que l’Union européenne répondait à ces préoccupations grâce à ses stratégies pour l’agriculture et la biodiversité récemment dévoilées, et au Pacte vert pour l’Europe. D’après elle, ces stratégies ont pour but de réduire l’utilisation de pesticides et d’encourager la biodiversité.

« Les systèmes agricoles hautement intensifs ont conduit à une abondance alimentaire mais en Europe, et pas seulement, cela représente également un gaspillage significatif et parfois des souffrances animales » a-t-elle annoncé lors de la conférence. « Ces phénomènes m’inquiètent profondément. Les parties qui ne fonctionnent pas sont éthiquement discutables mais aussi inacceptables sur le plan social et environnemental. Nos citoyens attendent mieux que cela et nous allons instaurer un meilleur équilibre afin d’assurer que les pratiques agricoles soient durables et que la nourriture soit vendue à un prix abordable. » Janusz Wojciechowski, commissaire chargé de l’agriculture, a ajouté : « Nous soutiendrons toujours les pratiques durables en alternative à l’agriculture intensive. »

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L’inquiétude concernant les liens entre le coronavirus et l’exploitation du monde naturel ne cesse de croître. Dix-huit organisations de protection de l’environnement se sont réunies dans le cadre d’une campagne pour abolir le trafic d’animaux, exhortant Boris Johnson à demander l’interdiction de celui-ci à l’échelle mondiale lorsque les dirigeants du G20 se rencontreront en novembre. Une telle prohibition est essentielle pour mettre fin à l’exploitation de la faune sauvage, que ce soit pour la médecine traditionnelle, la domestication d’animaux exotiques, le tourisme ou à d’autres fins. Actuellement, le trafic de certaines espèces menacées d’extinction est interdit mais toujours existant. C’est l’une des formes de trafic illégal les plus répandues à travers le monde, suivant de près celui des êtres humains et des drogues. Le commerce légal est quant à lui estimé de 7 à 23 milliards de dollars par an, selon les données avancées lors de la campagne.

« L’agriculture industrielle est à la fois vulnérable face aux pandémies et coupable de leur création. »

Les liens entre l’agriculture intensive et l’émergence de maladies ont été examinés dans le nouveau rapport du FAIRR (réseau mondial d’investisseurs traitant des questions ESG dans les chaînes d’approvisionnement en protéines) qui indique que plus de 70 % des plus grands producteurs de viande, de poisson et de produits laitiers couraient le risque de favoriser de futures pandémies zoonotiques en raison de normes de sécurité laxistes, d’animaux confinés et d’une utilisation démesurée d’antibiotiques.

Dernièrement, les fournisseurs de viande ont été sous pression aux États-Unis où la propagation de la Covid-19 a conduit à des fermetures d’usines et à des perturbations de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Selon le FAIRR, à plus long terme, la chaîne d’approvisionnement de la viande risque de subir davantage de pressions à cause de la nécessité de contrôles et de régulation plus minutieux dans le but d’améliorer la biosécurité.

Jeremy Coller, fondateur du FAIRR et du Coller Capital, a déclaré : « L’agriculture industrielle est à la fois vulnérable face aux pandémies et coupable de leur création. Il s’agit d’un cercle d’auto-sabotage, détruisant la valeur du marché et mettant des vies en péril. Afin d’éviter de causer la prochaine pandémie, l’industrie de la viande doit effectuer des changements profonds au regard des normes de sécurité aujourd’hui laxistes, aussi bien pour les aliments que pour les salariés, du confinement des animaux et de l’utilisation excessive d’antibiotiques. La Covid pourrait bien être la goutte qui fait déborder le vase et sonner le glas de l’industrie de la viande. »

Traduit de l’anglais par Elena M. (Source)

Photograph: Alessandro della Valle/AP

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