Pendant le confinement, les articles titrant « La Nature a repris ses droits » ont pullulé sur la toile. Or, il est nécessaire de revenir sur cette affirmation qui, en plus d’être juridiquement fausse, est erronée dans les faits. Surtout, soutenir que la Nature aurait repris ses droits, c’est occulter la réalité du « monde d’après » que nous vivons d’ores et déjà : la relance de la machine économique à tout va et une explosion de l’utilisation des plastiques. Et ce, sans aucune préoccupation d’ordre environnemental. Explications.

« La Nature a repris ses droits » n’a-t-on pas cessé d’entendre dans les médias pendant le confinement. Un puma à Santiago, capitale du Chili, des dauphins et cygnes en Italie, des canards en plein Paris, des sangliers à Barcelone ou encore des coyotes à San Francisco… les exemples n’ont pas manqué. Or, affirmer que la Nature a repris ses Droits au prétexte d’avoir aperçu quelques animaux sauvages en ville est juridiquement faux. Dans la plupart des États du monde, les droits de la Nature ne sont pas reconnus par le système légal, contrairement aux droits des être humains et à ceux des entreprises issus d’une tradition juridique profondément anthropocentrée. Et même dans les pays où des droits lui sont reconnus, tel que l’Equateur, la Nature n’a pas eu de répit. Bien au contraire.

Il est également nécessaire de se départir d’un jugement court-termiste : si des animaux sauvages sont revenus dans les villes, c’est parce qu’il y a eu une diminution ponctuelle de la présence humaine. Une diminution qui n’aura pas tardé à s’évaporer à l’instant du déconfinement. Chacun avait repris « sa place » attitrée par l’omniprésence humaine. Plus largement, penser que la Nature a repris ses droits, c’est omettre la réalité de « l’après » : la relance de la machine économique globale. Et ce, avec encore moins de préoccupation d’ordre environnemental qu’avant. Au contraire, toutes les politiques s’axent, comme en 2008, sur la relance de l’activité. Activité humaine débridée qui, rappelons-le, est la cause centrale du changement climatique et de l’effondrement écologique.

La Nature n’a pas repris ses droits

Affirmer que la Nature a repris ses droits est faux puisque, juridiquement, ils n’ont jamais été reconnus. Le droit en vigueur est profondément anthropocentré : les êtres humains ont des droits, les entreprises également, mais la Nature n’est pas un sujet de droit à ce jour. La Nature est perçue comme un Capital disponible au bon vouloir de l’humanité. L’humain est donc placé en haut de la pyramide du vivant, alors même que cette conception dépassée est incompatible avec les conditions de (sur)vie sur Terre aujourd’hui.

Les systèmes juridiques du monde entier considèrent les éléments naturels, comme des objets dont les individus ou les entreprises peuvent librement disposer. Les lois et les contrats sont écrits pour protéger les droits de propriété des individus, sociétés et autres entités juridiques. En tant que telles, les lois sur la protection de l’environnement tolèrent des dommages environnementaux en réglementant les conditions légales dans lesquelles la Nature peut être accaparée, détruite ou polluée. Selon le droit actuel, la Nature et tous ses éléments non humains n’ont alors aucune valeur propre. Selon l’Alliance mondiale pour les droits de la Nature (Global Alliance for the Rights of Nature) :

« Donner des droits à la Nature, c’est reconnaître le fait que nos écosystèmes – y compris les arbres, les océans, les animaux et les montagnes – ont des droits au même titre que les êtres humains »

Depuis 2006, plus de 20 pays du monde ont reconnu les droits inhérents à la Nature. Même dans ces pays, il est erroné d’affirmer que la Nature a repris ses droits. En Equateur, la Nature est sujet de droits, lesquels sont inscrits dans la Constitution depuis 2008. Or, dans les faits, l’avidité des multinationales et des industries polluantes ne lui laissent aucun répit.

Photo d’entête : © CORTO FAJAL

Le développement croissant de grands projets écocidaires en Amazonie équatorienne est alarmant : le taux de déforestation a considérablement augmenté ces quatre derniers mois, des orpailleurs illégaux se sont manifestés auprès de communautés qui n’étaient pas encore spécialement impactées par ce genre d’activités, que ce soit en Colombie, au sud de l’Equateur ou encore au Pérou. L’Amazonie est même en plus grand danger, pendant cette crise sanitaire, puisque les populations locales se retrouvent obligées parfois de fuir ou de rentrer plus profondément dans la forêt pour éviter la contamination ; ce qui ouvre de nouvelles opportunités de déforestation. Dans une récente interview avec Rodrigue Gehot, spécialiste de l’Amazonie équatorienne, celui-ci souligne que  :

« Le répit de l’Amazonie n’est pas du tout à prendre EN compte ici, en tout cas par rapport à l’impact des industries et des intérêts d’exploitation dans ces régions amazoniennes depuis des siècles. »

Force est de constater que malgré les progrès du mouvement des droits de la Nature dans le monde et leur reconnaissance dans le système juridique de certains États, les écosystèmes n’ont eu que très peu de répit durant cette crise sanitaire tant l’appétit des entreprises d’extraction est grand. La question à se poser est donc la suivante : notre système actuel, dans ses dimensions politique, juridique, économique et sociale, est-il compatible avec le respect des lois naturelles ? Le déconfinement démontre que non. Entre retour de la présence humaine dans les villes et relance économique à tout va, la destruction accélérée du vivant est « en marche ».

Déconfinement et destruction du vivant

Le répit, s’il y en a eu, n’a donc été que de très courte durée. Le retour des animaux sauvages dans les villes, pendant le confinement, s’explique par la simple absence de présence humaine. Le retour à la « normale » fut rapide. Le même raisonnement s’applique à la baisse de la pollution atmosphérique d’abord observée dans de nombreuses capitales : le retour de la présence humaine ainsi que le redémarrage des activités économiques ont eu raison de cette diminution. Or, ce répit temporaire est également artificiel. La décision du préfet de Haute-Savoie, le 29 mai 2020, en est la preuve. Cet arrêté vise à abattre des bouquetins sains pour lutter contre la maladie de la brucellose… alors même que la grande majorité des citoyens (87,2 % d’avis défavorables) s’y est opposée lors de la consultation publique mise en place, et que les expériences passées ont démontré que cet abattage ne faisait même pas reculer la maladie et encore moins l’éradiquer.

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Il faut l’admettre : la réappropriation de territoires délaissés par les animaux sauvages n’est donc pas possible à long terme. Du moins, elle est impossible tant que le mode de vie des êtres humains ne se subordonne pas aux lois naturelles et aux limites planétaires. C’est en ce sens que Marine Calmet, présidente de l’association Wild Legal, ONG engagée pour la reconnaissance des droits de la Nature, souligne :

« La réappropriation par les animaux sauvages de certaines zones urbaines, observée pendant le confinement, n’a qu’une durée très éphémère. Du moins, elle semble impossible tant que le mode de vie des êtres humains ne ménage pas un espace de vivre-ensemble étendu aux espèces non-humaines, dans le respect des lois naturelles et des limites planétaires. Des municipalités s’engagent dans cette voie, comme la ville de Curridabat, au Costa Rica qui a récemment étendu le statut de citoyens aux pollinisateurs, abeilles, chauves-souris, colibris, papillons pour repenser son plan d’urbanisation dans le respect de ses habitants non-humains »

Surtout, le déconfinement a marqué en France et dans d’autres pays, le début de la reprise économique. Autrement dit, la continuité, voire la relance, de la destruction du vivant. La machine productiviste a redémarré de plein fouet pour « relancer la croissance » et la consommation, sans aucune considération écologique. Voire même au détriment des normes environnementales alors en vigueur, comme le laissent présager certaines évolutions juridiques d’exception actées pendant cette crise sanitaire :

Le 8 avril dernier, un décret généralisant le droit des préfets à déroger à de nombreuses normes réglementaires, notamment en matière environnementale, a été adopté. Laissant alors la porte ouverte aux projets polluants et dévastateurs en termes écologiques qui n’auraient peut-être pas été autorisés en d’autres temps. La crise du coronavirus sert manifestement d’excuse pour libéraliser un peu plus le marché.

Autre exemple, le 30 avril dernier, en pleine période de confinement, la commission des mines de Guyane et l’État français donnaient leur feu vert au renouvellement et à l’extension de la concession minière Espérance détenue par la société CME. Beaucoup voient en cette extension un projet de Montagne d’Or « bis » qui passera inaperçu.

Il semblerait donc que la crise du Covid-19 constitue l’occasion rêvée pour affaiblir davantage le droit de l’environnement déjà faible. Et, en contrepartie, soutenir les grandes entreprises qui participent au réchauffement climatique, sans aucuneq conditions d’ordre sociale et environnemental. Plus généralement, au nom du Covid-19, les lobbies se sont attaqués aux normes environnementales. Et ce dans tous les domaines : patronat, automobile, agro-industrie, aviation, plastique. Tout ce que l’Union européenne compte comme lobby productiviste fait front commun contre les mesures environnementales. Le magazine Reporterre a notamment fait le point début mai sur ce lobbying.

La stratégie du choc, théorisée par Naomi Klein en 2008, prend alors tout son sens aujourd’hui :

« Une ‘ stratégie du choc ‘ est un ensemble de tactiques brutales qui vise à tirer systématiquement parti du désarroi d’une population à la suite d’un choc collectif pour faire passer en force des mesures extrémistes en faveur des grandes corporations, mesures souvent qualifiées de ‘ thérapie de choc ‘ »

Face aux conséquences visibles de la stratégie du choc, nous avons alors deux choix : se laisser happer par l’ultra-libéralisme et son business as usual, ou bien militer pour la voie d’une écologie courageuse donc radicale. Dans son dernier livre Le Choc des utopies: Porto Rico contre les capitalistes du désastre (2019), Naomi Klein examine comment deux mondes parallèles aux intérêts opposés se sont mobilisés après l’ouragan Maria, à Porto Rico en 2017, incarnant deux projets de société radicalement différents. Ce tiraillement décrit dans le livre est amené à se reproduire à plus grande échelle, puisque les changements climatiques vont occasionner d’autres catastrophes similaires à la crise sanitaire actuelle. Or, l’exemple portoricain montre que le choix de la résilience est possible. Un choix basé sur la justice climatique et sociale que réclament de plus en plus de mouvements citoyens à travers le monde.

Tout bouleversement à venir doit ainsi être perçu comme l’opportunité d’un changement structurel pour la société. Sans cet effort colossal, nous ne faisons que répéter les erreurs qui alimentent déjà les prochaines crises.

– Camille Bouko-levy

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