De 2008 à 2010, alors âgée de 14 ans, Julie est violée à plusieurs reprises par une vingtaine de Sapeurs-Pompiers de Paris. Pourtant, dix ans plus tard, justice n’a toujours pas été rendue. Jeudi dernier, le 12 novembre 2020, la justice a non seulement refusé de qualifier les faits de viol commis par trois pompiers, mais elle a aussi laissé libres d’exercer leur métier les dix-sept pompiers restants, malgré les aveux faits par certains d’entre eux. Retour sur cette affaire sordide qui en dit long sur notre rapport au viol.

« La République est bonne fille, mais elle ne se laissera pas violer ». En prononçant ces mots, le 21 octobre 2020, Emmanuel Macron contribue à perpétuer un système déjà bien ancré en France : la culture du viol. Soit un ensemble de comportements et d’attitudes partagés au sein d’une société donnée qui minimiseraient, normaliseraient la pratique du viol, principalement sur les filles/femmes. Autrement dit, cette culture du viol, c’est l’ensemble des idées reçues sur les violeurs, les victimes de viols, et les violences mêmes ; ce sont nos représentations de ce que doit être un « vrai viol », une « vraie victime » ou un « vrai violeur »… C’est précisément cette culture du viol qui contribue à l’impunité. En France, en 2017, 60 à 80 % des affaires de viol poursuivies n’ont pas été examinées par les cours d’assises, où sont jugés les crimes, mais par les tribunaux correctionnels, comme des délits. Pourtant, la réalité est la suivante : en France, 16% des femmes ont au moins une fois dans leur vie été victimes de viols et de tentatives de viols.

Julie [nom d’emprunt, nldr] est l’une d’entre elles. Alors âgée de 13 ans, elle est victime de viols en réunion, par une vingtaine de Sapeurs-Pompiers de Paris. Ces derniers profitant de son état d’extrême vulnérabilité, elle subit ces violences pendant près de deux ans de suite. Pourtant, dix ans plus tard, justice n’a toujours pas été rendue. Jeudi dernier, le 12 novembre 2020, la justice a non seulement refusé de qualifier les faits de viol commis par trois pompiers, mais elle a aussi laissé libres d’exercer leur métier les dix-sept pompiers restants, malgré les aveux faits par certains d’entre eux.

Julie, 13 ans, violée par vingt pompiers

Au début des faits, en avril 2008, Julie est une jeune fille heureuse âgée de 13 ans. Excellente élève en classe de 4ème, elle pratique aussi la musique et la danse. Un jour, suite à un malaise au collège, les Sapeurs-Pompiers de Paris interviennent. L’un d’eux garde ses coordonnées, puis la contacte via les réseaux sociaux. C’est à ce moment précis que tout bascule.

Julie / Crédits photo : Le Parisien

Durant deux ans, Julie fait de très nombreuses crises d’angoisses, qui se manifestent par de violentes crises de tétanie nécessitant l’intervention des pompiers pour la conduire à l’hôpital. Elle développe même une phobie sociale, et est déscolarisée. Les médecins lui diagnostiquent une dépression, et lui prescrivent alors des doses très importantes de neuroleptiques, une dizaine d’antidépresseurs différents ainsi que des anxiolytiques.

Entre avril 2008 et août 2010, en raison de son état de santé, les Sapeurs-Pompiers de Paris interviennent plus de 130 fois auprès de Julie. Ils connaissent donc parfaitement son état de très grande vulnérabilité physique et psychologique au moment des faits. Ils ont d’ailleurs été témoins des crises de tétanie de la jeune fille, de ses tentatives de suicide, et de ses scarifications entraînant de multiples hospitalisations. Mais cela ne semble pas les avoir arrêté, bien au contraire. Les viols s’enchaînent.

Rassemblement féministe en soutien à Julie / Crédits photo : @Océane Viala

La mère de Julie, Corinne Leriche, explique :

« Le premier viol en réunion s’est déroulé en novembre 2009, alors que Julie avait 14 ans et se trouvait en état de grande vulnérabilité connue par au moins un des trois pompiers concernés. En effet, Julie sortait alors d’une hospitalisation en pédopsychiatrie (26 au 30 octobre 2009) et dut y retourner en urgence dès le 15 novembre 2009 après ce premier viol en réunion (du 15 novembre au 12 décembre 2009). Une très grande proximité s’était installée entre les pompiers et notre famille. L’un des pompiers qui la connaissait très bien est venu la chercher habillée de sa tenue de pompier pour, à ses dires, l’emmener se promener dans un parc tout près de chez nous. C’est uniquement parce qu’il était pompier que nous lui avons fait confiance ce jour-là. Il ne l’a pas emmené au parc mais chez lui où il avait fait venir deux autres pompiers… C’est dans ce cadre que Julie a subi ce premier viol en réunion qui allait lui laisser de graves séquelles psychologiques.

Un autre des viols a eu lieu au sein d’un hôpital parisien alors que Julie y était hospitalisée en pédopsychiatrie. Le pompier de Paris concerné reconnaît un acte sexuel avec Julie prétextant qu’il ne s’était pas aperçu qu’il se trouvait dans un hôpital… »

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Dix ans après, justice n’a toujours pas été rendue

En juillet 2010, alors qu’elle exprimait de plus en plus son souhait de mourir, Julie est hospitalisée dans un service de pédopsychiatrie. L’équipe médicale décide de stopper tout traitement médicamenteux. Sevrée, la jeune fille retrouve ses facultés intellectuelles et sa capacité à s’exprimer. Dès sa sortie, elle révèle à sa mère la raison de tous ses maux : les viols subis à plusieurs reprises par une vingtaine de Sapeurs-Pompiers de Paris, et ce depuis deux ans.

Corinne contacte alors le chef de centre de la caserne de pompiers concernée. C’est le début d’un parcours sans fin. Cinq mois plus tard, aucun pompier n’a été auditionné par la police. Aucune sanction disciplinaire, ni démarche auprès des autorités concernées n’a été déclenche à leur encontre. Rien. Le silence. Il aura fallu que la mère de Julie envoie un courrier officiel en accusé de réception à l’État major des Sapeur Pompiers de Paris pour qu’une enquête interne soit déclenchée. Un grand nombre de pompiers reconnaissent alors avoir eu des actes sexuels avec Julie.

Ce n’est donc que six mois après le dépôt de plainte, et non sans difficultés, que la police a reçu l’ordre d’aller récupérer cette enquête interne au sein de la caserne des Pompiers de Champerret. En février 2011, les trois premiers pompiers sont mis en garde à vue et mis en examen pour viol en réunion sur mineur de moins de 15 ans. Quant aux 17 autres, ils ne seront jamais mis en examen ni impliqués dans une quelconque procédure judiciaire, alors même que la plupart a reconnu a minima des actes sexuels avec la jeune fille.

Rassemblement féministe en soutien à Julie / Crédits photo : @noustoutesorg

Huit ans après, le verdict tombe. Le 19 juillet 2019, le juge d’instruction de Versailles décide du renvoi devant le tribunal correctionnel des trois pompiers pour atteintes sexuelles. Autrement dit, la justice décide de requalifier les faits de « viol sur mineur » – un crime passible de vingt ans de prison – en atteinte sexuelle, soit un simple délit [à titre indicatif, un délit équivaut à un vol en magasin]. Quant aux 17 pompiers restants, ils ne sont toujours pas mis en examen, malgré leurs aveux. C’est la goutte de trop pour Julie, qui recommence les tentatives de suicide. La dernière, une défenestration, la laisse aujourd’hui handicapée à plus 80%.

Corinne Leriche, sa mère, témoigne :

« Ce mépris total de justice depuis 10 ans lui a fait faire des tentatives de suicide […] Julie, elle a été tuée à 13 ans. Sa vie s’est arrêtée quand elle avait 13 ans »

En septembre 2020, le dossier était réouvert : la famille de Julie souhaite que le « délit » soit requalifié en crime et qu’il n’y ait pas que 3 pompiers jugés mais bien les 20. Malgré cette demande en appel, la Cour d’appel de Versailles a confirmé ce jeudi 12 novembre la qualification d’atteinte sexuelle, rejetant de fait la notion de viol. En considérant que la jeune fille « avait consenti aux actes qu’elle avait subi » ! Or, selon la législation française, l’atteinte sexuelle sur une personne de moins de quinze ans est pénalement réprimée car on estime par défaut qu’un mineur suffisamment jeune ne peut consentir librement à un acte sexuel avec un majeur. Seuls trois des vingt pompiers sont donc mis en examen pour atteinte sexuelle. Surtout, les dix-sept autres pompiers qui ont violé Julie restent libres, et notamment libres de pratiquer leur métier. Mais la mère de Julie ne compte pas s’arrêter là : elle a annoncé vouloir pourvoir l’affaire en cassation.

Pour alimenter sa démarche, la mère de Julie a lancé une pétition, qui a rassemblé plus de 200 000 signatures en quelques jours, à destination du Garde des Sceaux. Par cette pétition, elle demande à la justice que les faits commis à l’encontre de Julie soient requalifiés en viols en réunion sur mineur vulnérable de 15 ans par personnes ayant autorité et, également, qu’une procédure judiciaire soit ouverte à l’encontre des 17 autres Sapeurs-Pompiers de Paris concernés.

« Nous demandons que justice soit rendue à Julie pour qu’enfin, âgée maintenant de 24 ans, elle puisse se reconstruire dans la dignité à laquelle elle a droit comme chaque être humain.»

Cette affaire, comme bien d’autres (telle que l’affaire Gérald Darmanin), illustre bien comment l’État français, la police, la justice, les services militaires (disons-le, un monde d’Hommes), semblent se protéger entre eux pour minimiser les faits ainsi que les condamnations malgré les preuves accablantes et les aveux. Surtout, elle montre à quel point la culture du viol est ancrée dans notre société : juger le viol d’une enfant de 13 ans comme un délit, c’est estimer que voler dans un magasin est tout aussi grave que de violer un enfant. C’est normaliser et banaliser des faits qui ne sont ni normaux, ni banals.

– Camille Bouko-levy

Crédits photo d’entête : @Océane Viala

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