Jacques Caplat, agronome et ethnologue, spécialiste de l’agroécologie, tente de répondre à une question qui fait tant débat : L’agriculture biologique peut-elle nourrir le monde ?
Agriculture conventionnelle…
Dans un article paru récemment, Jacques Caplat, auteur de plusieurs livres sur l’agriculture dont « Changeons d’agriculture » et « L’agriculture biologique pour nourrir l’humanité », explique pourquoi et comment l’agriculture biologique est supérieure à l’agriculture conventionnelle et à même de nourrir le monde.
Son approche et son argumentaire abordent non seulement les questions de rendements purs, pour lesquels il y a des différences selon les continents étudiés, mais aussi et surtout les questions sociales et économiques tournant autour de l’agriculture et trop souvent mises de côté lors des comparaisons entre les deux modèles agricoles.
En effet l’explosion de l’agriculture conventionnelle, perfusée aux engrais et pesticides pétrochimiques, fut accompagnée de traités de libre-échange en faveur des pays du Nord, et du développement forcé des semences stériles et inadaptées qui, au final, jetèrent dans la misère des dizaines de millions de paysans à travers le monde, principalement dans les pays du Sud. Plusieurs explications à cela :
– D’une part les grandes exploitations intensives, très mécanisées et demandant peu de main d’œuvre, remplacèrent ou polluèrent les cultures vivrières et poussèrent les paysans ruinés ou expulsés de leurs terres à fuir dans les bidonvilles ou à migrer vers les pays riches.
– D’autre part les accords commerciaux imposés par les pays riches et l’OMC permirent aux pays du Nord d’exporter à bas prix des denrées alimentaires subventionnées dans les pays du sud, déstabilisant l’économie locale et ruinant de nombreux producteurs. Ajoutons à cela les chantages à la dette imposés par le FMI (prêts accordés en échange de l’application de l’austérité, de la privatisation des services publics, de l’obligation de pratiquer des cultures d’exportations au détriment des cultures vivrières, etc), et les ingrédients pour faire exploser – ou maintenir – la pauvreté sont réunis.
Résultat : alors que les rendements agricoles n’ont jamais été aussi élevés, un milliard de personnes dans le monde souffrent de la faim. L’ironie étant que ceux qui souffrent le plus de la faim sont d’anciens paysans…
…contre agriculture biologique
L’agriculture biologique pratiquée à l’échelle locale, de son coté, permet aux paysans de vivre et produire de manière équitable en travaillant des produits adaptés à leur climat et leurs sols, avec des rendements intéressants et stables, sans dépendre ni des cours du marché international, ni des grands semenciers, ni des produits pétroliers.
Rotations des cultures, cultures associées ou agroforesterie sont autant de techniques agricoles abordées par l’auteur qui permettent de fortifier les plantes, d’éviter l’érosion et les maladies, de sécuriser les rendements, de maintenir un sol vivant et d’optimiser l’utilisation de la photosynthèse, autant d’avantages impossibles à obtenir avec l’agrochimie classique.
Toutes ces techniques semblent faire de l’agriculture paysanne biologique la seule capable d’enrayer la faim dans le monde et de redonner un niveau de vie acceptable aux paysans du sud comme du nord…à condition que les politiques agricoles et économiques y soient en faveur et que les paysans du Sud soient protégés des accords de libre-échange et des pratiques commerciales autoritaires et agressives imposées par le FMI et les pays riches.
Une autre partie des affamés sont la conséquence directe de nos choix agronomiques. Les élevages hors-sol européens et nord-américains ne peuvent exister que parce qu’ils importent massivement du soja d’Amérique du Sud pour nourrir leurs animaux. Or, ce soja est cultivé dans d’immenses domaines hérités de l’époque coloniale, qui employaient autrefois énormément de main-d’œuvre. Cette dernière a été remplacée depuis 30 ans par des machines et de la chimie… et s’est retrouvée obligée de s’exiler dans les bidonvilles. Ainsi, la quasi-totalité des habitants des favelas du Brésil sont d’anciens salariés agricoles (et leurs enfants), réduits à la misère par la généralisation de l’agriculture conventionnelle dans leur pays. Nos choix techniques (élevage hors-sol) et la généralisation de l’agriculture conventionnelle (qui remplace les humains par la sur-mécanisation et la chimie) sont la première cause de la misère mondiale, et de la faim qui en découle.
– Jacques Caplat
La clé de la sécurité alimentaire est dans la souveraineté alimentaire. L’Afrique pourrait réduire son niveau de pauvreté plus rapidement en privilégiant la production d’aliments de base plutôt que les cultures d’exportation.
– IFPRI (Institut international de recherche sur les politiques alimentaires)
Article : Changeons d’agriculture
Consulter le rapport d’Olivier De Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations-Unies pour le droit à l’alimentation
Consulter l’étude de l’IFPRI