Dans un pays fortement touché par le fléau des pesticides, certains agriculteurs du nord de « l’île aux fleurs » résistent à l’avancée de l’agriculture industrielle. Partage, transmission, entraide, respect de la terre sont leurs valeurs. Portrait.

Pendant des dizaines d’années, la Martinique s’est laissée lentement empoisonner par le fléau du chlordécone, pesticide chimique employé sur les bananiers afin de tuer les charançons (insectes). Malgré une interdiction de son utilisation en 1990, le pesticide continuera à être utilisé de nombreuses années. Les conséquences sont dramatiques : séquelles neurologiques, retards cognitifs, cancers, pollution des eaux et des sols, le bilan est lourd. Cette molécule persistante s’est répandue partout en Martinique et aux Antilles, tout le long de la chaîne alimentaire et peut théoriquement rester jusqu’à 700 ans dans l’environnement.

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Malgré les dégâts occasionnés par la molécule chimique, les agriculteurs continuent à employer massivement des pesticides sur l’île et les bananiers font maintenant l’objet d’épandages aériens d’insecticides jugés également cancérigènes et neurotoxiques… Cependant, face à ce fléau qui touche la Martinique et les Antilles, comme d’autres régions du monde, de plus en plus d’agriculteurs font front, quitte à revoir leurs objectifs de production, en refusant d’entrer dans ce système qui empoisonne les Hommes et la terre.

Les derniers endroits préservés du chlordécone

Le chlordécone se retrouve aujourd’hui dans la majorité des terres agricoles de l’île. Une seule commune est, pour l’instant, épargnée de ce fléau : c’est Fonds-Saint-Denis, dans le nord-ouest de l’île, en raison de sa situation en hauteur et difficile d’accès pour une exploitation conventionnelle. C’est dans cette commune que fut créée en 2001 l’association L’esprit Lasoté. Cet organisme vise à promouvoir « les savoirs ancestraux de l’agriculture, l’entraide, la transmission des savoirs aux jeunes, la préservation des variétés ancestrales », d’après Jean-Pierre Mauricrace, son président.

À Fonds-Saint-Denis, vit et travaille un agriculteur emblématique du bio aux Antilles : Léon Tisgra. Amoureux de ses terres, il y tient une exploitation familiale où il perpétue les pratiques de ses parents. Rempli d’enthousiasme, Léon est très actif en Martinique avec l’objectif de dynamiser le bio et la petite agriculture. Il a développé le GRAB Martinique (Groupement régional d’agriculture biologique) pour transmettre le savoir et le goût d’entreprendre de manière juste.

Entre renouveau et traditions

Parmi les techniques culturales utilisées, citons le billonnage-gazonnage, qui consiste à faire différents paliers tout au long d’un terrain de pente. Cette méthode s’accompagne d’un enfouissement des mauvaises herbes, qui vont alors enrichir les sols et dispenser les plantes d’engrais. Ceci présente le double avantage d’une fertilisation naturelle du sol et de limiter l’érosion quand il pleut fort. Il faut en effet savoir que l’agriculture conventionnelle, où les arbres n’ont plus leur place, a tendance à accentuer l’érosion et augmenter les risques d’inondations. La cohabitation de divers types de plantes permet une protection mutuelle et naturelle contre les insectes et parasites, épargnant le recours aux pesticides.

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Selon Jean-Pierre, le président de l’association Lespri Lasoté, un vrai jardin créole possède nécessairement de la patate douce, des ignames, des plantes médicinales, des arbres (papayers, par exemple). Des plantes parfaitement adaptées au climat local. Les agriculteurs de l’association ont aussi à cœur de maintenir les variétés ancestrales : igname saint-vincent, massissi, atoumo, thé frisé, etc.

« Je suis un homme simple avec une pensée simple », explique Léon Tisgra. Cette simplicité se retrouve à la fois dans la manière de cultiver son champ et dans les produits qu’il vend lui-même aux consommateurs. « Il faut reconnecter les gens à la terre, leur refaire découvrir l’agriculture saine », estime-t-il encore.

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Sources : Reporterre / France Antilles (1) /Maison citoyenne / Toutes photographies © H.Clément

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