Tout le monde a aujourd’hui entendu parler du dérèglement climatique et de la menace qu’il représente pour l’avenir de l’humanité. Il faut dire que la question occupe la quasi-totalité du temps médiatique consacré à l’écologie. Et pourtant, sans nier son extrême gravité, il est très loin d’être le seul danger environnemental qui plane sur la planète.
Dans un précédent article, nous évoquions déjà la problématique de plus en plus capitale de la ressource en eau potable. Dans ce dossier en deux parties, nous nous attaquerons dans un premier temps à l’effondrement de la biodiversité puis à la dégradation des sols. Deux enjeux étroitement liés et tout aussi importants que le climat, comme le rappelle souvent l’astrophysicien Aurélien Barrau.
Un traitement médiatique complètement différent
Si l’on en est arrivé à une telle situation, c’est sans doute dû à plusieurs facteurs. La crise climatique entraîne d’abord des phénomènes plus spectaculaires, plus visibles, et qui touchent l’être humain de façon plus immédiate et remarquable. A priori, on aura l’impression de souffrir davantage de chaleurs de 42° plutôt que de l’effondrement du nombre d’insectes ou d’oiseaux. Ces disparitions sont d’autant moins perceptibles par la population que 81 % des Français vivent en ville et se trouvent donc loin de la nature.
Les médias, qui ont déjà bien du mal à parler suffisamment d’écologie se focalisent très largement sur la question climatique. Une étude parue en 2018 démontrait ainsi que les articles sur cette question s’étaient multipliés lors des trente dernières années. À l’inverse, le nombre de papiers sur la biodiversité n’a fait que stagner.
Effondrement du vivant
Pourtant, l’enjeu du vivant sur Terre est absolument crucial et il n’est pour l’instant que peu lié à la question climatique (même si l’aggravation de cette dernière pourrait bientôt en faire un facteur essentiel). La disparition progressive de la biodiversité a, en outre, tendance à empirer ce dérèglement.
Il faut dire que la situation actuelle est catastrophique et que peu de gens semblent en prendre conscience. Ce ne sont, en effet, pas moins d’un million d’espèces végétales et animales qui sont directement menacées d’extermination dans les décennies à venir. Les chercheurs estiment que depuis 1500, jusqu’à 13 % d’entre elles auraient déjà disparu. Parmi les 5000 sortes de mammifères répertoriées, 80 n’existent plus, et plus de 1200 sont aujourd’hui en danger.
Mais au-delà de la quantité d’espèces en péril, le point statistique le plus inquiétant concerne également l’effondrement des populations. Ainsi, WWF notait en 2022 que le nombre d’animaux sauvages vertébrés avait chuté de 69 % depuis 1970.
La situation est tout aussi catastrophique pour les insectes ; en ce moment, 1 à 2 % d’entre eux disparaissent chaque année. Depuis 30 ans, ces individus ont diminué de 25 % dans le monde, et jusqu’à 80 % en Europe ! Certains scientifiques estiment d’ailleurs que si rien n’est fait, ils pourraient tout bonnement s’éteindre d’ici un siècle.
La vie aquatique est également durement touchée par l’activité humaine. En eau douce, à travers le globe, les populations de poissons ont perdu les trois quarts de leur effectif. En milieu marin, la catastrophe est tout aussi présente. On peut noter l’exemple de la méditerranée où le nombre de vertébrés a été divisé par deux.
Du jamais vu depuis les dinosaures
Dans son Histoire, la Terre a déjà subi des effondrements très importants de biodiversité. Ces « extinctions de masse » se sont produites à cinq reprises. La dernière d’entre elles remonte à 66 millions d’années avec la disparition des dinosaures, très certainement causée par un astéroïde entré en collision avec la planète.
Les scientifiques s’accordent aujourd’hui sur le fait que nous sommes probablement entrés dans la sixième extinction de masse. La grande différence avec les précédentes crises, c’est qu’il s’agit de la première fois où le responsable est l’un des habitants du globe.
Notons ainsi qu’avant l’apparition d’homo sapiens, une espèce sur un million disparaissait chaque année. À l’heure actuelle, entre 100 et 1000 sur un million s’éteignent annuellement. 98 % des mammifères sur Terre sont soit des animaux domestiques, soit des êtres humains.
Les ravages de la chasse et la pêche
Les comportements à l’origine de ce cataclysme sont multiples. Il a commencé avec la chasse et l’asservissement de la nature. Une multitude d’animaux ont pu disparaître après avoir été surexploités pour leur viande, leur graisse ou encore leur fourrure.
C’est toujours le cas aujourd’hui pour la faune marine sur qui la surpêche fait des ravages dramatiques. Les populations de thons rouges se sont ainsi effondrées de près de 80 %. Il faut dire que depuis 1950, le nombre de prises en mer a été multiplié par cinq. D’après les estimations, l’être humain exterminerait entre 970 et 2 740 milliards de poissons chaque année ! Et ces chiffres ne tiennent pas compte des pêches illégales…
Le braconnage, qu’il soit sur terre ou sur mer, représente d’ailleurs une très grande menace pour la biodiversité. Plus de 600 millions d’animaux sont ainsi exterminés chaque année de manière totalement illégale, que ce soit pour leur fourrure, leur ivoire, leur corne, leurs écailles, leur viande ou autres. Ces parties de leurs corps sont alors utilisées pour être mangées, transformées en objet ou encore pour des superstitions médicinales.
L’être humain envahit tout
Mais la principale cause de l’effondrement de la biodiversité réside sans doute dans l’expansionnisme géographique sans fin de l’humanité. À peine 5 % de la surface terrestre n’a pas été altérée par notre espèce. 36 % seraient occupées par l’agriculture, et les espaces naturels ne cessent de se réduire.
Pour couronner le tout, l’urbanisation ne fait que progresser. Si 55 % d’entre nous habitent aujourd’hui en ville, le chiffre pourrait grimper à 70 % d’ici 2100. Évidemment, ce phénomène découlera sur l’agrandissement de la superficie des agglomérations qui pourra être multipliée par six.
Ce développement sans fin a bien sûr pour cause de réduire toujours plus les espaces naturels et donc les lieux d’épanouissement du vivant. Il entraîne en effet la déforestation, mais aussi l’artificialisation des sols. Depuis 2000, les surfaces arborées ont d’ailleurs encore diminué de 100 millions d’hectares dans le monde.
Avec la mondialisation et une mobilité toujours plus accrue, l’humanité a aussi mis en contact des espèces qui n’auraient jamais dû se croiser et a ainsi bouleversé des équilibres naturels régionaux. C’est par exemple en amenant des animaux européens sur l’île Maurice que nous avons causé la disparition du dodo. Plus récemment, l’introduction accidentelle de la pyrale du buis en Europe a dévasté de nombreux arbres.
La vie anéantie par la pollution
L’une des autres causes principales de la destruction du vivant se situe dans la pollution. Là encore, l’humanité en est totalement responsable. On peut par exemple penser au plastique qui envahit tous les espaces naturels et notamment l’océan, tuant des millions d’animaux chaque année.
C’est ensuite évidemment toutes les productions industrielles et les déchets toxiques qui en découlent qui vont avoir des conséquences gravissimes sur l’environnement. On retrouve d’ailleurs régulièrement des centaines de poissons morts près d’usines installées à proximité de rivières.
Enfin, la pollution qui entraîne sans doute le plus de dégâts à la biodiversité est sans nul doute celle des pesticides. Et pour cause, ces substances sont littéralement créées pour tuer les insectes. On compte néanmoins 385 millions de cas d’intoxication graves à travers le monde touchant les êtres humains. Et ces chiffres ne concernent pas les maladies de plus long terme comme le cancer. Mais globalement, c’est le vivant dans son ensemble qui est victime de ce fléau.
Des conséquences dramatiques à venir
Le pire, c’est que la disparition d’une population donnée a un effet en cascade, puisqu’elle peut elle-même provoquer l’extinction d’autres espèces. Sans les insectes, par exemple, certains animaux ne pourront plus se nourrir, comme les oiseaux qui succomberont à leur tour. C’est ainsi toute la chaîne alimentaire qui est rompue.
De la même façon, les pollinisateurs ne seront plus là pour permettre à certaines plantes de se reproduire. Or, sans ce procédé, c’est tout le système agricole qui serait remis en cause.
La biodiversité, et notamment celle des forêts et des océans, permet aussi de réguler le climat. Ainsi, si elle s’effondre, le dérèglement ne fera que s’accélérer. Or, ces catastrophes environnementales rendront les conditions de vie sur terre de plus en plus difficile, provoquant à leur tour la décimation des populations mondiales. Un véritable cercle vicieux avec deux problèmes interconnectés.
Des études confirment également que plus il existe d’espèces sur le globe, plus les risques de transmissions de virus et de maladies sont limités. On a d’ailleurs pu observer ces processus dans nos champs et dans nos bois. En ayant massivement recours à la monoculture, nous avons créé des productions extrêmement vulnérables. Une forêt composée d’une seule essence sera ravagée par une même maladie en quelques instants. Si au contraire elle possède plusieurs types d’arbres, elle sera plus résiliente.
En agissant comme il le fait, l’être humain ne met donc pas uniquement des animaux ou des plantes en danger, mais il se place lui-même en situation de disparaître. Et pour cause, sa vanité lui a un peu vite fait oublier qu’il n’était pas au sommet d’une pyramide, mais qu’à l’instar de toutes les espèces de la planète, il dépendait des autres pour survivre. La nature risque pourtant de très rapidement le rappeler à l’ordre.
– Simon Verdière