Passant de 9,5 milliards de tonnes de CO2 en 2022 à seulement 1,5 à 2,6 milliards en 2023, la capacité d’absorption des puits de carbone terrestres semble dangereusement s’effondrer. Explications.
Les puits de carbone jouent un rôle crucial dans la régulation du climat en absorbant une partie des émissions de CO2 produites par les activités humaines. On en dénombre différents types : les océans, les forêts et végétaux, les sols et les tourbières, ou encore le phytoplancton. Chacun à leur manière, ils œuvrent pour absorber et stocker le dioxyde de carbone (CO2) présent dans l’atmosphère.
Les auteurs d’une nouvelle étude présentée à l’occasion d’une conférence internationale sur le cycle du carbone le lundi 29 juillet à Manaus (Brésil), pointent notamment la sécheresse croissante en Amazonie et les incendies ravageurs au Canada et en Sibérie pour expliquer le phénomène. Retour sur leurs conclusions.
Un effondrement sans précédent
En 2022, les scientifiques ont estimé leur capacité d’absorption totale à près de 9,5 milliards de tonne de CO2, alors que 7,3 milliards de tonnes ont été absorbées en moyenne chaque année sur la dernière décennie.
A l’occasion de la 11e Conférence internationale sur le dioxyde de carbone (ICDC11), tenue à Manaus (Brésil) du 29 juillet au 2 août, des résultats « alarmants » ont été présentés par une équipe de scientifiques. En 2023, la capacité des puits de carbone s’est considérablement effondrée, avec seulement 1,5 à 2,6 milliards de tonnes de CO2 absorbées, soit environ 1/3 à 1/5 de la capacité estimée l’année précédente. C’est le plus bas niveau enregistré depuis 2003.
Les auteurs de l’étude se disent « fortement surpris » par les résultats de leur recherche. « Si cet effondrement se reproduisait dans les prochaines années, nous risquons d’observer une augmentation rapide du CO2 et du changement climatique au-delà de ce que prévoient les modèles », s’inquiète le climatologue Philippe Ciais, co-auteur de l’étude et directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE), dans les colonnes du Monde.
Une année suffocante aux effets ravageurs
Marquée par de nombreux événements climatiques extrêmes et meurtriers, 2023 est à ce jour l’année la plus chaude jamais enregistrée. D’après les calculs des scientifiques, la concentration du CO2 dans l’atmosphère a connu une forte hausse (+ 86%) cette année là par rapport à 2022.
Pour autant, les émissions de dioxyde de carbone entraînées par la combustion d’énergie fossile n’ont que très peu augmenté cette même année. Une seule explication s’impose : les puits de carbone, censés absorber près de la moitié des émissions d’origine anthropique en temps normal, se sont manifestement révélés moins efficaces. « Cela implique un affaiblissement sans précédent des puits terrestres et océaniques, et soulève la question de savoir où et pourquoi cette réduction s’est produite », expliquent les auteurs du rapport.
En se basant sur des indicateurs divers tels que la température de surface des mers et océans, la couverture de glace, la vitesse du vent ou l’intensité de certains phénomènes climatiques, les chercheurs ont tenté d’expliquer une telle différence de capacité d’absorption.
Des incendies ravageurs
Dans un premier temps, ils pointent les effets ravageurs des incendies situés au Canada, relâchant dans l’atmosphère 480 millions de tonnes d’émissions de carbone, soit l’équivalent de 1 761 millions de tonnes de CO2 selon le Service Copernicus pour la surveillance de l’atmosphère (CAMS). Si d’autres incendies se sont déclarés cette année là, notamment en Sibérie, en Grèce ou encore en Australie, les climatologues estiment que les flambées canadiennes sont responsables de près d’un quart (23%) « du total des émissions de carbone dues aux incendies de forêt à l’échelle mondiale pour 2023 ».
La hausse des température et un manque d’eau dans plusieurs régions du monde ont aussi durement impacté la capacité des forêts à absorber du carbone. C’est notamment le cas en Amazonie, où une sécheresse extrême enregistrée de juin à novembre a transformé le poumon de la planète en source nette d’émissions de carbone.
« Globalement, c’est la coïncidence aggravante d’une source de carbone anormale importante dans les tropiques, combinée à la sécheresse en Amazonie, qui a compensé les puits plus élevés en Afrique centrale et orientale et dans l’ouest de l’Amérique du Nord », relèvent les auteurs. « Avec une faible absorption estivale dans le reste de l’hémisphère nord, on explique l’atténuation de la capacité des puits terrestres mondiaux en 2023 ».
Le verdissement de la planète ne permet pas de renverser la tendance
Si le verdissement de la planète se poursuit, notamment dans le centre-ouest des États-Unis, dans certaines parties de l’Afrique équatoriale, en Europe centrale et du sud-est, dans le sud du Brésil et dans le nord de l’Australie, il n’est malheureusement pas suffisant pour contre-balancer cette tendance. Ce découplage s’explique notamment par le fait que « les forêts brûlées retrouvent un vert plus élevé très peu de temps après les incendies, alors qu’elles récupèrent du carbone à un rythme très lent », détaillent les auteurs du rapport.
En outre, l’augmentation des taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère stimule la croissance des plantes, dont elles se nourrissent. « Tant que le CO2 s’accumule, les plantes en absorbent davantage, jusqu’à un point de saturation. Mais dans le même temps, dans un monde plus chaud, les plantes absorbent moins efficacement le carbone de l’atmosphère. L’équilibre global n’est pas bon », confie Josep Canadell au Monde, directeur exécutif du Global Carbon Project n’ayant pas contribué à l’étude.
Un appel à l’action
Il est manifestement encore « trop tôt pour conclure à un effondrement durable du puits terrestre après 2023 », mais l’année 2024 semble d’ores et déjà s’inscrire dans cette dramatique tendance, avec des températures records déjà enregistrées.
Il est plus que jamais nécessaire d’agir afin d’éviter que les taux de réchauffement très élevés se poursuivent au cours de la prochaine décennie et aient un impact aussi négatif sur la qualité des puits terrestre qu’en 2023. « Améliorer la séquestration du carbone et réduire les émissions de gaz à effet de serre à zéro net avant d’atteindre un niveau de réchauffement dangereux » est la priorité selon les scientifiques.
Sans cela, « les puits naturels de CO2 pourraient ne plus fournir à l’humanité le service d’atténuation qu’ils ont offert jusqu’à présent en absorbant la moitié des émissions de CO2 d’origine humaine », préviennent les chercheurs.
– L.A.
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