Alors que les scientifiques cherchent encore à comprendre comment les cétacés communiquent entre eux, ces mammifères marins sont mis en danger par l’Homme dont les activités marines polluent leurs complexes systèmes de communication, les poussant à s’adapter ou périr. Il revient dès lors à l’Homme d’envisager rapidement des moyens pour les préserver. Un point complet sur la situation.

Les multiples langages des cétacés

D’abord connu pour avoir été un mammifère terrestre quadrupède, le cétacé est retourné dans l’océan il y a 70 millions d’années suite à l’augmentation des températures. Cet ordre animal rassemble les baleines, cachalots, dauphins ou autres bélugas. On distingue deux grandes familles de cétacés :

– Les odontocètes ou cétacés à dents, qui regroupent les orques, les dauphins et les cachalots.

– Les mysticètes ou cétacés à fanons qui englobent les différentes familles de baleines

Sur terre, on dénombre 90 espèces de cétacés (15 mysticètes et entre 70/75 odontocètes). Depuis une quinzaine d’années, chercheurs et scientifiques mènent des études pour comprendre leur moyen de communiquer. En effet, la première catégorie s’exprime par des sifflements, des mugissements ou encore ce que l’on appelle « le clic ». Ce dernier permettant l’écholocalisation, c’est à dire se localiser via des sons spécifiques. Pour la deuxième catégorie, l’échange se fait par grondements, pulsations à basses fréquences (de 12hertz à 8 kilohertz) comme le célèbre « chant des baleines. »

« Communiquer, c’est mettre une information en commun » (Fabre Julie, 2014)

L’eau propageant le son cinq fois plus vite que l’air, elle fait de la communication acoustique le principal moyen d’échange entre ces animaux marins. Lequel se diffuse si bien qu’il y a fort longtemps, les marins croyaient les profondeurs envahies de créatures étranges, connues sous le nom de sirènes. Aujourd’hui, la communauté scientifique étudie cette mélodie sous-marine au moyen d’hydrophones. Les enregistrements sont ensuite transformés en graphismes ou spectrogrammes qui, malgré leur efficacité prouvée, rendent encore difficile la compréhension de la complexité des sons émis par les cétacés. Pendant la guerre froide, des scientifiques ont jeté à l’eau des dizaines d’hydrophones dans le Pacifique & l’Atlantique nord, dont ils ont mis les enregistrements en ligne en 1960.

Avec des sons à 180 décibels, fréquence extrêmement basse, ainsi que leur répétition mécanique, ils ont d’abord cru qu’il s’agissait de battements de cœur. Pourtant, malgré les zones de flou restant à élucider pour transcrire le répertoire des cétacés, il est déjà acté qu’il est bien plus vaste et subtil que ce que l’on avait cru a priori. Ces vocalisations sont adaptées au contexte éco-social de l’animal à savoir qu’il l’utilise pour indiquer une proie ou un prédateur, formuler un désir sexuel, jouer, annoncer une concurrence, manifester une hiérarchie sociale ou encore, comme nous l’avons vu plus haut, de s’écholocaliser. Cette grande variété de sons impulsifs est organisée en séquences appelées « codas ».

Comme évoqué plus haut, les sons produits peuvent être de type impulsif (clics, tics, bourdonnements…) ou continu (sifflements, cris, mugissements). Voire une succession des deux.

Un cachalot mère avec son petit près de la côte de Maurice. Source : wikimedia

– Chez le cachalot qui communique exclusivement par le « clic », il est avéré que, selon les codas qu’il exécute, son intention diffère. François Sarano, plongeur, océanographe, ancien responsable scientifique de la Calypso du Commandant Cousteau qui étudie ce mammifère depuis des années, a découvert qu’une séquence de codas de 8 clics correspondait à une demande de caresse et qu’elle était spécifique pour chaque famille. Ainsi, les codas varient selon les régions. De même, « le creak », est une série de clics continus qui pourraient être une manière pour ces animaux de se toucher à distance en faisant vibrer le corps de leurs congénères.

Aussi, ce dernier, doté du plus puissant et du plus intelligent sonar de la planète, peut repérer ce qui serait, pour nous, l’équivalent d’un moustique à 10 mètres, dans une eau opaque et sans lumière. Et ce uniquement par la réflexion du son qu’il émet par son nez.

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Un Grand dauphin, dans le sillage d’un bateau de recherche. Source : wikimedia

– Les delphinidés produisent une large gamme d’émissions des deux catégories évoquées ci-dessus. On retrouve différentes vocalisations, chacune représentée par des sifflements variés, dans le but de traduire une intention particulière dans un cadre donné. On peut citer la prédation, une mère qui veut rappeler son petit, les rapports sexuels, les cas d’agression ou encore quand il s’agit d’assurer la cohésion du groupe etc.

« Pour communiquer, les dauphins utilisent eux aussi les bases du langage humain, des règles grammaticales et un vocabulaire pour composer des phrases complexes. Tout dauphin dispose d’ailleurs de sa propre identité caractérisée par une signature sifflée. »[1]

– La baleine à bosse, elle, partage des unités sonores qui varient selon les endroits du globe où elle se trouve. Elle les change chaque année et chacune d’entre elles signifient un ou deux « leitmotiv ».

Une baleine à bosse. Source : wikimedia

Plus récemment, des études ont fait valoir qu’au-delà de la communication immédiate, les cétacés se transmettraient entre eux leur culture. En 2011, Ellen Garland, chercheuse australienne, a comparé les différents chants des baleines en Australie et en Polynésie française. Elle a constaté que les unités sonores se diffusaient d’une population à l’autre alors que les premières n’étaient pas censées se déplacer sur cette partie de l’océan. Cette transmission se ferait par imitation. On l’a appelée « révolution culturelle » car les unités sonores changent d’une année à l’autre.

Elle a aussi relevé que certaines baleines avaient la capacité d’influencer si efficacement leurs congénères, que ces dernières finissaient par modifier complètement leur chant d’origine. Dans un autre registre, ce mammifère, qui peut vivre jusqu’à 200 ans, pourrait hériter de l’histoire de ses parents, notamment pour ce qui concerne la chasse. En effet, ne l’ayant pas éprouvé elle-même, il n’est pas impossible qu’elle sache par transmission générationnelle qu’il y a un risque à s’approcher des humains et de certains bateaux.

Un groupe de cachalots en train de socialiser. Source : wikimedia

Ainsi, la communication entre les cétacés assure leur sociabilité, le leg culturel et plus encore leur survie. Hélas, alors qu’elle est déjà adaptée à un environnement sonore et à des paramètres géologiques particuliers comme les vagues, la densité de l’eau, la réflexion, la réfraction, les bruits biologiques (crustacés) etc. d’autres facteurs, meurtriers quant à eux, viennent dérégler l’intensité et la perception de ces ondes sonores qui mettent en danger la vie de ces mammifères. On citera, le trafic maritime, la surpêche, l’exploitation du gaz et du pétrole ou autres sonars militaires…

Risques et conséquences de la pollution sonore humaine

La pollution sonore maritime est l’un des chaînons majeurs responsable de la désertification de nos océans. Pourtant à l’instar de nos forêts primaires, poumon vert de notre planète, ils en sont, le poumon bleu. Selon une étude de l’IFAW, l’augmentation constante des nouveaux sonars militaires, du trafic maritime, de la prospection géophysique, des études réalisées par les industries pétrolières et gazières, provoqueraient des changements de comportement importants chez les cétacés, menant parfois à la perte d’audition totale voire à la mort. Pourquoi ?

Comme évoqué précédemment, l’ouïe est le sens le plus important et le plus actif chez les mammifères marins. Il est même le pilier fondamental de leurs interactions sociales (sociabilité, prédation, protection, hiérarchie sociale etc.). Les bruits générés par l’activité humaine comme les sonars militaires allant parfois jusqu’à 200 décibels, sont pour eux une source de dérèglement et de confusion. Dès lors, ils sont amenés à quitter les zones de mise à bas ou encore à s’échouer sur les plages touristiques. De plus, même si une zone militaire fait attention à son quadrillage de travail, l’eau conduisant le son cinq fois plus rapidement que l’air, leurs sonars peuvent atteindre des kilomètres de distance et par là-même, perturber des cétacés qui paraissaient hors de portée de ses nuisances.

Frégate de la Royal Navy équipée d’un sonar dernier cri. Source : flickr

Il existe deux catégories de sonar : passif (percevoir) et actif. Pour que ce dernier fonctionne, il faut : une source, une cible, un récepteur et un couloir acoustique. Quand les sonars militaires émettent des ondes sonores, les mammifères marins peuvent à leur insu devenir une cible, ce qui leur est préjudiciable à différents niveaux. Quand leur communication est altérée voire masquée par le parasitage humain, ce sont leurs moyens de se nourrir en détectant ses proies par écholocalisation, de sociabiliser, de naviguer et de se protéger qui sont gravement affectés. Engendrant ainsi un impact désastreux sur ces populations. Aussi, les effets diffèrent selon l’individu :

– Ceux qui ont un champ auditif semblable aux ondes sonores sont les plus affectés.

– Une mère et son petit sont plus vulnérables.

– Le cachalot qui doit remonter à la surface pour s’oxygéner n’est pas « programmé » pour fuir un bruit inattendu, en restant de manière prolongée sous l’eau.

Des études ont montré que certains cétacés ajustaient leurs comportements aux transformations sonores qu’ils subissaient dans leur environnement. Ils se traduisent via la modification de leurs vocalisations, la diminution de la distance entre chaque animal ou encore par l’accélération de leur nage. Par exemple, les dauphins communs augmentent les fréquences de leurs sifflets.

Malgré leur potentiel d’adaptabilité, des recherches ont révélé des changements hormonaux indicateurs de stress chez les populations exposés à ces bruits.

Ensuite, il y a le trafic maritime, qui s’intensifie chaque jour un peu plus. La mer méditerranée est l’une des plus touchées au monde par cette activité. La cause principale est l’échange de biens mondialisé. Les navires qui sont défrettés quotidiennement libèrent des fréquences sonores déstabilisant la faune sous-marine déjà fragilisée par leur passage. Les sports nautiques ainsi que le transport de passagers participent eux aussi à la perturbation de ces populations. Il s’agit encore là des effets néfastes de notre besoin de consommation impulsif et irrépressible.

Une plate-forme pétrolière. Source : wikimedia

Les ondes sonores à basse fréquence engendrées dans la prospection pétrolière et gazière sont d’une telle intensité qu’elles sont, elles aussi, suspectées d’avoir des effets dévastateurs sur les cétacés. Des études (Goold en 1996 / Pierre et Tasker en 2005) ont mis en avant que les dauphins fuyaient les zones d’explorations.

Pour finir, le développement côtier, avec l’installation de piliers et les opérations de dragage, est lui aussi à l’origine de cette propagation sonore nocive. Même si certaines techniques d’atténuation sont mises en place pour prévenir l’exposition de ces derniers. On peut citer le remplacement de marteaux à percussion par des vibrants, plus bas d’environ 17 décibels. Malgré ces efforts, les résultats sont loin d’être suffisants, comparés au désastre qui se déroule dans notre “poumon bleu”.

La nécessité de solutions rapides

Il n’y a donc plus de temps à perdre quant à la mise en place de lois et de restrictions pour protéger les cétacés et la population marine dans son ensemble. Premièrement, il paraît est devenu indispensable d’instaurer une réglementation stricte sur la pollution sonore. Pour cela, il est nécessaire d’approfondir les recherches sur les niveaux sonores de l’environnement aquatique ainsi que sur les moyens de communication des cétacés. Mieux connaître ce que nous avons longtemps appelé « le monde de silence », nous permettra de nous ajuster plus finement à lui et d’éviter aux mammifères marins de s’exposer à un environnement sonore mortifère pour eux.

Exemple de surpêche avec un chalutier dont le filet a capturé d’un coup des centaines de milliers de morues. Source : wikimedia

De plus, notre mode de vie régi par une consommation croissante, irréfléchie et irrespectueuse de notre biotope doit être repensée de fond en comble. Dans la mesure où nos actes ont des conséquences sur notre écosystème, de manière directe ou indirecte. Nous pouvons définitivement influer dessus en reformulant ce qui est essentiel ou non. Comme par exemple en cessant radicalement de consommer des poissons issus de la surpêche. Ce qui induit de ne plus parler d’eux comme des stocks voire des marchandises.

Il est aussi nécessaire de renforcer l’adoption de moteurs plus silencieux pour les bateaux et d’encadrer plus strictement la prospection sismique (pétrole et gaz) via l’utilisation de technologies moins invasives en matière de sonars. Enfin, un meilleur contrôle des niveaux de bruits et d’une base de données de la provenance des sons générés par l’homme permettrait de les exploiter de façon plus efficiente quant à la sauvegarde de la vie marine.

Liza Tourman

Sources & Note

[1] Karine Lou Matignon, auteur, essayiste et journaliste. Extrait de la revue Animal de la Relève et la peste, p116.

https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/oublier-moby-dick-14-a-lecoute-des-cachalots-et-autres-cetaces-0

http://theses.vet-alfort.fr/telecharger.php?id=1778

https://www.geo.fr/environnement/oceans-comment-communiquent-les-cetaces-160274

https://www.pourlascience.fr/sr/article/la-communication-chez-les-dauphins-et-les-baleines-4589.php

https://dataanalyticspost.com/ia-decode-signaux-cetaces/

https://www.cetaces.org/monde-sonore-cetaces/acoustique-sous-marine-et-les-cetaces/

https://www.rac-spa.org/sites/default/files/doc_open_seas/alboran_sea_cetaceans.pdf

https://www.dalkia.fr/fr/e-mag-efficacite-energetique/locean-poumon-bleu-terre

https://www.ifaw.org/fr/projets/reduire-le-bruit-dans-les-oceans-monde


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