Se retrouver nez-à-nez avec une sculpture de 2,5 tonnes qui bloque l’accès d’une multinationale, ce n’est pas très habituel. C’est pourtant ce qu’ont vécu les employés du siège de Coca-Cola UK ce lundi 10 avril. Avec cette sculpture représentant des mouettes en train de régurgiter une quantité considérable de déchets plastiques, des activistes de l’ONG Greenpeace ont décidé d’alerter les dirigeants de la marque leader ainsi que l’opinion publique. Le message est clair : vous ne tenez pas vos engagements pour réduire la pollution des océans par les déchets plastiques. La multinationale est l’une des entreprises qui participe le plus au monde à la pollution plastique.
Il faut dire que l’ONG a de quoi être en colère. En mars dernier, lors d’une étude menée par Greenpeace, Coca-Cola a tout bonnement refusé de dévoiler ses chiffres de production plastique. Après avoir effectué sa propre analyse, l’ONG a sorti son tout dernier rapport accablant sur la marque où elle dénonce une production démente : 100 milliards de bouteilles en plastique seraient produites chaque année par l’entreprise. C’est en se plongeant dans les chiffres des ventes du groupe que Greenpeace a découvert que 60% des emballages produits étaient des bouteilles à usage unique. Une proportion qui a étonnamment augmenté de 12% entre 2008 et 2012. Étonnant, oui, lorsque l’on sait à quel point la lutte pour la protection de l’environnement est officiellement considérée comme une priorité…
HAPPENING NOW in London! @GreenpeaceUK dumps sculpture outside @CocaCola_GB to highlight ocean #plasticpollution https://t.co/NnfJvURZ4Q pic.twitter.com/sZx2xXtH1F
— Plastic Soup (@plasticsoupfoun) April 10, 2017
Un affrontement qui ne date pas d’hier
Compromettre le durable pour des profits de court-terme. Voilà, en essence, ce que dénonce le rapport Greenpeace quant aux actions de Coca-Cola. Le rapport met en exergue la façon dont Coca-Cola manque systématiquement à ses engagements. En 2015, 25% des bouteilles devaient provenir de matières recyclées ou renouvelables mais la réalité est toute autre : seulement 12,4% le sont, dont 7% de contenants recyclés. Autant dire qu’au regard de la croissance de l’entreprise, qui produit toujours plus, l’effort est néant. Même désillusion pour les engagements de la marque à horizon 2020, avec pour but d’atteindre un taux de recyclage des emballages vendus dans les pays développés de 75%. La direction n’est pas la bonne puisque la marque régresse sur cette question avec un taux qui serait passé de 63% en 2013 à 61% en 2014, pour atteindre 59% en 2015.
La réponse du géant ne s’est pas faite attendre. Le porte-parole du groupe s’est dit « déçu » du rapport de Greenpeace. Il affirme que Coca-Cola est l’une des rares entreprises dont les emballages sont 100% recyclables (ce qui ne veut pas dire 100% recyclé). Il a ajouté qu’en Grande-Bretagne, par exemple, le groupe a réduit de 15% ses emballages depuis 2007 et que pour le moment chacune de ses bouteilles contiendrait 25% de plastique recyclable. La rhétorique de la multinationale est assez courante dans le domaine industriel : les dérivés de pétrole, du fait d’être recyclables, seraient « bon » pour la planète. Sans doute pas aux goûts des animaux marins qui ingurgitent des tonnes et des tonnes de ces matières chaque année.
Les deux entités n’en sont pas à leur premier affrontement. En 2014 déjà, le rapport de forces se passait sur un autre continent, en Australie cette fois. Alors que la marque sortait vainqueur d’un procès où elle avait échappé à un projet de taxation de 10% pour rembourser les frais de recyclage des matières plastiques, Greenpeace avait lancé une bombe rapidement devenue virale. Une vidéo très vite censurée par la marque où l’on peut voir des jeunes gens se désaltérer d’un bon Coca-Cola bien frais sur la plage, jusqu’au moment où il se met à pleuvoir… des oiseaux morts. Triste réalité bien connue maintenant, les oiseaux marins prennent le plastique pour de la nourriture, et finissent par mourir de faim, l’estomac rempli de déchets plastiques. Une vidéo qui avait été déprogrammée de la chaîne Channel 9 alors qu’elle devait passer à un moment de grande audience, en raison de son caractère « choquant » selon la chaîne. Coca-Cola étant un puissant annonceur et bon client des chaines de télévision, on ne doute pas que des pressions, formelles ou non (autocensure), aient eu lieu. Même si Coca-Cola s’est largement défendu d’une quelconque influence exercée sur la chaîne, il semblerait tout de même qu’elle ait remporté cette première bataille d’influence…
Mais pour Louisa Casson, militante Greenpeace qui s’est exprimée chez CNN, l’affrontement de cette semaine est une provocation derrière laquelle se cache une réelle main tendue. Provocation de la part de Greenpeace qui voudrait que la marque joue réellement son rôle de leader en étant un modèle dans le processus de changement du secteur de la boisson non-alcoolisée. Aussi faudrait-il que la marque tentaculaire cesse d’être cet enfant gâté et capricieux du capitalisme. Pour l’ONG, le groupe devrait investir dans le développement de nouvelles façons de consommer, en faisant la promotion de modèles réutilisables et en s’assurant que tous les emballages restant soient recyclables à 100%. Un changement de logique qui permettrait au groupe de réduire de façon exemplaire son empreinte. Et l’ONG se dit prête à collaborer avec le groupe pour qu’il puisse parvenir à cet objectif. Pas sûr, cependant, qu’une telle avancée se produise de sitôt…
Le jeu trouble du géant Coca-Cola
Selon le rapport de Greenpeace, Coca-Cola suit la politique du « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais ». Chaque année, la marque dépenserait 4 milliards de dollars pour s’acheter une image responsable et respectueuse de l’environnement. Un budget largement suffisant, donc, pour créer les conditions d’un changement réel, rapide et efficace de ses pratiques et des habitudes des consommateurs. Mais il semblerait que derrière les belles intentions, aucune décision tangible et crédible ne soit prise. Un réel décalage entre les paroles et les actions de la marque, car si elle semble toujours prête à souligner l’importance du recyclage auprès de ses consommateurs (comme la plupart des entreprises aujourd’hui), elle ne parvient pas, elle-même, à augmenter l’utilisation de matériaux recyclables dans ses bouteilles. Rappelons-le, seulement 7% en moyenne des bouteilles Coca-Cola sont crées à partir de plastique recyclé.
Une position ambivalente de la marque qui appelle à la responsabilité de ses consommateurs, tout en se dédouanant de son rôle dans la crise des plastiques dans l’océan. Alors même qu’elle produirait pas moins de 3400 bouteilles à la seconde !
Pire, les militants de Greenpeace se disent scandalisés par l’attitude moralisatrice de la marque envers ses consommateurs, alors qu’elle s’oppose à toute mesure qui permettrait de réduire la pollution plastique. L’ONG accuse même Coca-Cola d’être à l’origine d’un complot, via ses lobbies, pour tuer dans l’œuf le projet de remboursement des bouteilles ramenées pour recyclage, en grande Bretagne. Des fuites provenant de rapports de la marque mettraient en évidence ses inquiétudes face à la perte de profits qu’une telle mesure pourrait représenter.
Une preuve de plus que la lutte pour la protection de l’environnement est entravée par une absence de courage politique face aux actions des multinationales qui se battent bec et ongles pour protéger leurs intérêts financiers, tout en communiquant « green » pour qui veut bien encore y croire. Car les initiatives existent bel et bien ! Dans un ancien article, nous vous avions présenté l’invention de cet étudiant islandais : une bouteille d’eau entièrement biodégradable. Pensons également à ces capsules d’eau réalisées à partir d’algues, et dont la production est moins chères. Mais ces initiatives ne seront jamais suffisantes tant qu’une réelle volonté de les développer et de les privilégier face à l’industrie pétrochimique ne se fera pas entendre. Malheureusement, un tel changement de paradigme suppose des décisions politiques qui tardent à venir.
Pourtant, la situation est alarmante, dans un ancien rapport, Greenpeace prévenait que « ces dix dernières années, le monde a produit plus de plastiques que durant les 100 années précédentes. Nous produisons en moyenne 300 millions de tonnes de plastiques par an et on estime qu’entre 8 et 12 millions de tonnes finissent dans nos océans – l’équivalent d’un camion poubelle chaque minute. »
Une réalité sinistre, lorsque l’on sait qu’une bouteille plastique peut mettre plusieurs centaines d’années à se désintégrer complètement…
Sources : edition.cnn.com / greenpeace.org.uk / greenpeace.fr / independent.co.uk /
positivr.fr / dailymail.co.uk / mrmondialisation.org