Depuis l’avènement de la NUPES, les soutiens d’Emmanuel Macron, bien aidés par les médias de masse, ne cessent de pratiquer un jeu dangereux. En diabolisant au maximum la gauche, et en particulier son leader Jean-Luc Mélenchon, ils offrent sur un plateau une légitimité politique à Marine Le Pen.

Avec l’effondrement des partis traditionnels (PS, LR), le bloc bourgeois s’est reconstitué autour d’Emmanuel Macron et s’appuie sur une stratégie bien connue. Tout faire pour se retrouver en face à face avec l’extrême droite et compter sur le « barrage républicain » pour l’emporter. Une tactique qui a encore fonctionné de justesse aux présidentielles de 2022, mais qui a de plus en plus de plomb dans l’aile.

Un jeu permanent avec le feu

À écouter les capitalistes et les membres du gouvernement, ils seraient le seul rempart contre « les extrêmes ». Nous vous expliquions déjà dans un précédent article pourquoi cette rhétorique qui consiste à qualifier d’extrémiste tout ce qui n’est pas aligné sur le macronisme est d’une grande malhonnêteté intellectuelle.

Jadis, le Front National de Jean-Marie Le Pen était présenté, à raison, comme un véritable épouvantail et la gauche, tant qu’elle était libérale, faisait partie du « champ républicain ». Néanmoins, depuis l’émergence de la NUPES, la gauche dite « sociale démocrate » au sens moderne du terme, semble définitivement enterrée en France.

De ce fait, la bourgeoisie paraît se sentir bien plus en danger face à une gauche altermondialiste, décidée à rompre avec le néolibéralisme. Dans un premier temps, elle avait commencé à placer ce camp (qu’elle détermine improprement comme d’extrême gauche) sur un pied d’égalité avec le Rassemblement National, ce qui relevait du jeu très dangereux.

Mieux vaut Hitler que le Front Populaire

Pourtant, durant l’entre deux tours des présidentielles, on avait assisté à un véritable bal d’hypocrites des macronistes désirant séduire les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Mais depuis, et notamment avec la NUPES arrivée en tête au premier tour des législatives, la gauche est devenue l’ennemi à abattre.

Dans la bataille de la réforme des retraites, le gouvernement s’est ainsi montré particulièrement virulent et dans la surenchère permanente à l’égard de cette opposition avec comme cible privilégiée, le fondateur de la France Insoumise.

Mélenchon, l’homme à abattre

À dire vrai, Mélenchon est même devenu ces dernières semaines la figure du diable incarné, non seulement pour la Macronie, mais aussi pour le Rassemblement National et les médias. Au sujet d’une élection législative partielle, où une candidate pro-Hollande a battu une postulante LFI, l’ex-Premier ministre Jean-Pierre Raffarin allait jusqu’à évoquer la constitution d’un « Front Républicain anti-NUPES ». Le fait que cette victoire se soit faite sous les félicitations générales de Carole Delga (PS anti-NUPES) à Julien Odoul (RN) en passant par l’ensemble des macronistes ne paraît absolument pas déranger l’ancien vendeur de café.

La lutte contre l’extrême droite semble donc devenue accessoire pour ce gouvernement et ses relais qui s’emploient à présent à tirer à boulets rouges sur la gauche. On a ainsi entendu François Bayrou affirmer que « Mélenchon nourrissait une stratégie de déstabilisation de la société », Olivier Véran assurer qu’il était « le rentier de la colère et la misère », et même Emmanuel Macron s’est érigé en gardien de l’ordre face à celui qui surferait « sur les violences ».

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Dans une déclaration orwellienne, la députée Renaissance Aurore Bergé leur a emboîté le pas : « Le projet de LFI et Mélenchon, c’est de tout conflictualiser et créer la violence partout. Son projet politique, c’est de mettre le bordel pour installer son match avec Marine Le Pen en 2027. » Des propos pour le moins cocasses, quand on sait qu’Emmanuel Macron a littéralement passé cinq ans à entretenir un duel avec la patronne du RN pour assurer sa victoire.

Les partisans du gouvernement ne sont d’ailleurs pas les seuls à s’être déchaînés de la sorte. De la même façon, le député LIOT, Pierre Morel-À-L’Huissier, a accusé l’ex-candidat aux présidentielles d’être « totalement irresponsable ».

Dans les médias des milliardaires, ce n’est guère mieux. Challenges évoque ainsi le « naufrage » d’un Mélenchon « ringardisé ». Le Point voit en lui un « irresponsable » qui « légitime la violence », quand on entend sur Europe 1 qu’il s’agit « d’un boulet ». Le magazine d’extrême droite Valeurs Actuelles dénonce, lui, la « violence, la haine (sic), et le chaos » de « l’extrême gauche ». Et la palme du grotesque revient sans doute à Gala qui va jusqu’à nous expliquer qu’il est « mal-aimé de ses voisins ».

Le Pen rendue respectable par les libéraux

Car bien sûr dans ce jeu malsain que mettent en place les libéraux, c’est évidemment l’extrême droite qui sort gagnante. Complètement invisible (aussi bien dans la rue qu’à l’assemblée) pour lutter contre la réforme des retraites, Marine Le Pen n’a plus qu’à récolter les fruits de ce que sème la Macronie.

Ils n’ont d’ailleurs pas manqué de leur emboîter le pas dans leur stratégie de diabolisation de la gauche : en se joignant à la meute, elle forge alors sa nouvelle « respectabilité ». S’érigeant également en garante de « l’ordre » elle a ainsi fustigé Mélenchon qui serait « toujours du côté des voyous ». Même son de cloche chez son compère idéologique Zemmour qui le désigne comme responsable du « climat de violences ».

Il faut dire que la Macronie ne s’est pas privée d’offrir à la patronne du RN une légitimité toute neuve. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin lui déroulait le tapis rouge, assurant qu’elle était politiquement « incontestablement plus intelligente que Jean-Luc Mélenchon ». Olivier Dusopt allait encore plus loin en expliquant qu’elle était « bien plus républicaine » qu’une « bonne partie de la gauche » (comprendre la France Insoumise).

Pourtant, après de telles sorties, avec le plus grand culot du monde et toute honte bue, le même camp n’hésite pas à rejeter la faute du succès croissant des identitaires sur la NUPES (ou plutôt, dans leur bouche, l’extrême ou l’ultra gauche, on ne sait plus). On a ainsi vu, par exemple, Aurorge Bergé expliquer que « la France Insoumise favorise la montée de l’extrême droite en France ». Une rhétorique d’ailleurs très souvent reprise sur les réseaux sociaux par les soutiens du président de la République.

Extrême droite contre droite extrême

Pourtant, dans les faits, s’il faut blâmer quelqu’un pour avoir aidé le camp de Marine Le Pen, c’est au contraire les néolibéraux qui dirigent le monde depuis plus de quarante ans. Ce sont bien leur politique d’austérité et destruction des services publics qui ont conduit autant de gens dans les bras d’un mouvement aux solutions simplistes. On le constate d’ailleurs partout sur la planète, notamment aux États-Unis avec l’arrivée de Trump au pouvoir (sans doute par la faute de Mélenchon…).

Afin de conserver un adversaire privilégié destiné à perdre systématiquement, les libéraux ont ainsi dû se droitiser pour ne pas se faire doubler. Pour ce faire, Emmanuel Macron et ses partisans ont repris les thèmes de l’extrême droite, comme l’immigration ou la sécurité, mais elle a également mimé ses attitudes et son vocable.

On a, de cette façon, pu entendre au sein du gouvernement des individus dénoncer l’islamogauchisme ou le wokisme, mais on a également vu le chef de l’État réhabiliter des figures d’extrême droite comme Philippe Pétain qu’il a qualifié de grand soldat, ou Charles Maurras, tête de gondole du royalisme et l’antisémitisme.

Dans la même veine, le fondateur de Renaissance a, en outre, donné une interview au magazine d’extrême droite Valeurs Actuelles qu’il a désigné comme un « très bon journal ». Rappelons que l’on parle d’une publication qui promeut ouvertement la théorie du grand remplacement et dont un article a été condamné pour « injure publique à caractère raciste ». Même Hugo Clément, journaliste écologiste, fait désormais campagne pour la cause climatique en s’appuyant sur la peur des vagues de migration, plutôt que d’être en soutien à des personnes victimes d’un système capitaliste, patriarcal et néo-colonial qui nous mène collectivement droit dans le mur.

Le parti de l’ordre

Pour ne pas perdre la face devant Marine Le Pen, et pour vampiriser l’électorat de la droite traditionnelle, le gouvernement Macron tente de s’imposer comme le parti de l’ordre. Il n’a donc pas hésité à employer des méthodes draconiennes, en particulier contre les manifestants, comme on a pu le constater avec le mouvement des Gilets Jaunes mais aussi de l’opposition aux réformes des retraites.

Cet autoritarisme s’est, de même, caractérisé jusque dans l’assemblée avec de multiples usages du 49.3, mais également par la mise en place de lois que n’aurait pas reniées l’extrême droite comme celle dite de « sécurité globale » ou celle « contre le séparatisme ».

Pour incarner cette droitisation forte, Emmanuel Macron peut, en outre, compter sur la figure emblématique de Gérald Darmanin qui semble se radicaliser chaque jour un peu plus, faisant passer Marine Le Pen pour une simple collègue de bureau. C’est d’ailleurs dans un débat entre les deux qu’il avait dénoncé sa « mollesse » dans sa lutte contre l’islamisme.

Le capitalisme s’accommoderait très bien du Rassemblement National

Si les néolibéraux se permettent de jouer avec le feu, c’est sans aucun doute parce qu’ils savent que Marine Le Pen n’est pas un danger ni pour le système capitaliste ni pour les plus riches. Son arrivée au pouvoir serait, certes catastrophique pour une bonne partie de la population et elle n’améliorait pas le sort des autres, mais la grande bourgeoisie, elle, pourrait dormir sur ses deux oreilles.

Quel péril y aurait-il pour elle à voir gouverner quelqu’un qui s’oppose à la hausse des salaires ou la taxation des plus aisés ? Même le MEDEF avoue d’ailleurs que l’élection de Le Pen est un « risque nécessaire ».

À l’inverse, s’il était appliqué, un programme comme celui de la NUPES serait un sacré caillou dans les rouages du système néolibéral et un énorme manque à gagner pour les profits des très grands patrons. Pas étonnant, donc, que l’intégralité de la bourgeoisie, du côté des partis politiques, mais aussi des médias, ne cesse de souhaiter que l’on renouvelle encore et encore ce faux duel entre la droite et l’extrême droite.

Quelques sondages pour vous dire comment penser

Comme d’habitude, entre chaque élection les instituts de sondage nous abreuvent d’ailleurs d’enquêtes pour nous expliquer comment penser. Dans ces papiers, le Rassemblement National est bien sûr allégrement surestimé, dépassant les 30 % d’intention de vote. Rien d’exceptionnel, pourtant, puisqu’on retrouvait déjà ce type d’annonce en 2018 ou 2019. On connaît la suite.

Dans le même temps, la gauche est, quant à elle, constamment sous-évaluée et décriée. L’exemple de Jean-Luc Mélenchon, qui était promis à moins de 10 % pendant près de 5 ans et qui était 5 points en dessous de son score final à deux jours du scrutin, est assez parlant.

Des effets d’annonces qui ne se concrétisent bien sûr jamais, mais qui sont suffisants pour influencer le vote et installer dans l’esprit des gens l’idée que Marine Le Pen serait la véritable opposante d’Emmanuel Macron. Dans la réalité, ils ne sont pourtant que les deux faces d’une seule et même pièce, celle du capitalisme.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Emmanuel Macron. Wikicommons. Marine Le Pen. Wikicommons. Montage Mr Mondialisation.

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