Entre les haut-plateaux du Vercors et les vallées de la Drôme, Boris, un berger Français, essaie de se rapprocher de son idéal : mener une vie simple en harmonie avec l’environnement, à l’écart d’une société de consommation dévorante. Mais il arrive que les rêves et la réalité se heurtent. Sorti en salles ce 28 juillet, le documentaire « La Métaphysique du Berger », premier long-métrage de Michaël Bernadat, suit la vie quotidienne de Boris qui expose à la caméra ses questionnements sans filtre : ses doutes, ses réflexions, ses certitudes et ses incertitudes. Mr Mondialisation l’a dégusté pour vous.
Enfant, rien ne préparait Boris à devenir berger. Ce métier, il l’a embrassé pour tenter de vivre selon son idéal de simplicité. C’est au lycée, en découvrant puis étudiant la philosophie à la fac, que son horizon s’est élargi au-delà des frontières de notre société contemporaine. Une société étouffante pour Boris qui aspira dès lors à s’épanouir dans un cadre différent. À aller jusqu’à créer ce dernier. Une remise en cause d’un modèle pour mieux le déconstruire et le reconstruire en se l’appropriant.
Le documentaire « La Métaphysique du Berger » nous offre une fenêtre non seulement sur la vie d’un berger mais surtout sur ses aspirations, sa vision du monde qui le guide dans ses choix de vie. Parce-que malgré sa vie frugale, Boris reste insatisfait, ses convictions le poussant à aller plus loin. Celui-ci a également une famille : une femme et un bébé de trois mois. Il devient dès lors encore plus délicat de concilier sa situation familiale avec ses espérances profondes qui impliquent quelques sacrifices.
La camera, avec tact et sensibilité, parvint à suivre Boris discrètement jusqu’à faire oublier sa présence. Les plans larges dévoilant la beauté des montagnes du Vercors alternent avec des plans resserrés sur Boris en plein travail ou en famille : soin d’une brebis, préparation du repas, coupe du bois, discussion avec sa compagne… Nous sommes projetés à ses côtés.
La seule voix off que le spectateur entendra sera celle de Boris elle-même, aucune tierce personne ne prendra la parole pour apporter un complément d’informations. Parfois, entre deux pensées, Boris nous livre une réflexion philosophique de son cru, où optimisme et doutes se mêlent. L’image se suffit à elle-même pour immerger le spectateur tant dans l’environnement que dans les pensées du berger. Comme Boris le note avec justesse : « On ne peut pas tout exprimer avec des mots ».
De la même manière, la musique est quasi-absente. Les cloches des brebis, les outils qui retentissent, les cris de Boris à ses chiens sont les seules mélodies dont le spectateur a besoin. Elles n’en font que mieux surligner le contraste entre les plateaux où Boris mène son troupeau et « la ville » où il descend régulièrement pour s’approvisionner. D’un coup, les bruits de voitures, de circulation rappellent l’existence de la « civilisation » au loin, de cette société thermo-industrielle que l’on aurait presque oubliée.
Celle dont Boris a justement fuit les contraintes matérielles et la course à la consommation imposée qu’ils ne supportaient plus, comme beaucoup. Plus jeune, il tenta de vivre en autonomie totale, allant jusqu’à renier l’usage de l’argent. Si ce mode de vie lui a convenu un temps, il dût finalement s’en défaire. Par la suite, il rejoignit une communauté autonome où il ne trouva pas sa place. Il la décrit d’ailleurs comme « un camp de vacances pour Beatnicks ».
C’est dans son métier de berger que Boris arrive à se rapprocher de son idéal, que d’aucuns qualifieraient d’utopie : le berger philosophe souhaite pouvoir subvenir à ses besoins, dans le respect de la Nature, en participant à l’équilibre de celle-ci. C’est en cela qu’il ne se retrouve plus dans une société qui nous a éloignés de la terre. Une terre à laquelle l’Homme appartient pourtant, au même titre que tous les animaux.
Mais les progrès scientifiques, technologiques, la vie urbaine… ont fait oublier à l’Homme à quel point il fait partie de cette Nature, et qu’il en est un maillon ni plus ni moins important qu’un autre. Boris estime aussi que notre actuelle société de consommation individualiste nous a fait perdre le sens de la communauté avec ce que cette dernière pouvait compter d’aspects positifs comme négatifs : nous sommes devenus des unités de production pulvérisées et isolées devant une machine capitaliste écrasante.
Tout au long de La Métaphysique du Berger, Boris nous dévoile aussi sa quête d’une certaine spiritualité qui lui est propre. Une opposition entre le matériel et le spirituel qui combat au plus profond de lui. A son désir d’harmonie avec la Nature résonne l’envie d’une harmonie avec son corps. Comme s’il s’y sentait à l’étroit, limité dans ses ressentis, il aimerait s’en échapper pour satisfaire son besoin de se sentir plus proche de ce qui est, pour lui, le « réel ».
Car même en étant berger, en vivant isolé avec son troupeau, la vie ordinaire rattrape tout de même Boris : il lui faut bien se rendre dans la vallée pour acheter le peu de ressources dont il a besoin. Ce simple fait de devoir acheter, d’échanger son argent gagné grâce à son travail de berger, lui cause un mal-être. Par ce lien, Boris se sent toujours attaché au système qu’il rejette. Comme pour beaucoup, le compromis est inévitable.
Boris a songé à devenir agriculteur, pour s’approcher davantage de l’auto-suffisance qu’il vise. Mais il pose également un regard lucide et critique sur les professions d’agriculteur et d’éleveur qui ont du mal à survivre sans aides de l’État. Des métiers qui ont souvent perdu leur sens pour être dévoyés estime-t-il même. « Ils entretiennent le paysage pour que ce soit joli lorsque les touristes viennent. » lâche-t-il, d’un ton où perce son désabusement.
« Malgré le clair de lune, mon cœur s’embrume. Comme suspendu au-dessus d’un océan de vide aux rivages incertains. » Boris
Boris a récupéré des terres auprès d’un paysan et veut continuer à les faire vivre. A les entretenir et les transmettre. Il a commencé un petit élevage de chevaux. Avec sa compagne, ils ont eu un fils. Lorsque Boris redescend des plateaux avec son troupeau à la fin des trois mois d’estivage, il rejoint sa famille qui habite dans une yourte sédentaire en attendant de pouvoir construire sa propre maison. Mais là, un écueil se glisse : entre son envie viscérale de liberté et les désirs de sa famille qu’il ne peut ignorer, Boris devra faire des choix pour concilier au mieux les besoins de tous.
Nombre de doutes et d’incertitudes concernant l’avenir hantent Boris. C’est aussi le prix à payer d’un tel choix de vie, qui plus est, dans un monde incertain. Ce qui lui fait dire, reprenant la formule de Socrate en bon philosophe : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. » Mais l’homme libre laisse aux curieux de nombreuses pistes de réflexions, s’ils se décident à les emprunter.
Retrouvez plus d’informations sur « La Métaphysique du Berger » sur le site et la page facebook de la « La 25e Heure », producteur du documentaire.
S. Barret
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