Au fur et à mesure que les idées néolibérales ont progressé, les services publics se sont largement dégradés. Bien aidés par les médias, nos dirigeants ont ainsi pu privatiser une bonne partie d’entre eux, et ils continuent aujourd’hui de réclamer l’accélération du processus. Pourtant, à de nombreux égards, cette façon de faire n’a pas facilité la vie des gens, bien au contraire.

Bon nombre de secteurs ont été touchés par les ravages des privatisations. Dans le but de faire accepter ce processus, les néolibéraux n’hésitent pas même à saboter la qualité de nos services publics pour arriver à leurs fins. Que ce soit dans les domaines de la santé, du transport, de l’éducation ou encore de l’énergie, le but est le même : générer du profit pour une minorité de privilégiés.

Une politique de riches

Il faut dire que les riches se moquent bien de la qualité des services publics puisqu’ils disposent d’alternatives privées. Si dans les services publics tout le monde est sur un même pied d’égalité, dans le privé, plus on est fortunés, mieux on est lotis.

Un milliardaire se fiche bien des trains défaillants ou des routes qui se dégradent ; il pourra utiliser son propre jet. Source : Flickr

Les hôpitaux sont pleins à craquer ? Et alors ? Un milliardaire n’aura qu’à faire appel à son médecin personnel qui se libérera très rapidement en échange d’un beau chèque. Peu importe également que les moyens des écoles se réduisent comme peau de chagrin. Il pourra de toute façon placer ses enfants dans un établissement privé où ils ne seront certainement pas mélangés avec des petites vermines des milieux prolétaires.

Cette mentalité s’inscrit complètement dans l’idéologie capitaliste et néolibérale pour laquelle il existe un « ordre naturel » dans lequel les riches méritent leur fortune et les pauvres méritent leur misère. Après tout, si les plus démunis ne peuvent pas s’offrir ce qu’ils veulent, c’est sans doute parce qu’ils n’ont pas assez travaillé…

Partant de là, pourquoi alors « ceux qui ont réussi » devraient-ils payer des impôts ? Pourquoi d’ailleurs devraient-ils participer aux cotisations communes comme les retraites et la sécurité sociale ? La suite logique de ce raisonnement ultralibérale est simple : privatisons tous les services publics pour ne plus avoir à débourser quoi que ce soit pour l’État.

Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage

Le problème dans ce plan, c’est que ces satanés pauvres tiennent à leurs services publics, comme le démontrait un sondage de 2017. 90 % des interrogés se disaient ainsi attachés à l’hôpital public, 85 % à la sécurité sociale et 78 % à l’école publique. Selon une autre enquête de 2022, 73 % des Français seraient même globalement satisfaits de ces services.

Manifestation pour la santé, la sécu, le progrès social du 16 juin 2020 à Paris. Crédit photo : Paola Breizh. Source : Flickr

Cette bien fâcheuse tendance a été identifiée par nos dirigeants néolibéraux et leur bras armés : les médias de masse qui défendent une ligne politique similaire. Du matin au soir, on entend toute une série d’arguments décriant la qualité des services publics et de leurs exécutants ainsi que le poids des impôts. Il s’agirait même d’un puits sans fond de dépenses alors que tout va déjà si mal.

Et cette propagande porte ses fruits, puisqu’elle finit par semer la confusion dans l’esprit des Français. Toujours selon le sondage de 2022, 83 % ( !) des interrogés seraient ainsi persuadés qu’il reste possible d’augmenter l’efficacité de nos services publics sans débourser le moindre euro supplémentaire. 40 % pensent même que l’on pourrait faire mieux avec moins d’argent.

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L’école et l’hôpital décimés par une cure d’austérité

On voit bien ici les effets du discours libéral porté de François Hollande à Marine Le Pen en passant par Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy. Et pourtant, dans notre pays, les enseignants, et les soignants hospitaliers sont par exemple moins bien payés que la moyenne de l’OCDE.

De plus, de nombreux domaines de la fonction publique font face à des pénuries de matériels, à une vétusté des bâtiments et surtout à un cruel manque de personnel. Là encore, l’éducation et la santé, deux secteurs cruciaux pour les Français, sont durement touchées.

On peut le constater tous les ans dans les hôpitaux qui sont très fréquemment débordés. La crise ne date d’ailleurs pas d’hier puisque les premiers concernés sonnent l’alerte depuis très longtemps. Fin 2021, la CGT estimait qu’il fallait de toute urgence engager au moins 400 000 soignants pour rendre la situation supportable.

Dans l’éducation, les circonstances ne sont pas plus reluisantes. Le manque d’effectif est tellement important que le ministère en a été réduit à embaucher en job dating.

Le pire c’est que cette pénurie d’enseignants existe dans un contexte ou les classes sont déjà surchargées. En effet, selon la chercheuse canadienne Marie Connolly, le nombre idéal d’élèves par cours serait d’environ 15. Or, la moyenne en France est bien supérieure à ce chiffre. Au collège, elle dépasse par exemple les 25 par professeur.

Pour atteindre cet objectif, embaucher serait donc plus que nécessaire. Mais pour ce faire, il faudrait avant tout rendre la profession plus attractive, notamment en augmentant les salaires.

Manifestation des Accompagnants des élèves en situation de handicap (FNEC FP FO) pour une meilleure rémunération le 19 octobre 2021 à Paris. Source : Flickr

Chantage à la dette et aux impôts

Partant de ces quelques exemples non exhaustifs, il devient compliqué de continuer à affirmer que l’on peut améliorer nos services publics sans augmenter nos impôts. D’autant que de nombreux autres secteurs comme la police, la justice ou l’administration fiscale manquent aussi cruellement de moyens.

Pourtant, nos gouvernants néolibéraux persistent encore et toujours à réduire ces services en usant de plusieurs stratagèmes. Il y a d’abord le traditionnel chantage à la dette : il faut absolument alléger nos dépenses pour s’acquitter de nos emprunts. Et peu importe si elle est impossible à rembourser. Et pour cause, elle s’élevait en 2019 à 2380 milliards d’euros tandis que notre PIB, c’est-à-dire la richesse produite par les Français, constituait alors 2425 milliards. Et évidemment, l’État est très loin de capter l’intégralité de cette richesse. La même année, il avait enregistré 301 milliards de recette contre 397 milliards de dépenses, soit un déficit de 93 milliards.

Y compris en abaissant ces dépenses à zéro (ce qui est bien sûr impossible et absurde), et sans augmenter les impôts, il faudrait, avec ces données et un petit calcul, près de huit ans pour se débarrasser de la dette. Cette chimère du remboursement est en réalité un prétexte pour favoriser les réductions des services publics, la privatisation et donc les intérêts financiers d’une minorité.

Les libéraux ont également une grossière technique pour nous duper concernant les impôts. Il ne faudrait surtout pas les augmenter pour améliorer nos services publics parce que les classes populaires ne pourraient pas le supporter financièrement. Et, de fait, une bonne partie de la population subit effectivement de grosses difficultés pour s’en sortir.

Cependant, décrire « les impôts » comme un seul bloc est d’une malhonnêteté absolue. Comme si l’on ne pouvait que modifier la fiscalité soit pour tout le monde soit pour personne. Dans la réalité, il serait tout à fait possible d’améliorer les recettes de l’État en prélevant massivement les plus riches et sans prendre un euro supplémentaire aux classes populaires. Mieux, si l’augmentation est suffisante, les taxes pourraient devenir plus faibles pour les plus pauvres.

Bien commun contre profit

Évidemment, pénaliser les grandes fortunes ne fait absolument pas partie des plans de la méthode libérale. Et pour cause, les plus riches financent eux-mêmes l’accès au pouvoir de leurs représentants ; elles attendent logiquement des contreparties. L’ouverture de nouvelles parts de marché que représentent les privatisations fait partie intégrante du retour sur investissement.

Pour en arriver là, les coupes budgétaires font office d’armes de destruction massive. Elles ont même l’avantage de constituer un véritable cercle vicieux (pour nous, mais vertueux pour eux). En réduisant les financements, on dégrade les services publics, ce qui permet de réclamer encore plus de diminution des dépenses : on ne va quand même pas payer pour quelque chose qui marche aussi mal !

Le but de tout ce processus est simple : préparer tout le monde à l’idée de la privatisation qui serait tellement plus efficace, moins chère et surtout qui nous soulagerait de nos impôts. Mieux, le privé pourrait même nous libérer de ces paresseux de fonctionnaires et leurs grèves permanentes !

Les étudiants d’AgroParisTech ont lutté pendant plusieurs mois en 2021 contre la privatisation de leur lieu d’études © Lola Keraron pour basta!

Sauf que dans les faits et dans ce que l’on a déjà pu expérimenter, il en est tout autre, en particulier pour les moins riches. Il y a une différence fondamentale entre le public et le privé. Le premier repose sur le principe de collectivité, son but unique est de rendre service à tout le monde. Le second, au contraire, recherche avant tout le profit. Il bénéficie donc en premier lieu à ses instigateurs.

En outre, dès que l’on veut engendrer du profit, on doit nécessairement dépenser plus que dans un système d’État. Le public dispose d’un budget et il l’utilise pour mettre en œuvre un service. Le privé, à l’inverse, doit générer plus d’argent puisqu’il doit à la fois offrir un service, mais en plus dégager des gains. On ne se concentrera alors plus sur la qualité, mais sur la rentabilité.

Le problème c’est que tous les services publics n’ont pas vocation à avoir un budget à l’équilibre, certains coûtent même plus qu’ils ne rapportent. Fondamentalement, une ligne de train qui ne ferait voyager que quelques personnes ou une école qui n’aurait que quelques enfants serait utile, mais pas forcément rentable.

Or, dans le privé, lorsqu’un service n’est pas rentable, on le ferme. On a pu le voir par exemple avec les « cars Macron » censés pallier les défaillances des transports publics. Dans certaines zones, ils ont remplacé le rail, avant de disparaître aussi vite qu’ils sont apparus, faute de bénéfices.

A-t-on besoin de concurrence, partout et tout le temps ?

Évidemment selon le dogme libéral, il est toujours envisageable de faire mieux avec moins. Un mantra de la même trempe que le déni sur la croissance infinie dans un monde limité. On sait tous que cette trajectoire, dans un cas comme dans l’autre, nous conduit droit dans le mur.

Qui dit privatisation de nos services publics dit aussi ouverture à la concurrence. Selon la règle du marché, les rivaux se tireraient la bourre les uns les autres pour offrir encore plus de qualité le moins cher possible, tandis que les méchants monopoles publics se reposeraient simplement sur leur propre médiocrité.

Dans la réalité, les monopoles ont parfois du bon. Ils évitent par exemple des dépenses publicitaires inutiles. Pourquoi faire sa promotion lorsque l’on n’a aucun concurrent ? En revanche, pour augmenter toujours plus sa rentabilité, il faudra investir dans la communication. Autant d’argent en moins pour développer l’efficacité du service.

En outre, si un monopole est géré démocratiquement, il permet aussi aux citoyens de contrôler les prix du service, ses compétences, ses améliorations potentielles, etc. Un monopole public n’a d’ailleurs de toute façon aucun intérêt à pratiquer des tarifs prohibitifs puisqu’il ne recherche pas le profit

Sa position fait également de lui un géant aux reins solides, capable de résister aux aléas du marché et d’exister au niveau international. Bien mené, il ne peut donc que proposer un service toujours meilleur à un coût juste.

Le désastre des privatisations

À l’inverse, les exemples de privations désastreuses sont légion. Il faut dire que depuis l’avènement du néolibéralisme, la France a subi un véritable déferlement, en particulier au cours des années 90.

Les effectifs des sociétés détenues par l’État se sont d’ailleurs complètement effondrés. On est ainsi passés de 2,3 millions d’employés par la France en 1984 à seulement 783 000, fin 2019. De ce fait, un peu plus de 10 % des salariés travaillaient pour les collectivités autrefois contre uniquement 3,1 % de nos jours.

Et parmi les entreprises soldées par nos gouvernements successifs, on trouve de très gros poissons, comme TF1, la Société Générale, Suez, Renault, Total, Air France, le crédit lyonnais, France Télécom, GDF, la FDJ et une bonne partie de nos autoroutes. Et on peut encore s’estimer « heureux » que les diverses crises (gilets jaunes, covid-19…) aient (pour l’instant) mis un grand coup de frein à Emmanuel Macron sur ce sujet.

Péage du Pont de Normandie, France. Source : Flickr

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces opérations ont très souvent conduit au désastre. Les fleurons industriels du pays ont d’abord été dépecés par les entreprises privées, à grand coup de délocalisations. Quant aux services publics confiés au privé, ils se sont inévitablement dégradés. On pense tout particulièrement au cas emblématique des autoroutes avec des tarifs qui ont explosé. Mais on l’a aussi constaté sur l’ouverture à la concurrence dans le secteur de l’énergie.

Au Royaume-Uni, la privatisation du rail avait également été un désastre absolu : dégradation des voies et de l’efficacité, prix qui flambent… La situation était devenue si critique que les autorités avaient décidé d’entamer un processus de renationalisation en 2018. Une leçon qui n’a pas l’air de faire écho dans la tête d’Emmanuel Macron, puisque tout indique sa volonté de privatiser entièrement le chemin de fer en France. Une idée catastrophique lorsque l’on sait à quel point la mobilité est enjeu crucial pour la planète.

Et si l’on faisait passer le bien commun avant tout ?

Au fond, ce qui devrait primer dans le choix de ce qui devrait être privé ou public, c’est sans doute l’aspiration au bien commun. Or, comme nous l’avons vu précédemment, il ne peut être compatible avec la recherche du profit financier. Reste à trancher sur les secteurs concernés.

On peut d’abord penser à ce qui est nécessaire à une vie digne. En premier lieu, on songe à l’accès à l’eau potable qui est indispensable à notre survie et qui va devenir un enjeu crucial de demain. Cela n’empêche pourtant pas certains grands industriels de vouloir se l’approprier. Le droit à de manger correctement est également une revendication portée par beaucoup d’entre nous. Un collectif réclame d’ailleurs l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation, offrant 150 € de nourriture financée par mois à chacun.

La santé est aussi un secteur qui doit rester sous le giron de l’état. Plusieurs observateurs notent pourtant qu’il ne l’est pas complètement. Réguler la médecine libérale au profit de soignants fonctionnaires pourrait permettre de lutter contre les déserts médicaux. De même, l’assurance maladie pourrait prendre en charge l’intégralité des soins, diminuant le pouvoir des mutuelles privées.

Même problématique dans le domaine de l’éducation où les plus riches sont indéniablement avantagés. La minimisation des écoles privées au profit d’écoles publiques aux pédagogies diversifiées pourrait également faire cesser les privilèges pour une partie de la population ayant fait sécession avec le reste d’entre nous. Les transports et l’énergie sont enfin deux autres sujets fondamentaux pour notre avenir, en particulier parce qu’ils sont liés à la question écologique. Les laisser aux mains d’entreprises privées pourrait engendrer une totale catastrophe.

Par ce processus, c’est bien au système capitaliste et à son mode de fonctionnement individualiste qu’il faut s’attaquer. Évidemment, il est pour cela nécessaire de décentraliser le pouvoir et avoir un véritable débat démocratique sur ce qu’il convient ou non de confier aux forces publiques.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Manifestation pour la santé, la sécu, le progrès social du 16 juin 2020 à Paris. Crédit photo : Paola Breizh. Source : Flickr

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