Comme chaque année au mois de Novembre, nous sommes bombardé.e.s de publicités pour « la journée mondiale de la consommation », véritable avènement de la société capitaliste actuelle. Entre les innombrables emails, panneaux publicitaires et bannières sur internet, il est devenu impossible d’ignorer le Black Friday. Responsable d’une consommation effrénée et donc d’une pollution considérable, ainsi que de maltraitance dans ses centres logistiques, Amazon a indiqué l’an dernier avoir dépassé la barre des 4,8 milliards de dollars de ventes sur ce triste weekend. Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Eclairages.

Les origines de la fête commerciale…

23, 2012, New York ‘ « Black Friday ». AFP PHOTO/Stan HONDA @Diariocritico de Venezuela/Flickr

Le Black Friday est une conséquence directe de Thanksgiving. Le quatrième jeudi de Novembre, les chrétiens américains se rassemblent pour remercier Dieu des bienfaits reçus au cours de l’année, ignorant au passage le génocide colonial qu’ils ont perpétué sur les amérindiens. Or, dans les années 50, les directeurs d’usine aux Etats-Unis ont constaté un taux d’absentéisme record le jour suivant Thanksgiving, la plupart des employés se faisant passer pour malade afin d’avoir un weekend prolongé. Un Black Friday…

Le terme fut repris et popularisé dix ans plus tard par la police, qualifiant le trafic routier de « journée noire » et par les commerçants, confrontés à un pic de consommation ce jour-là… puisque beaucoup d’employés n’allaient pas travailler. Puis les principaux acteurs de la grande distribution ont récupéré cette idée à des fins mercantiles avec des promotions conséquentes et un important matraquage publicitaire. Mais le terme de « Black Friday » a aussi une autre histoire…

 

Le véritable Black Friday

En réalité, cette journée dédiée à la sacrosainte consommation relève d’une réappropriation historique. Plusieurs événements ont été qualifiés ainsi bien avant 1950, à l’image du vendredi 24 septembre 1869 où le cours de l’or a dévissé au point d’engendrer un crash boursier impactant fortement l’économie américaine.

Mais la date qui nous intéresse est celle du vendredi 18 Novembre 1910. Sept ans auparavant, l’Union Politique et Sociale des Femmes (Women’s Social and Political Union) voit le jour au Royaume-Uni afin de faire valoir les droits des femmes, à commencer par celui de voter. A partir de 1905, le mouvement s’engage dans l’action directe et perturbe les meetings politiques dans le but de faire valoir leurs revendications.

Les médias de l’époque qualifient alors ces femmes de Suffragettes. Le mouvement prend de l’ampleur et diversifie son mode opératoire, décidant de cibler directement le Parlement Britannique. Le 18 Novembre 1910, trois cents suffragettes tentent de rentrer dans cette institution de force. La riposte policière est violente, comme en témoigne le rapport de police, faisant état de 119 arrestations, 29 agressions sexuelles et 2 suffragettes décédées des suites de leurs blessures.

« Violents affrontements à Westminster, où de nombreuses Suffragettes furent interpellées en essayant de forcer l’entrée du Parlement » titre le Daily Mirror, le 19 Novembre 1910.

Le lendemain, l’événement est largement relayé par les quotidiens nationaux, à l’image de la couverture du Daily Mirror, montrant une suffragette, à terre, se faisant matraquer par un policier. Ce fait divers, qualifié de Black Friday, crée une polémique nationale, forçant Winston Churchill à abandonner toutes les charges retenues contre les manifestantes.

Si le Black Friday contemporain qui perdure années après années au sein de nos sociétés consuméristes est loin du compte, il charrie également son lot d’injustices.

 

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L’impact écologique et social de ce simple weekend…

La plupart des employé.e.s d’Amazon travaillent entre douze et seize heures par jour durant la période du Black Friday. Bien que cela permette à des personnes à faibles revenus d’acquérir des biens à moindre prix, cet événement encourage la surconsommation et incite les gens à acheter des objets dont iels n’ont ni besoin ni l’envie a priori.

Sous prétextes de promotions, les client.e.s sont moins enclins à s’interroger sur les conditions de travail déplorables dans les centres de manutention d’Amazon, pour ne citer qu’eux. « Les manageurs ne nous perçoivent pas comme des éléments contributeurs du succès de l’entreprise et ignorent nos blessures au travail. En réalité, ils nous traitent comme des parties jetables. » témoigne un employé anonyme pour le Gardian.

Pire, le Black Friday reflète un problème social plus profond : cette recherche perpétuelle d’achats pour les uns et de profits pour les autres sous-entend que la véritable valeur d’une personne n’est pas basée sur ses capacités, comme sa gentillesse ou son rapport à autrui, mais des biens qu’elle accumule. J’achète donc je suis. Et ce besoin de croissance infinie dont se nourrit le capitalisme est non seulement destructeur humainement pour l’individu, mais aussi pour la planète, comme le montre ces chiffres ahurissants.

Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?

Prendre conscience de l’ampleur du problème est primordial mais pas suffisant. Heureusement, des solutions existent. Vivre dans une société orientée sur la consommation ne signifie pas que nous sommes obligé.e.s de céder aux chants des sirènes et aux injonctions de la publicité.

Le minimalisme est une des approches qui va à contre-courant du Black Friday et de la surconsommation qu’il engendre et représente. Consommer moins mais de manière plus éthique, réparer plutôt que de jeter, acheter d’occasion… s’inscrivent ainsi dans cette logique. « Le minimalisme, ce n’est pas se débarrasser de ses affaires mais reprendre le contrôle de sa vie, arrêter de faire ce que l’on me dit de faire et décider réellement ce que je veux faire. » résume Ryan Nicodemus, fondateur du mouvement The Minimalist.

Parallèlement, des initiatives voient le jour. Refusant de prendre part à cette dérive consumériste, de nombreux magasins décident de rester fermer chaque année en signe de contestation. A Lausanne, en 2019, la Grève du Climat et la Grève Féministe organisent un festival anti-consommation, le Black Free Day, dédié au troc et à l’échange, avec concerts gratuits et matchs d’improvisation.

Le même jour, le collectif Extinction Rebellion décide d’organiser son Block Friday, lors duquel des centaines d’activistes ont bloqué les entrées principales de centres commerciaux à Rennes et Fribourg. Depuis 2018, en France et en Belgique, a lieu le Green Friday, journée de sensibilisation dont le but est de promouvoir une consommation responsable et raisonnée et redonner le pouvoir au consommateur.

Enfin, la Radio Télévision Suisse a, quant à elle, décidé de traiter le sujet avec humour, comme le témoigne la vidéo ci-dessous, à prendre au second degré bien sûr.

– Than Urb


Sources :

[1] Amazon says this year’s holiday shopping period has been the biggest in its history, CNBC (01.12.2020)

https://www.cnbc.com/2020/12/01/amazon-announces-black-friday-cyber-monday-2020-results.html

The Popular Story About Black Friday’s Name Is A Myth, dictionary.com

https://www.dictionary.com/e/black-friday/

Black friday History: The Dark True Story Behind The Name, huffpost.com (11.11.2019)

https://www.huffpost.com/entry/black-friday-history-why-is-it-called-black-friday_l_5d951322e4b02911e1154386

Suffragettes and the Black Friday protests: 18 November 1910blog.nationalarchives.gov.uk (18.11.2019)

https://blog.nationalarchives.gov.uk/suffragettes-and-the-black-friday-protests-18-november-1910/

‘They treat us like disposable parts’: An Amazon warehouse worker is waging war on working conditions in a new anonymous newspaper column, Business Insider (21.11.2018)

https://www.businessinsider.in/they-treat-us-like-disposable-parts-an-amazon-warehouse-worker-is-waging-war-on-working-conditions-in-a-new-anonymous-newspaper-column/articleshow/66735665.cms

Green Friday, le Collectif militant anti-Black Friday revient en force pour sa 5ème édition, Communiqué de presse de l’association (27.09.2021)

https://greenfriday.fr/wp-content/uploads/2021/10/Green-Friday-le-collectif-militant-anti-Black-Friday-revient-en-force-pour-sa-5e-edition.pdf

Crédit photo couverture gauche : Une myriade de brésiliens se battent pour obtenir une télévision en promotion à Sao Paulo (Brésil), le 24 Novembre 2017. Photographie : Alex Silva/Estadao Conteudo (AP Images).

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