À Rennes, l’association Bulles Solidaires vient en aide aux personnes précaires et sans domicile en leur fournissant des produits d’hygiène, les moyens de se doucher et des prestations de soins (coiffure, manucure, relaxation). Mais leur action indispensable est aujourd’hui mise en péril car elle va devoir très prochainement quitter le local où elle est établie. Interview de Laure-Anna Galeandro-Diamant, la fondatrice & coordinatrice d’une association dont l’action n’a jamais été aussi importante en ces temps où précarité et inégalités s’accentuent dramatiquement.
Bulles Solidaires est née en 2017, de la volonté de Laure-Anna Galeandro-Diamant, ancienne éducatrice spécialisée, avec comme objectif principal de favoriser l’accès à l’hygiène pour les personnes sans-abri et en situation précaire. Car les produits d’hygiène sont plus rarement donnés lors des collectes solidaires en comparaison de la nourriture et de vêtements.
Rétablir l’estime de soi
Et pourtant, l’hygiène corporelle est un aspect primordial, physiquement et mentalement, ainsi qu’elle le rappelle : « […] On oublie l’importance de l’accès à l’hygiène. Pourtant, l’une des problématiques des personnes sans-abri est de trouver un lieu pour se doucher, laver ses vêtements et accéder aux produits d’hygiène corporelle. Nous considérons qu’il s’agit d’un facteur essentiel pour améliorer l’estime de soi. Cela permet également de reprendre confiance dans ses relations avec sa famille, lors de rendez-vous administratifs ou pour accéder à l’emploi. Par ailleurs, il est important de noter que l’hygiène est un facteur indispensable pour être en bonne santé, éviter les infections, les démangeaisons et certaines maladies. »
Forte d’expériences personnelles en bénévolat, Laure-Anna est partie de zéro, après avoir constaté qu’aucune association ne se concentrait spécifiquement dans l’accès à l’hygiène. De plus, elle a appris que cette problématique était rencontrée même par des associations importantes comme les Restos du Cœur. L’orientation de Bulles Solidaires était toute trouvée devant ce besoin criant. L’association a ainsi réparti son champ d’action autour de plusieurs axes.
En premier lieu, la collecte de produits d’hygiène corporelle (savons, crèmes, protections menstruelles, dentifrice, etc). Elle se fait soit auprès de particuliers grâce à des boîtes de collectes installées dans des commerces, des entreprises, des écoles… Soit directement auprès de structures professionnelles (supermarchés, pharmacies, mais aussi les marques cosmétiques). Puis la distribution des produits à des personnes en situation de précarité, directement dans la rue, lors des maraudes hebdomadaires. Ou par le biais d’associations avec lesquelles Bulles Solidaires est partenaire, ou à l’occasion d’événements de bien-être qu’elle organise avec des professionnels.
L’association dispose aussi d’une « Bulle Mobile », un camping-car réaménagé en salle de bains, qui circule dans les rues de Rennes une fois par semaine pour offrir un espace de douche « comme à la maison » aux personnes sans-abri. Un projet qui a pu voir le jour grâce à un financement participatif sur la plate-forme Les Petites Pierres au moment du premier confinement. Enfin les membres de Bulles Solidaires interviennent en entreprises et en milieu scolaire pour sensibiliser le grand public.
Bulles Solidaires est ouverte à toute personne ayant besoin de ses services sans considération pour l’origine, l’âge, le sexe ou des questions d’ordre politique et religieuse. Toute personne en situation de précarité financière, de logement ou sans domicile peut y trouver soutien et accompagnement. Grâce à la mobilisation de ses membres bénévoles, ce sont plus de 5 000 personnes qui bénéficient d’aide tout au long de l’année.
Entretien avec Laure-Anna Galeandro-Diamant
Mr Mondialisation : Pouvez-vous revenir sur les débuts et l’évolution de Bulles Solidaires depuis 2017 ?
Laure-Anna Galeandro-Diamant : À l’origine on a monté l’association à trois personnes. Puis petit à petit des personnes bénévoles ont rejoint l’aventure grâce au bouche à oreille, par réseau et par la plate-forme France Bénévolat qui permet aux gens cherchant à faire du bénévolat de trouver des missions qui correspondent à leurs envies et disponibilités. De base nous étions tous bénévoles mais depuis 6 mois nous avons pu créer un poste salarié à plein temps, ce qui constitue une étape importante dans la vie d’une association. Une soixantaine de bénévoles font actuellement partie de Bulles Solidaires, plus des stagiaires, et on prévoit de prendre des personnes en service civique.
L’année dernière, nous avons collecté 5 tonnes de produits d’hygiène dont une grosse partie a été donnée à des associations locales qui hébergent des personnes sans-abri. Les travailleurs sociaux et les infirmiers qui y travaillent nous font des retours positifs et peuvent témoigner que notre action est d’une réelle nécessité. L’accès à l’hygiène reste un besoin vital, au delà de l’accès au logement, de l’alimentaire. À la fois pour des questions de santé mais aussi pour des questions d’estime de soi, pour se sentir bien dans sa peau et dans son corps. Avoir accès à ses produits, cela change la vie des personnes.
Grâce à la Bulle Mobile on offre aussi la possibilité de prendre une douche à des personnes qui n’ont pas pu le faire pendant parfois trois semaines, de prendre un café, de se poser, tout en récupérant les produits d’hygiène et qui nous remercie du bien que cela leur apporte. Ce qui est une évidence pour nous – pouvoir nous laver les dents, prendre une douche, avoir du papier toilette – n’est pas évident et accessible à tout le monde.
Mr Mondialisation : Pensiez-vous arriver à ce niveau de développement quand vous avez crée Bulles Solidaires ?
Laure-Anna Galeandro-Diamant : Non pas du tout ! Il n’y avait pas de but particulier, ni d’ambition spécifique. Je ne me disais pas « Dans 5 ans on en sera là, on fera ci et ça ». Je souhaitais juste occuper mes week-ends et faire ce que je pouvais pour changer le monde à mon échelle. D’ailleurs, si on m’avait dit il y a 5 ans que Bulles Solidaires en serait là je ne l’aurais pas forcément cru. Au final j’y consacrai mon temps complet gratuitement et bénévolement, avant même de devenir salariée. C’est devenu mon activité principale.
Mr Mondialisation : Comment se déroule le quotidien de votre association ?
Laure-Anna Galeandro-Diamant : On récupère des produits d’hygiène en échantillons ou grand format par le biais des particuliers et des professionnels grâce à des points de collecte disséminés un peu partout dans la ville et ailleurs en France, mais majoritairement à Rennes. On a fait les choses petit à petit, on ne s’est pas lancé tout de suite à solliciter les marques, on est passé d’abord par les particuliers. Maintenant qu’on a fait nos preuves et a gagné en légitimité, de plus en plus des entreprises nous font confiance et nous contactent pour nous faire des dons de produits parfois par palettes entières.
Bulles Solidaires reçoit une petite subvention publique de la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS). Nous travaillons un maximum avec d’autres associations locales ou nationales : Entourages, Gamelles Pleines, Cœurs Résistants, Utopia 56, la Croix-Rouge, le Secours Catholique, les Restos du Cœur, Emmaüs et bien d’autres. Cela nous parait essentiel, car autant certaines associations travaillent seules de leur côté, autant du nôtre nous considérons que la solidarité doit être collective et nous ne pourrions pas avancer seuls. Entre associations on se file des coups de main, on se prête du matériel, on organise des évènements conjointement avec celles qui touchent le même public, on essaie d’être solidaires entre nous aussi en somme.
Mr Mondialisation : Pouvez-vous nous en dire davantage sur les ateliers de bien-être et de sensibilisation que vous organisez ?
Laure-Anna Galeandro-Diamant : Les ateliers bien-être existent depuis le début, on en propose quand on a le temps. On fait venir des professionnels de la coiffure, de l’esthétique ou du massage qui consacrent leurs compétences bénévolement au service des autres le temps d’un après-midi. Ces évènements sont les plus compliqués à organiser mais ce sont des moments qui sont très appréciés, car cela reste un luxe de pouvoir se les offrir.
Quand on a le temps, on se rend en entreprise, dans des écoles, universités, pour déconstruire les idées reçues sur la vie à la rue, la précarité, les personnes sans-abri. Ce n’est pas que les gens sont méfiants, c’est surtout un besoin d’éducation même chez les adultes. Le plus jeune public auprès duquel nous sommes intervenus c’était en maternelle. Et c’est même plus simple d’intervenir en milieu scolaire car les enfants sont plus ouverts d’esprit même s’ils ont déjà des représentations mentales. A partir du moment où on leur explique la réalité, ils la comprennent et passent à autre chose. Alors que déconstruire les clichés chez les adultes, c’est moins évident. D’où l’intérêt de commencer dès le plus jeune âge.
Par exemple, un cliché tenace, c’est celui des personnes sans-abri qui sont toutes alcooliques. Pourtant si on compte 21% de personnes alcooliques à la rue, c’est seulement 2% de plus que les personnes ayant un domicile, une différence négligeable. Quand on a un logement, c’est juste que l’alcoolisme ne se voit pas, on est ‘caché’ chez soi. Donc ça ne sert à rien de stigmatiser les personnes à la rue pour ça d’autant plus qu’on ne devient pas alcoolique par plaisir, différents paramètres rentrent en compte.
Mr Mondialisation : Comment avez-vous traversé la crise du Covid et maintenant de l’inflation ?
Laure-Anna Galeandro-Diamant : Durant la crise du Covid nous avons du arrêter les ateliers de sensibilisation et les évènements bien-être. Et surtout s’est posée la question de si on allait pouvoir continuer les maraudes ou pas, et dans quelles conditions. C’était vraiment un moment complexe, on a fait ce qu’on a pu mais on a perdu pas mal de bénévoles en route et les magasins étant fermés, les dons de produits d’hygiène ont beaucoup baissé. Heureusement, on a maintenu le cap et on est revenu à la normale.
Maintenant on vit une période de forte inflation. Pour l’instant, on n’en ressent pas l’impact sur la collecte des produits. Par contre on a remarqué une hausse certaine de la précarité. Il y a de plus en plus de personnes dans le besoin et c’est un public très hétérogène – ce qui n’est pas bon signe d’ailleurs – mais il n’y a pas de profil type, c’est vraiment monsieur et madame Tout-le-monde qui sont concernés. Depuis le Covid, on reçoit pas mal de jeunes en plus aussi.
Mr Mondialisation : Et aujourd’hui c’est également l’existence de Bulles Solidaires qui est menacée…
Laure-Anna Galeandro-Diamant : C’est ça, dans quelques semaines nous n’aurons plus de local. Pour l’instant, nous avons la chance d’en avoir un qui nous est prêté par une entreprise rennaise depuis un an et demi. Mais cette entreprise va déménager et comme elle est propriétaire des locaux, nous devons déménager également. Il nous faut trouver une solution sachant que nous ne disposons pas de moyens financiers suffisant pour louer un entrepôt. Et il nous faut au moins une centaine de mètres carrés pour stocker les produits que nous collectons.
Nous avons évidement sollicité la mairie, à plusieurs reprises et régulièrement même depuis cinq ans, mais sans succès jusqu’à présent. Car même si nous avions des locaux, nous savions que ce n’était pas pérenne et là, cela devient urgent. Si on ne trouve pas de solution d’ici juillet nous serons à la rue, ce qui serait cruellement ironique pour une association qui vient en aide aux personnes sans-abri. Depuis cinq ans, on a une super équipe de bénévoles qui donne de on temps en plus de leurs horaires de travail. Ce serait vraiment dommage qu’après toutes ces années de dur labeur, tout ce qu’on a bâti parte en fumée par manque de locaux
L’appel est lancé auprès de toute structure privée ou autorité publique qui pourrait aider Bulles Solidaires à se reloger pour que son activité vitale continue ! Retrouvez Bulles Solidaires : sur son site internet, sur facebook, instagram et twitter.
Nous remercions Laure-Anna, fondatrice & coordinatrice de Bulles Solidaires, pour nous avoir accordé cet entretien.
– S. Barret
Photo de couverture : En maraude. Crédit photo : Bulles Solidaires