Parue le 12 octobre dernier dans la revue scientifique Science Advances, une nouvelle étude estime que près de 2% des engins de la pêche mondiale finissent au fond des océans. Au total, plus de 13 milliards d’hameçons et 16 millions de kilomètres de lignes de pêche sont perdus chaque année par les navires, de quoi faire près de 400 fois le tour de la Terre. Un constat alarmant pour les milliers de vies marines prisent au piège chaque année par les équipements fantômes de la pêche mondiale. 

Tous les jours, environ 4,6 millions de navires de pêche sillonnent les océans à la recherche de leurs prochaines prises. Au total, c’est plus de 170 millions de tonnes de vie marine récoltés chaque année, soit 5 400 kg par seconde. L’Espagne, Taïwan, le Japon, la Corée du Sud et la Chine concentrent à eux seuls plus de 85% des grands chalutiers industriels, de quoi rafler la mise d’une grande partie des trésors aquatiques de notre planète.

Des milliers de vies marines sont prisent au piège chaque année par les équipements fantômes de la pêche mondiale

Cette machinerie grouillante n’est pas sans heurts pour les populations aquatiques. Défaut d’entretien, conditions météorologiques laborieuses, simples erreurs humaines ou dégradations volontaires,… Chaque année, des quantités colossales d’équipements de pêche finissent au fond des océans, entraînant des dégâts considérables pour la vie marine. 

Kelsey Richardson, chercheuse affiliée à l’agence nationale de la recherche australienne (CSIRO) et consultante sur la question de la pollution liée aux outils de pêche pour l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a investigué la question. Avec son équipe, elle a voulu évaluer l’ampleur des pertes d’équipement de pêche à travers le monde.

Plus de 450 pêcheurs interrogés

Les chercheurs ont réalisé une vaste enquête de terrain. En collectant les données sur base des témoignages de plus de 450 pêcheurs provenant de sept pays différents à travers le globe, ils espèrent ainsi dresser le tableau de la pêche mondiale actuelle et de ses pratiques. 

Pour cela, l’équipe de scientifique a sélectionné des pays d’après l’intensité de leur effort de pêche. Ainsi, des pêcheurs d’Indonésie (2e rang mondiale) ont été interviewés, de même que des Etats-Unis (4e rang), l’Islande (19e rang,) le Pérou connu notamment pour les pêches d’anchois (6e rang), l’Islande (19e rang), la Nouvelle-Zélande (40e rang), le Maroc (17e rang) et enfin le Bélize, représentatif de la zone Caraïbéenne. 

Une fois ces témoignages collectés, « nous avons multiplié les taux de perte signalés par les pêcheurs interrogés par les données sur l’effort de pêche mondial et pris en compte les influences de perte d’engins de la taille des navires et des engins en contact avec le fond marin pour estimer les taux mondiaux de perte d’engins de pêche et les quantités totales d’engins perdus chaque année pour le filet maillant, la senne coulissante, le chalut, pêche à la palangre, aux casiers et aux casiers », détaille Kelsey Richardson.

Différentes sortes d’engins de pêche – Crédits : NOAA Fisheries

Certaines faiblesses apparaissent tout de même dans la récolte de données, notamment parce que la Chine constitue aujourd’hui la plus grande flotte de pêche au monde, en particulier dans les hautes mers, et n’apparait pourtant pas directement dans les données récoltées par les scientifiques.

« En revanche, notre extrapolation tient bien compte de l’effort de pêche considérable de ce pays », souligne Kelsey Richardson au Temps. « Mais il est vrai qu’en procédant ainsi nous n’avons pas eu accès à l’ensemble des pêcheries de haute mer ». De plus, l’étude ne se concentre que sur les navires de pêche commerciale, excluant ainsi des calculs la pêche illégale, familiale ou artisanale.

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13 milliards d’hameçons perdus chaque année dans les océans

Publiés le 12 octobre dernier dans la revue scientifique Science Advances, les résultats de son étude sont édifiants : près de 2 % de tous les engins de pêche, comprenant 2 963 km2 de filets maillants, 75 049 km2 de sennes coulissantes, 218 km2 de chaluts, 739 583 km de palangres principales et plus de 25 millions de casiers et de pièges, sont perdus ou abandonnés dans l’océan chaque année. « Ensemble, ces estimations représentent l’examen le plus complet et le plus contemporain des quantités d’engins de pêche abandonnés, perdus ou mis au rebut dans le monde à ce jour », estime la scientifique.

Au delà de la masse totale que ces déchets constituent, ce qui inquiète les chercheurs est surtout le danger que ces équipements fantômes représentent pour la vie aquatique. Pensés pour tuer, ces objets accomplissent encore leur mission funeste parfois des mois voire des années après avoir été abandonnés au fond des océans. « Ce n’est pas tant la masse que cela représente, sans doute 10% du total des plastiques déversés dans les océans, qui pose le plus de problèmes, mais la nature de ces déchets », confirme François Galgani, océanographe et spécialiste des pollutions océaniques à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) de Tahiti au journal suisse Le Temps.

Victimes sans distinction

Ce sont alors des poissons, des baleines, des requins, des dauphins, des tortues ou encore des oiseaux marins parfois protégés qui sont capturés par ces filets ou ces hameçons à la dérive. « Par exemple, avec un déclin de 71 % des populations mondiales de requins et de raies au cours du dernier demi-siècle, les menaces pesant sur les populations de requins peuvent être sérieusement exacerbées par les piqûres d’hameçons à la palangre et les requins s’enchevêtrant dans les filets perdus », estime l’étude.

Un requin marteau pris dans un filet, dans la mer de Cortez (Mexique) — © Mark Conlin/VW PICS/UIG via Getty Image

En outre, ces vies animales sacrifiées posent également un problème de sécurité alimentaire. « Vous attrapez alors aussi tout un tas de poissons mais vous ne les mangez pas. Cela devient un problème de sécurité alimentaire parce que ce sont des protéines qui ne nourrissent pas les gens dans le monde », estime l’auteur de l’étude, notamment pour les régions du monde où la pêche artisanale est nécessaire à la survie biologique et économique de la population.

Les résultats de l’étude permettent à Kelsey Richardson de conclure que les engins de pêche abandonnés, perdus ou mis au rebut sont un contributeur majeur à la pollution des océans, avec des impacts sociaux, économiques et environnementaux considérables, notamment du  fait de l’exacerbation des pressions existantes dues à la surpêche, au déclin des stocks de poissons et au changement climatique.

Recycler et dégrader

Pour lutter contre la présence massive et dangereuse d’équipements de pêche dans les océans, des solutions existent déjà ou sont en phase de développement. Citons notamment le traçage des filets de flotte ou le recyclage des équipements de pêche en plastique, pour en faire par exemple des vêtements ou des montures de lunettes.

Des scientifiques se penchent également sur la création de filets de pêche biodégradables, notamment promue par une directive européenne concernant les matières plastiques dans l’économie circulaire. C’est le cas par exemple de six institutions de recherche et quatre partenaires industriels qui se sont regroupés au sein du projet INdIGO pour assurer le développement et l’adoption d’un nouveau filet biodégradable par les professionnels de la pêche et de l’aquaculture.

– L.A.

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