Soumise à consultation jusqu’au 27 juin, la nouvelle liste des « espèces nuisibles » pouvant être chassées plus facilement suscite déjà une levée de boucliers de la part des associations de défense de l’environnement. Le glissement sémantique discret entamé l’année passée en évoquant désormais les espèces « susceptibles d’occasionner des dégâts » n’améliore pas le sort des animaux.
En vertu du projet d’arrêté ministériel pris pour l’application de l’article R. 427-6 du code de l’environnement qui fixe les dispositions pour la période 2019-2022, renards, belettes, putois et bien d’autres encore ne seront désormais plus considérés comme des espèces « nuisibles », mais comme des espèces « susceptibles d’occasionner des dégâts ». Une nouvelle formulation astucieuse qui change tout pour ces animaux sauvages de nos contrées. Plusieurs millions d’entre eux pourraient être tués à l’issue de cette loi.
Les associations de défense de l’environnement, aussi bien au niveau national que local, voient pourtant les choses d’un tout autre œil et dénoncent un acharnement contre les animaux sauvages qui figurent sur la liste. « Si l’on se fixe aux bilans de piégeage réalisés de 2015 à 2018, ce seraient plus de 2 millions d’animaux sauvages qui pourraient être à nouveau tués, piégés, déterrés d’ici le 30 juin 2022 ! », calcule l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) qui s’inquiète par voie de communiqué à propos du nouveau massacre en perspective.
Des arguments peu convaincants en faveur de la chasse
En effet, la nouvelle appellation permet de mettre légalement en avant les pertes économiques présupposées qui seraient provoquées par ces animaux. Mais ne change rien ou vraiment trop peu aux règles qui les concernent, selon les associations. Dans le détail, les espèces mentionnées peuvent être chassées en dérogation aux règles générales applicables à la chasse. Les périodes de chasse peuvent ainsi être allongées au-delà des dates qui s’étendent en principe, selon les régions, du début de l’automne à la fin du printemps. Par ailleurs, ce même texte permet d’avoir recours à des techniques de chasse pourtant jugées cruelles ou inadaptées, comme le piégeage (qui menace des espèces non ciblées) ou le déterrage, qui est la cause d’un stress extrêmement important pour les bêtes. Les tenants de ces mesures justifient ces dérogations en prétextant les dégâts qui seraient causés aux cultures et/ou le caractère envahissant de l’espèce visée. Ici encore, on place l’économie avant la vie.
Mais les associations de protection des animaux tiennent un autre discours. L’ASPAS souligne ainsi : « Naturellement présentes dans le milieu naturel, ces espèces participent aux équilibres des écosystèmes, et sont bénéfiques aux activités humaines en prédatant d’autres espèces animales ou en disséminant des végétaux. Pour la plupart, elles jouent un rôle de police sanitaire en débarrassant la nature de cadavres d’animaux, évitant ainsi la propagation de maladies. » En d’autres termes, ces animaux permettent de maintenir un l’équilibre naturel nécessaire au fonctionnement régulier des écosystèmes. Mais ce rôle fondamental ne leur est pas politiquement reconnu et n’entre pas dans les calcules des autorités pour juger des prétendues pertes occasionnées. D’ailleurs, aucune expertise ne soutiendrait la loi, expriment les associations.
Pour la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), les listes sont dressées de manière arbitraire et sans aucun suivi indépendant permettant de prouver l’efficacité des abatages. « Aucun élément ne vient démontrer que les destructions massives des dernières années ont effectivement permis de réduire les dégâts économiques. L’impact négatif de ces destructions de grande ampleur n’est jamais évalué non plus. L’argument selon lequel « les dégâts auraient sans doute été pires » en l’absence de régulation n’est pas étayé. Il ne tient pas compte des dynamiques de population des dites espèces, de leurs comportements territoriaux… », déplore-t-elle.
Les estimations financières des pertes sont donc hasardeuses et ne reposent pas sur faits clairement établis. L’association s’interroge ainsi à propos de l’absence de preuve réelle quant à l’efficacité du dispositif et regrette que « le projet d’arrêté maintien[ne] de nombreuses espèces sur les listes alors que les dégâts ne sont pas avérés pour les trois dernières années« .
Concrètement, la chasse va être élargie pour plusieurs espèces. Le geai des chênes pourrait ainsi se trouver chassé dans sept départements, au lieu de 4 auparavant, alors qu’il participe à la dissémination des graines d’arbres. Autre incohérence, relevée cette fois par France Nature Environnement, la présence du putois sur la liste, alors même que l’espèce est classée comme « Quasi menacée » en France en raison de la pression exercée par les activités humaines sur les zones humides. Il semblerait que le dernier rapport mondial sur l’état de la biodiversité, rendu public début mai dernier par « Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques » (IPBES), soit déjà bien loin. Dans cette publication, les scientifiques s’inquiétaient pourtant du déclin rapide et sans précédent à l’échelle humaine de la biodiversité.
Si les autorités comptent bien mettre en place cette loi, il est encore possible de s’exprimer à travers une consultation en ligne pendant quelques jours, jusqu’au 27 juin prochain.