Ce sont trois amis d’enfance, unis par l’amour du sport, qui ont décidé de partir ensemble pour un long voyage alternatif. Un voyage singulier par sa durée (3 ans) et par son mode de transport : le vélo. C’est un choix que celui de la lenteur, que connaissent les cyclo-voyageurs, pour qui l’effort physique est récompensé par la proximité et la sympathie des autochtones. Ils ont accepté de répondre à nos questions sur leur voyage dans le vaste monde.
À rebours des pratiques courantes de voyages organisés au coût environnemental et social désastreux (ce dont Ryanair est le modèle le plus criant), à rebours de ce tourisme de masse où on collectionne les lieux fameux comme on consommerait un produit, ils sont quelques-uns à faire le choix radical d’un mode voyage totalement différent. Un voyage long, lent et qui réclame un effort non négligeable. Siphay Vera, Brian Mathé, Morgan Monchaud, trois français trentenaires, se sont lancé à vélo dans cette démarche active vers autrui, qui s’inscrit dans l’histoire longue des randonnées à contre courant d’un tourisme mondialisé devenu l’un des premiers secteurs économiques au monde et une priorité nationale dans de nombreux pays. Dans le cadre de leur projet Solidream, le trio s’est prêté volontiers au jeu de questions-réponses que nous leur avons proposé.
Pouvez-vous exposer votre projet à nos lecteurs ?
Nous sommes trois amis d’enfance originaires du sud de la France et basés à Port-Camargue, près de Montpellier. Notre groupe se retrouve d’abord autour des sports de glisse : snowboard et windsurf en particulier, même si nous pratiquons aussi d’autres disciplines. Pas du tout cyclistes au départ, nous avons choisi de voyager à vélo pour parcourir le monde pendant 3 ans. C’est un moyen de locomotion économique, écologique et à dimension humaine qui permet à la fois de s’aventurer dans des contrées reculées tout en s’offrant la possibilité d’un contact simple avec les gens. Mais nous avons eu à cœur dans notre projet d’inclure d’autres types d’aventures comme des ascensions de sommets aux États-Unis, de la voile jusqu’en Antarctique ou encore du radeau ! La propension de l’équipe à trouver des moyens originaux pour découvrir le monde fait partie de notre état d’esprit.
Quel fut le moment le plus « incroyable » de votre aventure ?
Il y en a évidemment plus d’un. Mais donnons un exemple parlant : en parcourant les forêts équatoriales le long de la Transamazonienne, une piste longue de 2500 km qui traverse le continent sud-américain, nous avons rencontré des communautés tupi-guaranis, l’ethnie native la plus représentée en Amazonie. Johanna (c’est son prénom portugais), la doyenne, expliquait que, 30 ans auparavant, son village vivait sans cette piste, construite pour inciter à investir le territoire de brousse du Brésil. Elle n’a pas manqué d’y déverser tout ce que le monde occidental produit en masse : les jeunes portaient des jeans et regardaient des clips américains à la télévision et Internet allait bientôt être installé. Johanna avait connu, en une vie, le quotidien fait de traditions ancestrales et l’ère d’Internet. Cette rencontre nous a interpellé sur la vitesse à laquelle le monde change ces dernières décennies. Et là où les technologies auraient pu être un outil intéressant pour s’étonner de la singularité des peuples, elles affadissent le monde en propageant partout la même bouillie standardisée. Les rares moments où on parle de coutumes lointaines, c’est souvent pour nous dire qu’elles sont en train de disparaître. Paradoxal, non ?
Vous avez rencontré de nombreuses personnes sur la route, que retenez vous de ces rencontres ?
Réaliser un tel voyage en équipe force à accepter l’autre dans sa totalité car vivre en permanence dans la proximité est une épreuve de tolérance et de respect qu’on ne nous apprend pas à l’école. C’est un défi en soi, même quand il s’agit d’amis. C’était l’aspect le plus difficile d’un tel périple. Passé ce cap, le reste n’est qu’une démonstration de solidarité en action où on se permet de réaliser des rêves plus grands que soi. Et ceci est valable également dans la rencontre de l’étranger accueillant. Car aborder le monde avec l’état d’esprit du voyageur modeste, c’est être souvent confronté à la ferveur de l’accueil, encore plus étonnamment lors d’une première expérience. Lorsque nous avons voulu descendre le fleuve Yukon au Canada en construisant un radeau par exemple, des locaux ont donné beaucoup d’énergie à la préparation avec nous, simplement interpellés par la folie de l’idée portée par l’équipe. Le Solidream, le rêve qui devient réalité grâce à la solidarité, c’est donc à la fois le fait d’être une équipe solide, mais aussi le voir se réaliser grâce à la bienveillance que l’on rencontre sur le chemin.
Quel conseil donneriez vous à ceux qui veulent tenter une aventure similaire ?
N’hésitez pas ! Ou plutôt, hésitez sainement, sans annihiler le rêve. Par-dessus tout, prévoir absolument chaque aspect n’est pas impératif. On ne part pas « là-bas » en s’en allant d’« ici ». Ces deux concepts sont les extrémités d’un spectre avec beaucoup de nuances et, entre les deux, l’aventure est en route mais la vie continue elle aussi. Bien sûr, planifier, réunir un budget, savoir où on va et ce qu’on compte y faire est important. Mais beaucoup ne sont jamais partis car ils n’avaient pas toutes les clés en main, sans avoir tout le budget espéré par exemple. Plutôt que d’attendre un an de plus pour avoir le bon vélo et risquer de ne pas partir parce qu’on tombe amoureux entre temps (cas rencontré !), mieux vaut y aller maintenant, quitte à trouver des solutions en route. Faire confiance à l’inconnu, à l’imprévisible, c’est un ingrédient de l’esprit d’aventure après tout. Et comme le dit Saint Exupéry : « Ce qui sauve, c’est de faire un pas, c’est toujours le même pas que l’on recommence ».
Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Lisez. Si nous passions plus de temps à lire des livres qu’à rafraîchir des « fils d’actualité », probablement que ça changerait le monde. Inspirez-vous, regardez des documentaires dignes de ce nom. D’ailleurs, maintenant que vous avez lu cet article sur notre histoire, abordez-le avec votre sens critique. Et pour conclure, citons un autre : Pascal Bruckner, dans son essai Le Sanglot de l’homme blanc, élabore une approche de l’ailleurs ni colonialiste ni trop imprégnée du « mythe du bon sauvage ». Il prône une expérience résolument humaine de l’expérience de voyageur sans non plus se mentir sur la réalité de la mondialisation. C’est à lire pou un voyageur ! Il nous éclaire : « Le pire, c’est de rater la merveille par peur ou paresse et de rester claquemuré en soi, dans le provincialisme de son identité ».
Source : Solidream.net / Interview par mrmondialisation.org