Les baleines ingèrent des millions de microparticules de plastique par jour. Voilà ce que conclut une nouvelle étude parue le mardi 1er novembre dans la revue scientifique Nature Communications. Présent en majorité dans les proies que les cétacés chassent d’ordinaire, ce plastique se propage également à travers les différentes chaines alimentaires marines…jusqu’à atteindre nos assiettes dans certains cas. Proposée par l’équipe de recherche de la California State University, cette analyse rappelle une fois encore comment ce dérivé du pétrole a infiltré les moindres recoins de notre quotidien, mais pas seulement !
Sous l’Antrophocène, la vie marine est perturbée par la prolifération rapide de la pollution, qu’elle soit sonore, chimique, biologique…ou plastique. Alors que 5000 milliards de morceaux de plastique flottent déjà dans nos océans, la production de ce dérivé du pétrole ne cesse de croitre et a déjà vingtuplé au cours du dernier demi-siècle.
Déluge de plastique
« La consommation de plastique par la faune, soit directement par ingestion depuis l’environnement, soit indirectement via le transfert trophique des proies, est devenue un phénomène omniprésent depuis que des débris de plastique ont été signalés pour la première fois dans les réseaux trophiques marins il y a près de 50 ans », expliquent la Dr Shirel Kahane-Rapport et son équipe de la California State University.
Dauphins emprisonnés dans des filets, pailles bloquées dans les narines d’une tortue, entrailles pleines de sacs plastique,… Les images d’une vie marine assaillis par les déchets de notre quotidien ont pullulé sur les réseaux sociaux et les médias ces dernières années.
Déjà d’innombrables victimes
Et pour cause, chaque année, les plastiques tuent 1,5 million d’animaux marins. Selon Shirel Kahane-Rapport, au moins 1 500 espèces auraient déjà ingéré du plastique, en particulier des microparticules, « notamment des microplastiques (morceaux de plastique de 0,001 à 5 mm) et des microfibres (morceaux de 0,8 à 0,9 mm avec un diamètre médian de 16,7 µm) ».
Si la surabondance nuisible de plastique dans les océans est aujourd’hui affirmée par le corps scientifique et connue du grand public, certaines questions demeurent toujours sans réponse :
« la voie d’exposition, l’étendue, les effets et la bioaccumulation du plastique ingéré sont sous-étudiés ou inconnus dans la plupart des systèmes naturels », explique la scientifique qui met l’accent sur les baleines, trop peu étudiées à son goût alors qu’il s’agit d’animaux particulièrement exposés.
Les baleines, des animaux surexposés
En effet, leur position dans la chaine alimentaire (prédateur), leur environnement de vie (moyenne profondeur), leur moyen d’alimentation (baleines filtreuses à fanons) et leur base alimentaires (krill, sorte de minuscules crevettes) accentuent les risques d’un régime alimentaire riche en plastique.
Pour pallier ce manque de données, les chercheurs se sont penchés sur l’étude de l’ingestion de microplastiques par les rorquals bleus, communs et à bosse qui se nourrissent de deux types de proies, le krill et le poisson fourrage. Ils espèrent ainsi apporter une clarification des effets chimiques et physiologiques potentiels des microplastiques ingérés par les baleines et autres mégafaunes filtreuses.
10 millions de particules de plastique par jour
Leurs résultats sont éloquents : les baleines pourraient consommer près de 10 millions de particules de plastique par jour, soit plus d’un millard au cours d’une saison d’alimentation de 3 à 4 mois. Les scientifiques estiment ainsi qu’un rorqual bleu consommerait 2,51 à 43,6 kg de microplastiques par jour, même s’ils rappellent que des recherches futures seraient utiles pour « augmenter la précision de ces estimations et analyser la composition chimique des microplastiques ingérés afin de mieux évaluer le risque écotoxicologique des microplastiques pour la mégafaune filtreuse ».
Ces données permettent toutefois déjà de savoir que les baleines se nourrissant de poissons ingèrent 98,5 % de leur charge plastique totale par le biais de leurs proies, tandis que les cétacés se nourrissant de krill avalent probablement plus de 99 % de tout le plastique via leur alimentation.
Une alimentation déjà contaminée
L’idée selon laquelle les baleines consommeraient le plastique directement présent dans l’océan est donc réfutée par l’équipe du Dr Shirel Kahane-Rapport. Si les plus gros animaux du monde sont autant victimes du plastique, c’est parce qu’ils se nourrissent d’organismes eux-mêmes déjà infiltrés par ce composé !
Le krill, sorte de petit crustacé des eaux froides, se nourrit en effet principalement de phytoplancton et constitue un élément fondamental du réseau trophique des écosystèmes marins. Déjà atteint par le plastique, il infiltre tour à tour les estomacs des petits poissons, des plus gros animaux et enfin des super-prédateurs, comme l’orque. La baleine, elle, se nourrit directement de ce petit crustacé.
À travers les chaines alimentaires
Le danger se trouve ainsi principalement dans la réduction de taille des particules de plastiques en circulation au sein des chaines tropiques : « à mesure que les microplastiques deviennent plus petits – la gamme des nanoparticules – leur probabilité d’incorporation et de bioaccumulation dans les tissus corporels augmente », détaillent les scientifiques. « Il existe de plus en plus de preuves que les particules <100 µm peuvent se déplacer dans et à travers la paroi intestinale, se loger dans les tissus corporels et entraîner des impacts physiques au niveau cellulaire ».
Cette étude concerne donc non seulement les baleines, mais les êtres humains indirectement :
« C’est une histoire triste sur les baleines, mais c’est aussi une histoire sur nous », a déclaré le Dr Matthew Savoca, un des chercheurs associé à l’étude, au Guardian. « Qu’il s’agisse de morue, de saumon ou d’autres poissons, les êtres humains mangent les mêmes poissons que les baleines à bosse ».
La santé humaine également en danger
Au delà de la santé de la faune marine, c’est donc aussi la santé humaine qui est exposée à un risque majeur. Récemment, nous vous détaillions les résultats d’une recherche américaine qui révélait la présence de microplastiques dans les tissus pulmonaires de personnes vivantes. Au total, c’est plus de 39 microplastiques, de 12 variétés différentes, qui ont été trouvés dans l’ensemble des régions pulmonaires de onze patients échantillonnés.
Si cette étude publiée le mardi 1er novembre dans la revue scientifique Nature Communications alerte sur l’exposition croissante et dangereuse des grands cétacés aux particules de plastique, elle diffuse également un autre message : la survie et la santé de chaque espèce terrestre est indéniablement liée à celles de ses congénères. Mais ça, l’humanité ne semble pas encore l’avoir compris…
– L. Aendekerk