En France, une nouvelle étiquette environnementale sera affichée sur les produits agricoles et alimentaires d’ici à la fin de l’année 2021. Cette mesure, qui s’inscrit dans le cadre de la loi relative à l’économie circulaire, vise à mieux informer les consommateurs sur l’impact environnemental des produits qu’ils achètent. Si l’intention est infiniment louable sur le fond, un grand nombre d’associations dénoncent aujourd’hui la méthode utilisée pour calculer cet Ecoscore. Dans un communiqué commun, elles déclarent que la base de données sur laquelle repose le calcul est incomplète, car elle ne prend pas en compte l’impact des pesticides ni le bien-être animal. Résultat : ce score pourrait en réalité favoriser une fois de plus l’agriculture industrielle ! Explications.

Greenpeace, Synabio, France Nature Environnement, la Confédération Paysanne, la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB)… De nombreuses associations actives dans la transition agricole et la protection des consommateurs ont réagi à l’institution par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire de l’Ecoscore, pensé sur le modèle du Nutriscore déjà affiché sur les produits alimentaires. Et pour cause, la méthode envisagée pour calculer ce score environnemental n’intègre pas tous les critères de durabilité, et omet de prendre en compte les effets délétères de certaines pratiques agricoles. Dans un communiqué, les associations dénoncent des modes de calculs qui « favorisent de manière aberrante l’agriculture intensive. »

Une base de données incomplète

A ce stade, la méthode envisagée par les autorités repose sur la base de données agricoles Agribalyse, mise au point par les experts de l’Ademe (Agence de l’environnement et la maîtrise de l’énergie) et de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Cette base de données recense 2500 produits alimentaires et 200 produits agricoles bruts, et fournit des indicateurs d’impacts environnementaux, incluant plusieurs étapes intervenant dans la fabrication des produits et prenant en compte certains enjeux environnementaux.

Un grand nombre d’associations ont publié un communiqué commun pour dénoncer la méthode actuelle de calcul de l’Ecoscore.

Le site d’Agribalyse précise toutefois que « selon le contexte d’utilisation, des indicateurs complémentaires doivent venir compléter les indicateurs (ex : indicateurs de biodiversité, bien-être animal, qualité nutritionnelle etc.). » Pourtant, sans s’embarrasser de ces considérations, des acteurs de l’agroalimentaire se sont déjà saisis d’Agribalyse pour communiquer sur une soi-disant excellence environnementale. Les associations dénoncent ainsi une publication prématurée de la base de données qui peut encourager le greenwashing, malgré les critiques soulevées par de nombreux acteurs associatifs et professionnels. Pire, c’est aujourd’hui le futur Ecoscore qui s’empare de cet outil pour calculer l’impact environnemental des aliments.

L’avantage donné aux pratiques intensives

D’après l’Itab (Institut technique de l’agriculture biologique), qui a mené une analyse approfondie de la base de données, « le score d’Agribalyse mesure essentiellement le degré d’intensification des pratiques (rendement des productions végétales, concentration et durée de vie des animaux). » Dans un communiqué, l’organisme pointe les scores défavorables des produits extensifs et bio par rapport aux produits conventionnels et intensifs. L’Itab alerte ainsi sur « les conclusions erronées qui peuvent découler de son utilisation pour l’évaluation environnementale des produits agricoles et l’affichage environnemental des produits alimentaires ».

Suivant la méthodologie de la base de données, l’Ecoscore tel qu’il est expérimenté à ce stade s’appuie principalement sur l’Analyse du Cycle de Vie (ACV), un outil conçu pour noter les produits industriels. Or celui-ci calcule les impacts environnementaux en fonction des rendements, ce qui donne un avantage significatif aux modes de production les plus intensifs. Par exemple, les œufs issus d’élevages en cage, qui impliquent beaucoup d’œufs produits pour peu d’aliments consommés et peu d’espace occupé par les poules, obtiendront un meilleur score que des œufs issus d’élevages en plein air. Cette méthode ne tient donc pas compte de nombreux facteurs comme l’usage de pesticides ou des antibiotiques ni de leurs impacts sur la santé, la qualité des sols, de l’air ou de l’eau. Les bénéfices de l’agriculture biologique ou de l’élevage en plein air sur la biodiversité et le bien-être animal ne sont tout simplement pas intégrés dans les indicateurs. Tout bénéfice pour les élevages industriels.

Suivant la méthode actuelle de calcul, le score des pommes Bio est plus élevé (donc moins bon) que celui des pommes conventionnelles. Source : Itab

Intégrer des indicateurs complémentaires

Concrètement, cela signifie que les pratiques agricoles les plus productives sont mieux notées, quelle que soit leur impact écologique. « En l’état, cette méthodologie met en avant des systèmes agricoles qui sont à l’opposé de ceux qui sont réellement favorables à l’environnement et que nous souhaitons promouvoir ! déclare Cécile Claveirole, Secrétaire nationale de France Nature Environnement. Nous sommes prêts à transmettre nos propositions pour transformer Agribalyse en véritable outil de progrès pour l’environnement, la santé des consommateurs et le monde agricole. Nous espérons pouvoir travailler avec les promoteurs du projet pour avancer. »

Pour corriger les biais de la méthode de l’ACV, les associations souhaitent que le futur Ecoscore intègre plusieurs indicateurs complémentaires afin de documenter à leur juste valeur la durabilité des pratiques agricoles. Leurs conséquences bénéfiques devraient être prises en compte, comme le stockage du carbone ou la protection de la biodiversité par le plantage de haies, par exemple. D’après Didier Perréol, Président du Synabio, « Nous avons besoin de plus de cohérence du côté des politiques publiques sur le contenu et le sens qu’on veut donner à la transition agricole et alimentaire. En l’état, le projet d’Ecoscore brouille les messages de manière très préoccupante. »

Associer davantage la société civile

Du côté du gouvernement, le discours se veut rassurant. Contacté par le quotidien Reporterre, le Ministère de la Transition Ecologique explique que « l’Ademe et l’Inrae précisent bien que ces données ne rendent pas compte du bénéfice des pratiques culturales ou d’élevage extensives. » Les limites de la méthode semblent donc bien connues du ministère, qui rappelle que celle-ci relève d’une expérimentation en cours qui vise justement à améliorer le mode de calcul dans le but de favoriser « les produits issus de modèles bénéfiques pour l’environnement soutenus dans le cadre des politiques publiques actuelles, notamment le label bio et les élevages extensifs ».

A ce stade, l’Ecoscore favorise les exploitations intensives au détriment des pratiques agricoles extensives pourtant plus vertueuses. Pixabay

Si tout le monde semble donc s’accorder sur le fait que L’ACV ne peut donc pas constituer à elle-seule une méthode pour juger de l’impact environnemental d’un aliment, les associations appellent à plus de clarté et déclarent rester vigilantes quant à la définition des indicateurs. Elles plaident également pour associer plus étroitement la société civile et acteurs de terrain aux travaux de l’Ademe. Au final, la méthode retenue ne sera connue qu’à la fin du processus d’expérimentation prévu en octobre 2021. C’est donc maintenant qu’il faut faire pression pour améliorer le système. En attendant, les associations demandent aux ministres de la Transition Ecologique Barbara Pompili et de l’agriculture Julien Denormandie le retrait des données trompeuses d’Agribalyse. Elles demandent également le report du calendrier de l’Ecoscore afin que la méthode soit complétée et si besoin repensée pour mettre en valeur les pratiques les plus vertueuses et non celles qui correspondent le mieux au modèle agricole productiviste tel que nous le connaissons.

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Raphaël D.

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