Triste nouvelle pour l’éléphante Happy qui ne sera finalement pas libérée du zoo du Bronx, malgré des conditions de détention qui ne garantissent manifestement pas son intégrité physique et morale. En effet, la décision de la Cour d’Appel de l’État de New York lui a refusé l’application du concept d’habeas corpus, par le biais de la reconnaissance de la personnalité juridique, ce principe légal étant uniquement destiné aux être humains. Cette décision rappelle une nouvelle fois l’importance de la reconnaissance de droits au reste du vivant afin de garantir la sauvegarde des écosystèmes et de la biodiversité.

Née à l’état sauvage en 1971, Happy, une éléphante d’Asie de 51 ans, a été capturée alors qu’elle n’était encore qu’un bébé, avec six autres éléphanteaux de son troupeau. En 1977, elle intègre le zoo du Bronx, dans lequel elle vivra une vie de bête de foire loin de ses contrées natales et de sa famille.

En effet, dans les années 80, Happy fut contrainte d’exécuter des balades et toutes sortes de tours traumatisants afin d’amuser les visiteurs du parc zoologique. Animal hautement social, intelligent, et extrêmement complexe sur le plan cognitif, Happy est isolée depuis presque vingt ans dans un enclos distinct du reste des éléphants, avec lesquels elle n’a de contact qu’à travers les barrières qui les séparent.

En 2005, Happy fut le premier éléphant à réussir un test d’auto-reconnaissance dans un miroir, attestant de son intelligence et de sa conscience de soi.

Compte tenu de l’ensemble de ces traitements qui indiquent le peu de considération pour son bien-être, l’ONG Nonhuman Rights Project (NhRP), a lancé en 2018 une campagne pour introduire Happy dans un sanctuaire, et ainsi lui donner l’opportunité de rencontrer et de vivre aux côtés de ses semblables, et d’enfin retrouver sa liberté et le droit au respect de son intégrité physique et morale.

Octroi de la personnalité juridique

Après l’échec d’une première requête intentée en 2018, NhRP a déposé une nouvelle requête auprès de la Cour d’Appel de New-York réitérant la demande de reconnaissance de la personnalité juridique d’Happy afin de la libérer du zoo du Bronx sur base du principe de l’habeas corpus, concept juridique qui permet de contester la légalité et le caractère arbitraire d’une détention ou d’un emprisonnement.

Selon l’organisation maintenir en isolement des éléphants dans des infrastructures bordées de cages, qui font à peine deux fois la longueur des animaux, participe au développement de maladies chroniques physiques telles que l’arthrite, l’ostéoarthrite ou encore l’ostéomyélite, ainsi de grave souffrances psychiques et mentales, pouvant se traduire par de l’agressivité ou de sévères épisodes de dépression.

Happy au zoo du Bronx – Flickr

NhRP insiste pour que la dignité et l’intégrité d’Happy soit garantie, et qu’elle reçoive dès lors des droits fondamentaux similaires à ceux habituellement réservés aux êtres humains.

Sans surprise, le directeur du zoo, Jim Breheny, s’est fermement opposé à cette requête. Il a notamment dénoncé une campagne manipulatrice à travers laquelle l’ONG se servirait d’Happy pour créer un précédent légal qui se verrait ensuite opposer à de nombreux parcs zoologiques, sans réellement se soucier de sa santé physique et mentale.

Alors que le zoo du Bronx respecte l’ensemble des lois fédérales et de l’État de New-York applicables aux zoos et aquariums, Jim Breheny questionne la réelle capacité des sanctuaires pour éléphants à fournir des soins de santé et une meilleure condition de vie sur le long terme à ses résidents par rapport à ce que son établissement peut offrir.

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Face à ces invectives, il est bon de rappeler que le zoo du Bronx a décroché la triste médaille d’or du pire zoo au monde pour les éléphants, refusant continuellement de placer le bien-être de ses éléphants par rapport à ses intérêts économiques personnels.

Triste victoire du zoo du Bronx

« Bien que personne ne conteste que les éléphants soient des êtres intelligents méritant des soins appropriés et de la compassion, l’habeas corpus est destiné à protéger la liberté fondamentale des êtres humains, et ne s’applique dès lors pas à un animal », a déclaré la juge Janet DiFiore dans une décision votée à 5 contre 2, confirmant le jugement d’une juridiction inférieur.

Dans son prononcé, la majorité ajoute également que « la contestation de l’enfermement d’Happy aurait un impact déstabilisant énorme sur l’ensemble de la société moderne. Lui accorder le statut de personne juridique affecterait la façon dont les humains interagissent avec les animaux, et pourrait remettre en question les prémisses mêmes qui sous-tendent la possession d’animaux de compagnie, l’utilisation d’assistance, et l’enrôlement d’animaux dans d’autres formes de travail ».

Les juges Rowan Wilson et Jenny Rivera se sont toutefois dissociés de la majorité, et ont rappelé que le fait qu’Happy soit un animal ne l’empêche pas d’avoir des droits fondamentaux. « Détenue dans un environnement qui n’est pas naturel et ne lui permet pas de vivre sa vie dignement, cette captivité est intrinsèquement injuste et inhumaine. C’est un affront à une société civilisée, et chaque jour où elle reste captive au nom de ce spectacle pour les humains, nous sommes, nous aussi, diminués », a notamment écrit Rivera.

Le combat de NhRP pour libérer Happy et lui offrir des jours meilleurs n’est pas terminé. Au lendemain de la décision, les deux voix dissidentes ayant sévèrement critiqués la majorité, l’organisation a déposé une motion pour réinterroger la décision. Si la motion est acceptée, la Cour pourra alors ordonner une nouvelle audience et prononcera une nouvelle décision dans laquelle elle annulera ou clarifiera sa décision antérieure.

Timide avancée du droit des animaux

Cette affaire s’inscrit dans la lignée du mouvement des droits de la Nature qui a pour objectif d’opérer une transformation de l’hégémonie néo-libérale et de notre modèle de société anthropocentrée en octroyant des droits fondamentaux aux entités naturelles et êtres vivants non-humains. Autrement dit, ce mouvement remet en question l’absurde et dominante idée selon laquelle l’être humain serait supérieur au reste du vivant.

Une nouvelle conceptualisation de nos paysages juridiques dans laquelle nous retrouverions notre juste place au sein de la communauté du vivant, dont nous dépendons intrinsèquement, est désormais fondamentale, pour d’une part assurer la sauvegarde des écosystèmes et de la biodiversité, et d’autre part apporter une réponse juste et durable à la crise climatique et écologique.

Bien que la libération d’Happy et le respect de son intégrité physique et morale se sont aujourd’hui soldés d’un échec, les dissidences au sein de la Cour attestent de la reconnaissance croissante de la nécessité d’établir un modèle alternatif de société éco-centré dans lequel l’ensemble des communautés de vie, humaines et non-humaines, s’articulent dans un contexte global.

Selon les juges dissidents, la réponse de la majorité est un raisonnement classique à quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant, s’inscrivant à l’encontre de tout progrès, et donc à l’histoire du droit. Par ailleurs, les être humains étant eux aussi des animaux, la juge Rivera a souligné une incohérence dans la motivation de la majorité qui a négligé d’apporter une justification à l’unique application du principe d’habeas corpus à une seule espèce animale, à savoir l’être humain.

Ces seuls mots et réflexions sont encourageants pour l’avenir des droits fondamentaux des animaux non-humains.

W.D.

 

 

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