L’écologie est profondément politique, n’en déplaise à Hugo Clément. Celui qui assure faire du « journalisme d’enquête, pas d’opinion », refuse pourtant d’assumer la dimension politique de ses prises de position, y compris dans un contexte d’extrême-droitisation de la société. Qu’est-ce que ses prises de position veulent en réalité dire de notre démocratie et de l’écologie ?
Tout démarre le 10 juillet 2024, lorsque Hugo Clément décide de partager publiquement son analyse des résultats des élections législatives. Un texte long de quelques paragraphes, divisé en 5 points, publié sur sa page Facebook.
Il y explique, à juste titre, que le Rassemblement National (RN) ressort parmi les gagnants de ces élections, sans pour autant en éluder les causes politiques et médiatiques, sans s’inquiéter de la diffusion de la haine des autres. Le second enseignement, d’après Hugo Clément, est celui de l’illégitimité à gouverner du Nouveau Front Populaire (NFP), qui n’aurait pas assez de députés pour appliquer son programme.
Cette analyse politique, basée uniquement sur des résultats électoraux, masque, en réalité, des enjeux démocratiques cruciaux.
Le terme de « démocratie » galvaudé
Dans chaque camp politique et dans de nombreuses analyses politiques, la « démocratie » est invoquée pour évaluer la légitimité ou non d’un parti de gouverner. Il est temps de faire un point sur ce qu’est vraiment la « démocratie », à l’heure où le fantasme médiatique se donne à cœur joie d’extrapoler chaque mouvement de Jean-Luc Mélenchon en pratique autoritaire.
Depuis un moment déjà, l’absence de démocratie est criante dans la démocratie représentative actuelle : thèmes et personnages politiques imposés dans l’espace public par les médias mainstream et les plus riches, limitation de l’offre électorale aux partis les plus puissants, taux d’abstention élevés, pouvoir des citoyens extrêmement limité par la seule désignation d’élu.es, aucun contrôle citoyen sur les prises de décisions impopulaires de ces mêmes élu.es, répression policière contre les mouvements de contestation sociale, etc.
Difficile également de défendre le bilan démocratique de la précédente gouvernance sous majorité relative du groupe Ensemble, avec ses nombreux passages en force avec notamment 23 recours au 49.3 par Elisabeth Borne.
Or, la démocratie se définit comme un « régime politique, système de gouvernement dans lequel le pouvoir est exercé par le peuple, par l’ensemble des citoyens ». Nous en sommes donc très loin.
Déjà que la démocratie représentative ne donne pas le pouvoir au peuple, insistons et rappelons à quel point la réforme des retraites est un déni de démocratie, appliquée contre l’avis de l’Assemblée nationale et des Français (70% d’entre eux soutenaient le mouvement contre la réforme, selon un sondage Harris Interactive publié le 27 mars 2023).
La démocratie est une manière de gouverner
Allons plus loin dans le raisonnement : le CNRTL définit la démocratie politique comme une « doctrine selon laquelle l’État doit permettre l’exercice de la liberté des citoyens », un « mode d’existence collective, où les mêmes avantages sont accordés à tous » ou encore un « mode de vie où s’exerce la responsabilité collective ».
Au-delà d’être arrivé en tête aux dernières élections, c’est surtout le programme du NFP qui est le plus démocratique, bien qu’encore léger, parmi les grandes forces politiques du pays. Ensemble et surtout le RN proposent en effet une vision de renforcement des inégalités sociales, des avantages fiscaux accordés aux plus riches, et enfin, l’exclusion et l’incrimination des publics racisés et autres minorités.
L’autre immense déni de démocratie est la répression des mouvements sociaux. D’autant plus quand ceux-ci militent pour la justice sociale, par exemple pour une juste distribution de bien commun de l’eau, tel que le défendent les Soulèvements de la Terre dans la lutte contre les projets agro-industriels tels que les méga-bassines. La violence policière suivie de la menace de dissolution par Gérald Darmanin visent à faire taire la contestation sur la forme, à protéger les intérêts des dominants sur le fond.
Sans surprise, la qualification du mouvement d’« écoterroriste » par le ministre de l’Intérieur fût très appréciée du RN. À l’inverse, des élus de gauche était présents à Sainte Soline, y compris pour protéger des militants blessés.
Mouvement de panique. Les députés insoumis et EELV se sont positionnés en cordon de protection devant les blessés qui n’étaient pas en état d’être transportés, pensant que les écharpes les protégeraient. pic.twitter.com/fEN1D9Mhmj
— Clémence Guetté (@Clemence_Guette) March 25, 2023
La démocratie, ce n’est donc pas accepter chaque résultat électoral comme motif pour accorder les pleins pouvoirs à un individu ou un groupe d’individus, afin de l’exercer de manière autoritaire, contre l’intérêt général des Français. La démocratie est avant tout une manière d’exercer le pouvoir, où l’État est au service des citoyens, des droits humains et des valeurs fondamentales de la République : la liberté, l’égalité et la fraternité.
Et il semblerait que les Français aspirent à plus de justice sociale. Le programme de l’Avenir En Commun qui a mené Jean-Luc Mélenchon aux portes du pouvoir en 2022, comporte une grande majorité de mesures plébiscitées par les Français. Le premier argument en faveur du respect de la démocratie ne réside pas seulement dans les résultats électoraux, mais avant tout dans l’application d’un programme qui réponde aux besoins des Français sans distinction sociale, ethnique ou autre.
Hugo Clément, une position problématique vis-à-vis du RN
Revenons-en à l’analyse de Hugo Clément considérant le NFP comme étant dans l’incapacité d’appliquer son programme et donc de gouverner. Un scénario effectivement à craindre, mais quelle alternative propose-t-il ? Il incite tous les partis – sans exception – à se réunir, « à travailler ensemble », « pour notre intérêt et celui de tous les vivants ». À savoir travailler avec les champions de l’inaction climatique (la Macronie) et les climato-sceptiques du RN. Et quand bien même ils décidaient d’agir pour le climat, cela se ferait au détriment des publics déjà opprimés.
— Fsociété (@fsociete_fr) July 14, 2024
Hugo Clément propose ainsi de former un « gouvernement d’unité nationale », qui regrouperait « toutes les sensibilités », y compris le RN. Tous les partis devraient donc gouverner ensemble selon lui, sur la base de quel programme ? Le souci démocratique est bien là : si le NFP ne gouverne pas, aucun programme voté par des électeurs ne sera mis en application. Les alliances post-élections n’ont pas lieu d’être dans une démocratie.
Une formule problématique que l’intéressé a finalement supprimée de son post Facebook. Regrettait-il ces propos ? Visiblement pas, puisque le journaliste a d’abord joué la carte de la « fake news », avant que des preuves ne lui soient apportées.
Malgré l’inquiétude de l’excellent journaliste de l’écologie Bon Pote dans un commentaire sur Instagram : « J’espère vraiment que c’est faux. @hugoclementk peux-tu infirmer stp ? Le RN est un parti raciste et climato-sceptique et ses valeurs n’ont rien à voir avec la défense de l’environnement » ; Hugo Clément continue de refuser de rejeter le RN de tout poste de gouvernance : « Je ne soutiens aucun parti, et je ne combats aucun parti », a-t-il réagi sous cette même publication.
Le plus pernicieux, c’est de se cacher derrière une forme d’apolitisme, après avoir exposé très clairement une opinion politique. « Je précise que je ne suis pas un militant politique […] Ce n’est pas le rôle d’un journaliste […] C’est aux citoyens de se faire leur propre avis en fonction des informations disponibles (et ça, c’est mon boulot, de les rendre disponibles) », se défend-il derrière le mythe de la neutralité journalistique.
Les milieux écolo et de gauche désapprouvent
Heureusement, les prises de position de Hugo Clément ne sont guère appréciées dans le milieu écolo. Outre Bon Pote qui s’offusque que l’on puisse tenter de verdir un parti raciste, Youth For Climate Paris a vivement critiqué le jeune journaliste dans une story Instagram :
« La dédiabolisation de l’extrême droite s’est aussi faite dans les médias “écolos” avec Hugo Clément… Mettre en priorité absolue le réchauffement climatique et la biodiversité au mépris des luttes sociales notamment décoloniales, c’est déconnecté et dangereux. L’écologie doit être antifasciste ou ce n’est pas de l’écologie. »
La militante féministe Irene García Galán, autrice de La terreur féministe. Petit éloge du féminisme extrémiste, s’est également insurgée sur Instagram :
« Je ne sais pas ce qui est pire : laisser entendre qu’être nazi est une “sensibilité” comme une autre, ou penser que la seule menace vitale à laquelle les gens se confrontent c’est le réchauffement climatique. Alors que dans ce pays il y a des gens qui sont tués car racisés, car LGBT, car femme. [Il y a] des gens qui n’ont pas de quoi payer leur courses ni leur toît. »
Même la journaliste Valérie Trierweiler, pas réputée pour être une militante radicale, y est allée de son commentaire ironique : « Tellement compatible avec la défense de l’environnement ! Non mais vraiment ».
Le pouvoir des influenceurs
Le journaliste aux 1,4 millions d’abonnés sur Instagram n’en est pas à sa première polémique, après avoir accepté de participer à une conférence du journal d’extrême-droite Valeurs Actuelles, moyennant un don de 1500 euros pour la Fondation Brigitte Bardot, « puissante organisation en faveur du bien-être animal dont la présidente fut toutefois condamnée à six reprises pour injures racistes » selon l’Express. Enfin, Hugo Clément est accusé de harcèlement raciste et misogyne alors qu’il était étudiant à l’école de journalisme de Lille, par sa consœur et ancienne camarade de classe Nassira El Moaddem.
Hugo Clément n’est pas un simple individu exprimant une opinion devant quelques personnes, c’est un influenceur reconnu pour son charisme et une certaine expertise de l’écologie. Son audience est bien trop importante pour le laisser agir impunément. Il est donc indispensable de comprendre à la fois les mécanismes de la distribution de la parole dans l’espace public, mais aussi savoir comment la contrer.
Dans notre article « la domination bourgeoise est puissante mais pas invincible », nous constations le fait qu’à l’échelle de la société, l’idéal égalitaire de la répartition du temps de parole est irréalisable. D’où l’idée qu’un public d’experts diplômés serait la meilleure solution pour instaurer un système démocratique. Or jusqu’ici les élus et les éditorialistes n’incarnent nullement les intérêts des publics les plus défavorisés, mais ceux de la classe bourgeoise.
Certains médias diffusent leur opinion politique de manière bien plus directe que d’autres (l’empire Bolloré en première ligne). Cela dit, l’influence politique indirecte de Hugo Clément sous couvert d’apolitisme est tout aussi dangereuse. Son statut d’expert de l’écologie, ses enquêtes de qualité et son travail de sensibilisation, sont des travaux qui doivent continuer de nous informer, d’autant plus dans une société qui ignore encore trop largement les conséquences de l’effondrement climatique.
Mais si ce travail ne s’articule pas avec les luttes sociales (antiracistes, contre la pauvreté, féministes, LGBT+ et autres), alors la lutte écologique sera opportunément récupérée par les dominants pour accentuer leur domination sur les publics déjà opprimés, y compris voire en premier lieu le prolétariat.
En d’autres termes, « l’écologie sans justice sociale et sans décolonisation, c’est du jardinage » (@aurelie_ly), mais c’est aussi et surtout un marche-pied pour les partis politiques les plus intolérants.
Le droit à l’erreur ?
S’il peut être naïf d’y croire encore, il serait précieux qu’Hugo Clément s’informe sur ces enjeux sociaux, et adapte son discours en conséquence. Chacun a le droit de se tromper, de faire des erreurs, le tout est de savoir les reconnaître.
Il doit surement y avoir de la bonté dans ses intentions, une volonté sincère de sensibiliser un large public à l’écologie. Mais il faudrait réfléchir à deux fois avant de jouer avec le racisme, et s’informer sur la manière dont il se propage. Son influence est grande, il serait profitable qu’elle ne fasse pas de mal. Il serait peut être judicieux de dialoguer avec l’ensemble des écologistes avant de s’aventurer dans des stratégies d’influence sur le terrain du RN.
– Benjamin Remtoula (Fsociété)