Déjà gangrenés par une extrême concentration de ses propriétaires, les médias français qui tentent de couvrir les manifestations contre la réforme des retraites font face à une brutalité de plus en plus inquiétante de la part des forces de l’ordre. D’autant plus, lorsqu’ils essaient de montrer les violences policières.

La plupart des journalistes sont pourtant clairement identifiés, certains vont même jusqu’à hurler leur profession en brandissant leur carte de presse. Peu importe pour certains CRS, ces derniers n’hésitent pas à malmener ou matraquer les professionnels de l’information comme n’importe quel autre protestataire se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment.

Inquiétude pour la liberté d’informer

Même si le pouvoir macroniste persiste à faire comme si tout était normal dans la gestion des manifestations, plusieurs voix se sont élevées contre cet excès d’autoritarisme. L’indignation s’est répandue chez la plupart des observateurs, choqués par la répression organisée par l’État français.

L’association Reporters sans frontières s’est ainsi insurgée contre « les nombreuses interpellations arbitraires, agressions et intimidations de la part des forces de l’ordre » envers les reporters qui tentent de couvrir les récents rassemblements. Même la Commission nationale consultative des droits de l’Homme a sonné l’alerte sur une atteinte aux libertés de manifester et de la presse.

LA CNCDH rappelle une décision du Conseil d’État de 2020 : les journalistes « n’ont pas à quitter les lieux lorsqu’un attroupement est dispersé » et n’ont pas « l’obligation d’obéir aux ordres de dispersion » de la police.

Au vu des images observées ces derniers mois, il existe de sérieux doutes sur le soucis des CRS quant à l’identité de ceux qu’ils répriment à coup de matraque. On a ainsi vu toutes sortes de militants se faire frapper sans discernement, qu’il soit menaçant ou non, femmes ou hommes, vieux ou jeunes (et même adolescents), personne n’y a échappé pour peu qu’il se soit trouvé dans le champ d’action des forces de l’ordre.

Intimidations et abus de pouvoir

Dans ce cadre, il n’y avait donc aucune raison que les reporters échappent à la règle. Ceux qui avaient l’outrecuidance de s’approcher d’un peu trop près de l’action recevaient le même châtiment. Depuis plusieurs mois, les témoignages effarants se sont alors multipliés.

On peut d’abord citer le cas d’Angeline Desdevises, plaquée au sol à Rennes le 16 mars par deux CRS alors qu’elle prenait simplement des clichés en étant clairement identifiée comme journaliste.

Deux jours plus tôt, un fonctionnaire de police l’avait traitée de « grosse pute ». Un second lui a asséné : « tu aurais dû rester dans la capote de ton père. »

D’autres ont été molestés, comme le journaliste indépendant Paul Boyer, qui s’est fait fracturer la main et ouvrir le crâne à Paris lors de la manifestation contre la réforme des retraites le 23 mars 2023. C’est aussi ce qui est arrivé à la photographe de Mr Mondialisation, Tiphaine Blot, le 24 avril dernier : frappée par les CRS, elle s’est également fait ouvrir le crâne, tout comme un journaliste lyonnais d’actu.fr le 13 avril.

« Barre-toi de là, fils de pute ! »

Ce qui fait peut-être la différence avec de précédents mouvements, comme celui des Gilets Jaunes, c’est que les journalistes indépendants, qui ne disposent pas forcément de carte de presse (ce qui n’est pas obligatoire pour exercer ce métier, rappelons-le), ne sont plus les seuls à être touchés.

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Valentin Feuillette, journaliste pour le Figaro, en a ainsi fait les frais comme il le raconte dans l’Obs. Alors qu’il voulait simplement accéder aux bureaux de sa rédaction dont la rue était bloquée par les CRS, il s’est avancé vers eux et leur a montré sa carte de presse. Pour toute réponse, l’un des policiers a sorti une bombe lacrymogène avant de lui lancer : « barre-toi de là, fils de pute, si tu crois que tu es avec nous ». Immédiatement après, il lui a aspergé le visage. Amar Taoualit, journaliste pour Loopsider, avait d’ailleurs subi un traitement similaire en marge de la manifestation parisienne du 18 mars.

Rémy Buisine frappé avec l’aval de la Macronie

Le journaliste vedette du média Brut, Rémy Buisine a lui aussi été malmené par la police, et ce à plusieurs reprises. Déjà âprement poussé par les CRS le 21 mars, il a de nouveau été brutalisé lors de la manifestation du premier mai. Touché par une grenade, il a ensuite été chargé et projeté au sol. Après quoi, il a reçu un coup de pied à la tête (heureusement protégée d’un casque) et un coup de matraque.

De son côté, le député macroniste Stéphane Vojettta, bien connu pour ses provocations récurrentes, a commenté ces exactions en assurant que « journaliste est un de ces mots de plus en plus galvaudés pour permettre à ceux qui s’en affublent de justifier tout et n’importe quoi ».

Sous-entendant clairement d’abord que Rémy Buisine ne méritait pas son titre professionnel, il validait de même les violences policières en insinuant que la victime avait simplement récolté les fruits de ses actes. Devant le tollé, il tout de même finit par retirer son message et s’excuser.

Des gardes à vue abusives

Outre les violences et les intimidations verbales, les journalistes ont aussi dû subir des gardes à vue abusive et des sanctions judiciaires complètement injustifiées. Le 17 mars, la reporter pour Le Média, Chloé Gence, est sévèrement interpellée par les CRS qui manquent de l’étouffer par étranglement. Elle sera placée en garde à vue pendant près de 48 h sans aucun motif valable.

Dans un autre contexte, à Sainte-Soline, les CRS ont fait usage de fusils paintball qui laissent des traces invisibles à l’œil nu, mais observables sous une lumière spéciale. Le lendemain, Clément, un journaliste qui couvrait l’évènement et qui semble avoir été aspergé par cette peinture particulière, est mis en garde à vue pour cette raison par les gendarmes. Malgré sa carte de presse, il y restera pendant 28 heures. Des faits qui ne sont pas sans rappeler la mésaventure de Grégoire Souchay, reporter indépendant poursuivi en justice pour avoir suivi une action de militants écologistes en 2021.

Une chose est certaine, les manœuvres récurrentes menées contre les journalistes exposant les méfaits gouvernementaux sont de plus en plus troublantes. Et si, même les médias ne sont plus en capacité d’informer sur ce qu’il se passe lors des mouvements de protestation, on peut vraiment s’inquiéter pour le sort prochain de ceux qui s’opposeront aux politiques de l’État.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Flickr

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