Devant un parterre de journalistes qui ressemblaient plus à un troupeau de courtisans qu’à des professionnels de l’information, Emmanuel Macron s’est livré une nouvelle fois à un interminable discours (2 h 19) donnant une idée de sa ligne politique pour les mois à venir. Décryptage en règles.

Entre mesures réactionnaires, vision dogmatique et mensonges éhontés, le président n’a pas lésiné sur les moyens de redorer son blason. Mr Mondialisation décrypte cet épisode en listant les dix pires déclarations du chef de l’État.

1. « Avoir une France plus forte, c’est assurer l’ordre »

Alors que les thèmes favoris du Rassemblement National semblent de plus en plus à la mode en Macronie, avec en point d’orgue la loi immigration votée en décembre dernier, le fondateur de Renaissance n’a pas manqué de disséminer plusieurs éléments de langages très marqués à droite.

Il a d’abord lancé les hostilités en assurant qu’il œuvrait « pour que la France reste la France ». Une expression particulièrement appréciée par les identitaires qui ont fait du fantasme du « déclin » un sujet majeur de leur communication. La formule avait d’ailleurs été choisie comme slogan par Éric Zemmour pour son affiche de campagne des élections présidentielles.

Emmanuel Macron n’a, en outre, pas hésité à insister sur des notions très chères à la droite, comme l’ordre qu’il juge « aller avec le progrès » et qu’il estime maintenir en « contrôlant nos frontières » (sous-entendant clairement un lien, pourtant infondé, entre désordre et immigration), mais aussi grâce à un « doublement de la présence policière dans nos rues », confirmant la poursuite d’une dérive sécuritaire de plus en plus inquiétante. Il a de même promis de lutter « contre la drogue », et « l’islam radical ».

Non content de reprendre toutes les thématiques de l’extrême droite, il a également mis sur la table plusieurs propositions perçues comme réactionnaires par les observatrices/teurs.

Il a par exemple semblé jeter l’opprobre sur la jeunesse qu’il compte rééduquer grâce à « une instruction civique renforcée », « l’apprentissage de la marseillaise », « la tenue unique » à l’école ou encore un encadrement de l’utilisation des écrans. Il a en outre assuré que « l’autorité va avec l’émancipation ».

Au lieu de se battre contre les rengaines identitaires distillées par Marine Le Pen et les médias traditionnels sur le pays, le chef de l’État, qui se disait pourtant « obligé » par le vote des électeurs de gauche, a donc clairement choisi d’aboyer avec la meute en épousant tous ces sujets.

2. « La France sera plus forte si elle produit davantage »

Évidemment, les éléments de communication néolibéraux ont, eux aussi, eu la part belle lors du discours du chef de l’État. Après avoir osé ressortir l’expression pourtant largement moquée « libérer les énergies » (autrement dit, libérer le Capital de toutes contraintes économico-sociales), il s’est ensuite employé à faire les louanges de la sacro-sainte croissance.

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En s’appuyant malhonnêtement sur la notion de souveraineté industrielle, il a ainsi justifié une production et un consumérisme effréné, évoquant même l’idée de « croissance verte » qui est une contradiction de notoriété publique ne reposant sur aucune espèce de réalité.

Et pour produire toujours plus, le président compte bien mettre « fin aux normes inutiles qui découragent les entrepreneurs ». Sous couvert de plus de libertés et de « bon sens », un argument d’autorité irrationnel, se cachent une casse des droits des salariés et un affaiblissement de la protection de la planète. Personne n’a en effet oublié comment le natif d’Amiens a détricoté le Code du travail ni comment il avait réclamé « une pause » sur les réglementations environnementales européennes.

D’un point écologique, justement, cette invitation à « produire plus » et « aller plus vite » relève sans aucun doute d’une grande irresponsabilité tandis que depuis plus de 50 ans, les scientifiques du monde entier appellent, au contraire, à ralentir.

3. « Des règles plus sévères quand une offre d’emploi est refusée »

Autre marotte de la droite et de l’extrême droite, la chasse aux chômeurs n’a pas non plus été esquivée par le président. Après s’être vanté d’avoir « créé deux millions d’emplois » (un effet d’annonce que Mr Mondialisation avait déjà démenti il y a quelques mois), il a persisté à criminaliser les chômeurs en aspirant à des règles plus sévères à leur égard.

Sous-entendant que ces derniers refuseraient de travailler, ce qui a, là aussi, été réfuté, il a fait comprendre que les individus devaient simplement répondre aux besoins de la machine capitaliste sans tenir compte de leurs propres envies.

Il n’a d’ailleurs pas hésité à expliquer qu’il souhaitait diminuer le taux de chômage, non pas pour améliorer la condition de vies des citoyens, mais plutôt pour « assainir les finances » de l’État. Une énième obsession des conservateurs envers les classes les plus pauvres, surtout destinée à éradiquer nos services publics au profit de privatisations massives et des intérêts privés, pour ne pas dire de leurs privilèges…

4. Relancer la natalité

Toujours dans l’optique d’alimenter le système capitaliste et de permettre aux plus fortunés de continuer de s’enrichir, Emmanuel Macron a également évoqué la relance de la natalité. Une idée, qui là encore, fait partie des obsessions de la droite qui s’effraie de théories farfelues comme celle du grand remplacement.

En insistant sur ce point, le chef de l’état revient à une époque lointaine où les femmes n’étaient considérées que comme des machines à enfanter pour redresser le pays. Et puisque pour courir après l’extrême droite, il a décidé de lutter contre l’immigration, il va bien devoir trouver d’autres bras pour occuper les postes destinés à « produire plus » (et surtout à enrichir davantage le patronat).

Pour y parvenir, il compte remplacer le congé parental (qui pouvait aller jusqu’à 3 ans), par un congé de naissance de 6 mois pour chaque parent, sous prétexte que l’actuel dispositif éloignerait pendant trop longtemps la gent féminine du travail. Si on ne saisit pas bien en quoi cette mesure est censée encourager les citoyens à faire des enfants, on comprend en revanche très bien qu’elle va permettre aux employeurs de récupérer leurs salariés plus rapidement.

Pour finir, le président a pointé du doigt « l’infertilité » comme l’une des raisons majeures de la baisse de la natalité, et il entend engager un grand plan contre ce fléau. Peut-être va-t-il enfin mener des actions d’envergures contre les pesticides, les perturbateurs endocriniens ou la pollution qui semblent être les principaux responsables du phénomène ? Vu les antécédents de ce gouvernement, on est en droit d’en douter…

On peut dans tous les cas rester perplexe quant à la cause invoquée de la réticence des jeunes à se reproduire. Au lieu de penser à l’infertilité, peut-être devrait-il plutôt se pencher sur le désastre environnemental, l’éloignement des services de santé, la dégradation des hôpitaux, ou encore la précarité galopante des ménages… Un climat sans doute peu propice à une volonté d’enfants.

5. « La première des injustices reste celle du déterminisme social et familial »

Dans son discours, Emmanuel Macron a sans doute décroché le pompon de l’hypocrisie lorsqu’il a évoqué l’injustice du déterminisme social. Le chef de l’État s’est ainsi désolé que l’avenir des enfants soit conditionné par leurs origines.

Par là, il a tenté de relancer la fable de la méritocratie, qui est surtout destinée à maintenir les privilégiés dans leur position en assurant qu’ils auraient travaillé pour obtenir leur statut. Il a d’ailleurs une énième fois martelé « croire en l’effort et dans le mérite ».

Or, il y a de quoi rire (jaune) de l’indignation du président sur cette injustice lorsque l’on observe la composition de son propre gouvernement. On peut par exemple citer, Gabriel Attal, fils d’avocat, Bruno Lemaire, fils d’un cadre de chez Total, Catherine Vautrin, fille d’un directeur de société, Amélio Oudéa-Castéra, fille du directeur de Publicis, Marc Fesneau, fils d’un directeur d’association de producteurs agricoles, Aurore Bergé, fille d’un acteur de renom, ou encore Christophe Béchu, fils de médecins…

6. « On a beaucoup fait sur le sujet » des services publics

Comme évoluant dans un monde parallèle, le président a également assuré avoir « beaucoup fait sur le sujet des services publics ». Il a par exemple certifié avoir « massivement investi dans l’école et la santé ».

Or, dans les faits, la situation de ces deux entités ne fait que se dégrader et les investissements sont faméliques. Pour l’hôpital, ils ont, certes, légèrement augmenté, mais l’argent mis sur la table reste dérisoire en comparaison de ce qui devrait régler les problèmes de la filière. On constate par exemple que ces établissements de soins sont toujours déficitaires et que leurs dettes ne cessent de grossir.

En réalité, au lieu d’investissements massifs dans la santé, le gouvernement cherche surtout à désendetter le secteur en réduisant les dépenses. C’est donc une cure d’austérité qui est imposée à un domaine déjà sous-financé.

Comme le rappelle l’Humanité, l’hôpital sera encore soumis à 600 millions d’économies cette année. Dans le même temps, les Français devront faire face à 1,3 milliard de déremboursements de médicaments. Emmanuel Macron a ainsi annoncé le doublement de la franchise sur ces produits. Autrement dit, pour chaque traitement retiré en pharmacie, un euro restera à charge des malades. Un moyen censé soulager les caisses de la sécurité sociale, mais qui est surtout une façon de mettre un peu plus le pied dans la porte d’une privatisation progressive de la santé.

En outre, sera aussi économisé 1,25 milliard par la « responsabilisation » des professionnels et des patients. De ce fait, l’État enjoint fortement les médecins à prescrire moins d’arrêts maladie. De la même manière, depuis 2022, les individus se rendant aux urgences sans être hospitalisés par la suite doivent débourser une somme de 20 euros. Un règlement qui peut inciter des personnes précaires à ne pas aller à l’hôpital et à se mettre en danger.

Pour illustrer la condition des soignants, on peut de plus s’intéresser à leurs salaires, et notamment à celui des infirmières qui sont parmi les moins bien loties d’Europe. Et en plus d’être sous-payées, ces dernières exercent en sous-effectif ; une sur deux quittera d’ailleurs son poste à l’hôpital après dix ans.

À l’école, la situation n’est pas meilleure puisque les enseignants sont aussi abandonnés par l’État. Ainsi, ils sont non seulement moins bien rémunérés que la moyenne européenne, mais ils travaillent avec plus d’élèves à charge.

7. « Les journalistes sont libres de poser n’importe quelle question »

La déclaration ne vient pas directement d’Emmanuel Macron lui-même, mais du président de l’association de la presse présidentielle, qui après le premier discours d’une demi-heure du leader de la majorité, a indiqué laisser la parole aux journalistes de manière libre. Il a même précisé qu’« aucune question n’est jamais soumise en amont au chef de l’État ».

Si, effectivement, le fondateur d’En Marche semblait ignorer les demandes, ce n’était pas le cas de ses attachés de presse. Et comme l’explique une enquête d’Arrêt sur images, ce sont eux qui distribuaient la parole après que les reporters les aient informés de leurs interrogations par SMS.

Sur les 24 questions de cette session, certains médias ont eu la part belle, comme BFM qui a pu en poser trois. D’autres, comme Médiapart et Libération ont de leur côté été boudés par les attachés de presse. Leur point commun ? Avoir récemment révélé des affaires compromettantes sur la nouvelle ministre de l’Éducation Amélie Oudéa-Castéra.

L’exercice était donc bien organisé et planifié. Il est évident que les attachés de presse gardaient un contrôle total sur cette séquence et ont tout fait pour qu’Emmanuel Macron ne soit pas mis en difficulté par quelconque demande. Bien sûr, tous les journalistes ne pouvaient pas prendre la parole dans le temps imparti. Cependant, la responsabilité incombe aussi au président qui délaisse (il s’agissait de sa deuxième fois depuis 2017) largement cet exercice pourtant très fréquent dans d’autres pays.

8. « On a pris des décisions historiques et elles sont les bonnes » en matière d’écologie

Dans la lignée de tous les néolibéraux du monde, Emmanuel Macron a préféré balayer la question écologique, en se murant dans une forme de déni, estimant que son cap devait rester le même.

Pourtant, la France est loin d’être dans les clous dans le domaine puisqu’elle dépasse largement la quantité d’émissions recommandées pour atteindre les objectifs prônés par le GIEC, comme le signalait encore l’an passé le haut conseil pour le climat.

Dans un délire productiviste axé sur la chimérique « croissance verte », le chef de l’État n’a, là encore, pas manqué l’occasion de flatter l’électorat le plus à droite en évoquant à maintes reprises l’énergie nucléaire comme une espèce de solution miracle.

Cependant, si cet argument paraît plaire à droite de l’échiquier politique, c’est aussi sans doute parce qu’il offre une perspective illusoire de pouvoir ne rien changer à nos vies. Dans l’optique libérale, il suffirait de compter sur une technologie moins polluante pour ne pas avoir à ralentir. Or, aucune technologie n’est capable de transformer des ressources finies en ressources infinies. Une réalité que le président semble avoir du mal à admettre.

Pourtant, même la figure ingénieure invoquée pour défendre le nucléaire, à savoir Jean-Marc Jancovici, ne cesse de rappeler que son discours est parfois mal interprété et que le nucléaire ne serait, même dans son analyse, qu’un moindre mal dans le seul et unique contexte d’un ralentissement global. Défendre cette issue énergétique carbocentrée comme un deus ex machina dans un monde dopé à la croissance n’a donc aucun sens et ne servirait qu’à ouvrir davantage les vannes de la consommation mondiale comme l’explique parfaitement le paradoxe de Jevons.

9. Le programme du Rassemblement National : « piqué à l’extrême gauche » 

Dans une énième diatribe où il place l’extrême gauche et l’extrême droite sur un plan identique, Emmanuel Macron a déclaré que le Rassemblement National avait un programme économique semblable à celui de la gauche. Comme l’expliquait Mr Mondialisation, ce confusionnisme est toutefois très dangereux puisqu’il compare deux pôles politiques idéologiquement opposés.

On comprend bien ici que le président tente une nouvelle fois de mettre tous ses adversaires dans le même sac sous le qualificatif censé les discréditer « d’extrême ». Et pourtant, lui-même pourrait sans doute entrer dans cette catégorie tant sa vision du libéralisme est dogmatique.

Il faut dire qu’il devient compliqué pour lui de critiquer le RN sur ses réels travers que sont le racisme et les projets antisociaux puisqu’il les pratique lui-même au sein de son propre gouvernement. Pour discréditer le RN, il choisit alors d’attaquer les mesures… de la gauche, en faisant comme s’il proposait la même chose.

Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’il emploie le terme « d’extrême gauche » qui permet de faire un pont simpliste avec « l’extrême droite ». En effet, par cette formule, on comprend qu’il vise en réalité la NUPES, et notamment la France Insoumise qui n’appartient pourtant pas au courant de l’extrême gauche.

Le plus ironique est que, pour illustrer sa thèse, le chef de l’état utilise deux exemples complètement mensongers : la retraite à 60 ans, et l’augmentation du SMIC. Dans la droite lignée des néolibéraux thatchériens pour qui « il n’y a pas d’alternative », il nous explique donc que ces mesures seraient « impossibles » à mettre en place.

Le problème, c’est que, si ces dispositions sont bien dans les projets de Jean-Luc Mélenchon (et bien financées), elles ne sont en revanche absolument pas présentes dans celui de Marine Le Pen. Cette dernière a, en effet, renoncé à la retraite à 60 ans dans sa précédente campagne, et a toujours été contre l’augmentation du SMIC, sur la base des mêmes arguments aujourd’hui avancés par Emmanuel Macron.

10. « Lutter contre l’immigration clandestine, c’est une réponse » contre le Rassemblement National

Dans la continuité d’un message fort envoyé à l’électorat de l’extrême droite, Emmanuel Macron a évoqué à de nombreuses reprises la thématique de l’immigration, estimant qu’il fallait renforcer les contrôles et lutter contre la clandestinité.

Ainsi, pour combattre l’extrême droite, le chef de l’état ne s’oppose pas à l’idéologie de cette dernière, mais il l’épouse. Pour empêcher les identitaires d’arriver au pouvoir, il serait donc nécessaire d’adopter soi-même leurs obsessions. Un jeu plus que dangereux, puisqu’il permet de valider comme acceptables des thèses racistes et xénophobes.

Mais il s’agit aussi d’une politique complètement inefficace puisque les fervents partisans de cette idéologie préféreront toujours l’original à la copie. On constate d’ailleurs que plus la majorité se droitise et plus le Rassemblement National progresse dans les sondages. Une réalité, qui, là encore, ne semble pas percuter l’esprit du président.

– Simon Verdière


Photo d’entête @Arno Mikkor (EU2017EE)/Flickr

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