Ce mardi 19 décembre, l’Assemblée nationale a voté une nouvelle loi sur l’immigration par 349 voix pour face à 186 contres. Avec l’appui des Républicains et du Rassemblement National, Renaissance a donc fait valider un texte plus dur et ouvertement raciste que jamais sur le sujet, offrant sur un plateau d’argent un tremplin à l’extrême droite. L’heure est grave et tout le monde est concerné : décryptage.

Ce 11 décembre, le gouvernement essuyait une terrible débâcle après l’échec de son projet de loi immigration, entériné par une motion de rejet approuvée par une majorité de députés. Mais au lieu d’accepter cet échec, la Macronie a décidé de repasser par le sénat, puis en commission mixte paritaire (un petit groupe d’élus chargés de retravailler le document), pour faire passer son texte en force.

Ne disposant pas de suffisamment d’élus favorables pour faire approuver son projet initial, la majorité n’a pas hésité à se compromettre en acceptant les propositions très droitières des Républicains, dirigés par Éric Ciotti à peine différentiable d’un membre du Rassemblement National. Et c’est peu dire, puisque c’est précisément ce parti qui sort idéologiquement grand gagnant de cette séquence.

Pourquoi la droite et l’extrême droite sont-ils ravis ?

Le fait qu’une partie significative de parlementaires partisans du gouvernement soit allée jusqu’à refuser de voter ce texte en dit déjà long sur sa nature inhabituelle. Et effectivement, avec ses mesures anti-sociales et anti-républicaines plus hostiles que jamais, de nombreuses digues entre la droite et l’extrême droite ont sauté ce mardi, rassemblant sous Macron toutes les tendances les plus xénophobes et racistes.

De fait, parmi les décisions prises, certaines ont particulièrement marqué les esprits par leur dureté. Dans le texte, on retrouve ainsi pèle-mêle des mesures de préférence nationale, de déchéance de nationalité, ou encore de restrictions du droit du sol et du regroupement familial.

Préférence nationale sur les allocations familiales

Avec cette loi, les étrangers en situation régulière qui ne travailleraient pas devront tenir un délai de carence de cinq ans sur le territoire pour pouvoir accéder aux allocations familiales, à la prestation de compensation du handicap et aux aides personnalisées au logement. Pour les salariés, l’attente sera réduite à deux ans et demi pour les deux premières aides, et à trois mois pour l’APL.

Cette mesure va à l’encontre de toutes les connaissances socio-économiques sur l’immigration. C’est d’abord le meilleur moyen de rendre la situation migratoire encore plus intenable qu’elle ne l’est. En accentuant la précarité de ces personnes, l’Etat aggrave leur errance dans les rues et, ainsi, la détérioration de leur état de santé. Se faisant, en plus des vies directement touchées – les microbes ne connaissant pas les frontières – il met en danger tout le territoire. Et c’est sans compter qu’on ne peut pas s’intégrer, ni travailler, si on ne possède pas le minimum vital. Le cercle est vicieux, marginalisant toujours plus des personnes dont il est paradoxalement attendu qu’elles trouvent leur place dans nos sociétés.

En outre, cette préférence nationale représente une claire remise en cause des droits humains qui transformera des milliers de personnes en sous-citoyens. Elle crée aussi un précédent et ouvre une boîte de Pandore qui n’a pas manqué de ravir Marine Le Pen :

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« Je ne vois pas comment demain les élus de la majorité, président de la République en tête, pourront venir nous reprocher de défendre la priorité nationale, puisqu’ils intègrent l’idée qu’elle peut être appliquée. Ils l’appliquent a minima, mais sur le principe, ce concept est validé. » a déclaré la cheffe de file de l’extrême droite.

Le retour de la déchéance de nationalité

Avec cette loi, un individu à la double nationalité coupable d’un meurtre sur un policier, un gendarme ou un pompier pourra être déchu de son passeport français. Si un tel crime reste évidemment très grave, difficile de comprendre pourquoi une personne binationale devrait écoper d’une sanction plus lourde que quelqu’un avec un seul pays.

On ne peut voir ici autre chose qu’une mesure démagogique, réclamée par l’extrême droite depuis très longtemps, et qui aura en plus le mérite de flatter un corps de métier qui protège l’État des révoltes populaires. Et tant pis si cet article laisse à penser que la vie de ces professionnels aurait plus de valeur que celles d’un enseignant, d’une médecin ou de n’importe quel autre profil.

Le droit du sol bafoué

Utilisé par la France depuis près de cinq siècles, le droit du sol sera partiellement remis en cause par cette loi. Ainsi, un enfant né de parents étrangers sur le territoire français devra « manifester sa volonté » d’acquérir la nationalité entre 16 et 18 ans.

De même, un jeune né en France de parents étrangers ne pourra pas obtenir la nationalité française s’il a été condamné à 6 mois ou plus de prison et ce peu importe le délit. Il n’est pas difficile d’imaginer comment une telle loi pourrait être instrumentalisée à des fins politiques, notamment à l’heure où l’activisme citoyen ou la résistance civile sont de plus en plus criminalisés. À ce titre, l’exemple du militant écologiste Loïc Schneider, persécuté judiciairement est assez parlant.

Des quotas et un débat remis sur la table tous les ans

La droite a bien compris à quel point les multiples disputes sur l’immigration détournaient parfaitement l’attention des gens de sujets plus embarrassantes pour l’élite financière, comme les conditions sociales des classes populaires où la crise environnementale. LR a donc imposé au gouvernement de soumettre tous les ans le parlement à un débat sur l’immigration. Une aubaine pour le RN, comme pour les médias traditionnels et leurs éditocrates.

Elle a aussi accepté que l’État délimite des quotas d’immigrés. Ainsi, chaque année, la France ne devra pas accueillir plus d’un certain nombre d’étrangers sur le territoire. Une mesure qui a cependant peu de chance de passer l’examen du Conseil constitutionnel puisqu’elle viole ouvertement les principes de notre texte suprême.

Des régularisations pour le grand patronat

Pour se défendre d’avoir promulgué une loi d’extrême droite, la majorité, et notamment Gérald Darmanin, a mis en avant une mesure de régularisation de travailleurs sans-papiers. Or, cette mesure n’a absolument rien d’humaniste et servira avant tous les intérêts des grandes entreprises.

En effet, il sera possible de décerner des titres de séjour d’un an pour des travailleurs sans-papiers qui exerceraient dans des « métiers en tension ». Une situation qui les obligerait donc non seulement à travailler peu importe leur état ou leur profil, mais en plus dans des secteurs sélectionnés par le gouvernement lui-même, porté par des intérêts économiques supérieurs. Si jamais ces personnes perdent leur emploi ou souhaitent changer de branche, ils s’exposeraient tout simplement à une expulsion. Une épée de Damoclès que beaucoup, notamment à gauche, qualifient à raison d’esclavage moderne. 

L’accès au séjour encore restreint

Par ailleurs, plutôt que régulariser les travailleurs sans-papiers pour lutter contre le dumping social, ou moins-disant social, le texte rendra encore plus difficile l’obtention d’un titre de séjour et mettra un frein au regroupement familial.

Il sera ainsi demandé de « respecter » les « valeurs et principes de la République ». Personne ne sait pour l’heure ce que cela peut signifier concrètement, mais venant de dirigeants qui piétinent eux-mêmes continuellement notre devise « liberté, égalité, fraternité », il y a sans doute clairement de quoi s’inquiéter.

En outre, les étudiants étrangers extra-européens seront une nouvelle fois violemment attaqués par cette loi. Lors de la précédente mandature, ils avaient déjà vu leurs frais d’inscription multipliés par dix. Là encore, ce texte les obligera à verser une caution à l’État qui permettra de couvrir le coût d’une expulsion en cas de violation de leur titre de séjour. Le message est clair, les étudiants pauvres ne sont définitivement plus les bienvenus en France.

Bientôt au tour de l’Aide médicale d’État

La suppression de l’AME, destinée à soigner les personnes en situation irrégulière, était également l’une des marottes de la droite et de l’extrême droite. Elle ne sera pas à l’ordre du jour de cette loi, mais en échange de leurs voix, Gérald Darmanin a promis aux Républicains qu’un autre projet de réforme de cette aide aurait lieu en 2024.

Pourtant, comme l’expliquait Mr Mondialisation récemment, s’attaquer à cette prestation sociale est totalement contre-productif aussi bien d’un point de vue sanitaire que financier. Tout le monde serait donc perdant, y compris les Français.

Un gouvernement qui court derrière l’extrême droite

Le message est plus clair que jamais : outre les marques désormais habituelles de sa politique sécuritaire, autoritaire, ultralibérale et anti-sociale, la dérive ouvertement droitière d’Emmanuel Macron et de ses suiveurs est de plus en plus inquiétante. Alors que les membres de la majorité passent leurs journées à accuser la gauche de tous les maux, ils laissent dans le même temps l’extrême droite se développer à une allure record.

Les médias ont d’ailleurs saisi l’occasion d’accuser la NUPES d’être responsable du durcissement du texte au prétexte d’avoir voté une motion de rejet sur le projet précédent qui n’était pourtant pas plus tolérable.

La Macronie s’est aussi défendue d’avoir servi les intérêts du RN en arguant qu’elle n’avait pas besoin de lui pour faire passer cette loi. Or, elle n’a pourtant pas été capable d’atteindre la majorité absolue sans l’appui du parti d’extrême droite. Pire, la compromission a été telle que certains députés macronistes ont décidé de voter contre l’avis du gouvernement, un fait rarissime dans cette mandature.

Aurélien Rousseau, ministre de la Santé, a même quant à lui, présenté sa démission en signe de désaccord.

De fait, en se comportant de cette manière, le gouvernement participe à l’essor du RN en jouant volontiers sur son terrain idéologique et en plaçant sans cesse ses idées au cœur du débat politique. Ainsi, face à la montée des croyances d’extrême droite dans le pays, la Macronie n’a pas décidé de les combattre, mais au contraire de déplacer petit à petit son centre de gravité vers elles.

Le constat est d’autant plus amer quand on sait que les politiques libérales menées par nos dirigeants successifs sont directement responsables des conditions de vie déplorables des classes moyennes et précaires, et indirectement de la crise mondiale que nous traversons, autant écologique que sociale. Qui plus est lorsque les médias de milliardaires ont préféré mettre sans cesse en avant des thématiques comme l’immigration ou la délinquance pour poursuivre leur projet de division des classes populaires. Tant que ces dernières s’entre-déchirent sur de telles questions, personne ne s’attaque aux privilèges de la bourgeoisie conférée par le système capitaliste.

Une inquiétante alliance des droites ?

La direction prise par les événements, et dont cette loi immigration n’est qu’un énième symptôme, n’est pas sans rappeler des faits passés très sombres et notamment la tristement célèbre maxime « plutôt Hitler que le Front Populaire ». On sait d’ailleurs, historiquement, que les rapprochements entre les libéraux et les identitaires ont toujours accouché du pire.

Plus que jamais, la Macronie semble avoir définitivement fait sauter ce que l’on nommait jadis le « barrage républicain » qui faisait systématiquement obstacle à l’extrême droite. Or, en se radicalisant de plus en plus, la Macronie découragera nécessairement la plupart des sympathisants de gauche de voter une fois de plus pour elle contre l’épouvantail RN en cas de duel. Un problème de taille lorsque l’on sait que la stratégie électorale de ce parti a toujours été de l’emporter grâce au rejet de Marine Le Pen.

De fait, à force de jouer avec le feu, cette partie du spectre politique finira sans doute par ouvrir les portes du pouvoir au RN. À en observer les Républicains, qui n’en ont plus que le nom, on se demande d’ailleurs ce qui les empêche encore d’acter une alliance avec l’extrême droite.

Pour autant, si une telle situation promettrait une version plus assumée ou débridée encore de la politique en cours, en particulier contre les classes populaires et les personnes d’origine étrangère, et contre l’avenir de la planète tout court à en croire l’inaction écologique de ces partis, elle serait identique pour la bourgeoisie ou le capitalisme qui ne serait toujours pas remis en cause.

– Simon Verdière


Photo d’entête : reportage de @TiphaineBlot pour Mr Mondialisation au cœur de la marche des Solidarités contre la loi Immigration lundi 18 décembre 2023.

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